Quand la justice n'a plus d'encre...
Avec ma consoeur et les clients, on avait tout préparé, le tribunal n'avait quasiment plus rien à faire.
Signé le procès-verbal d'acceptation du principe de la rupture du mariage, signée la convention réglant les conséquences définitives du divorce, produites les conclusions concordantes en ce sens (la procédure avait commencé sur saisine unilatérale, et non conjointe, avant que finalement les parties ne se rapprochent).
On avait même pensé à demander au tribunal l'autorisation de ne pas venir à l'audience "d'orientation et sur mesures provisoires", étant donné qu'on ne demandait aucune "mesure provisoire", et que "l'orientation" (en l'espèce la clôture, qu'on sollicitait) doit pouvoir être réglée par écrit. Las, ce tribunal étant capable de gâcher n'importe quel dossier, mieux vaut venir systématiquement, et bien nous en a pris.
Ma consoeur était même plus prévoyante que moi, et avait prévu d'apporter un exemplaire imprimé de ses conclusions. De mon côté, estimant qu'il me suffisait de les avoir envoyées numériquement, je n'avais pas pris la même précaution. Grave erreur, puisque la juge me les demande.
A l'appui de cette curieuse exigence qui ne vise qu'à pallier l'incurie matérielle de son employeur, elle croit pouvoir dans un premier temps justifier cela par le fait que la procédure serait "orale", et qu'un envoi électronique n'y suffit pas. Alors non, elle ne l'est que si des mesures provisoires sont sollicitées, ce qui n'était pas notre cas ; là, je suis déjà monté d'un cran dans l'impertinence.
N'ayant plus envie de faire semblant, elle me répond qu'on "sait bien" que le tribunal n'a plus assez d'encre pour imprimer mon envoi électronique (et plus assez d'yeux pour prendre la peine de lire sur écran).
... on va au Point phone du coin
Et en ayant de mon côté un peu assez de subir la nullité de ce cher Bob (c'est le petit nom affectueux pour ce tribunal), je lui réponds que ce n'est pas mon problème. "Très bien, alors je renvoie à 6 mois". Mon défoulement ayant pour limite l'intérêt de mes clients, je lui propose, afin qu'elle abandonne sa vengeance, d'aller imprimer mes 3 pages de conclusions dans quelque point phone du quartier Pablo Picasso, entre un kebab et une chicha. Voilà comment une obtient de ne pas repousser aux calendes grecques une ordonnance de clôture.
Etudiant, oublie tes leçons de procédure civile, ici il faut une boîte à outils, pas un Code. Tes profs croyaient avoir fait preuve de réalisme suffisant quand ils t'enseignaient que la réforme du divorce contentieux avait été faite pour récompenser le justiciable qui faisait le maximum de job à la place des juges ? Ils étaient en dessous de la réalité. En fait, même dans ces cas-là, il est accueilli comme un chien dans un jeu de quilles (supprimer éventuellement les mots "dans un jeu de quilles"). De toute façon, tout divorce autre que celui qui se passe totalement en dehors des heures de travail des greffiers et magistrats, c'est-à-dire autre que le "Consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocat", constitue une agression pour eux. Vous avez des questions complexes ? Vous êtes un problème. Vous avez tout simplifié ? Vous êtes un problème aussi.
Mourrez. Vous n'en serez plus un. Remarquez, ça vous arrivera peut-être avant que n'intervienne une ordonnance de clôture.
Dossier très complet et informatif