Faute inexcusable découlant d'une obligation de sécurité de résultat

Depuis ses arrêts « amiante » en 2002 (Soc. 28 févr. 2002, n° 99-18.389 , D. 2002. 2696, note Prétot), la Cour de cassation a renoncé à sa traditionnelle conception de la faute inexcusable aussi bien dans le domaine des maladies professionnelles (arrêt précité) que dans celui des accidents du travail (Soc., 11 avr. 2002, n° 00-16.535 , Bull. civ. V, n° 127).

Dans ses nouvelles décisions, la Haute Juridiction énonce que l'employeur est désormais astreint, à l'égard de son salarié, à une obligation de sécurité de résultat et que toute méconnaissance de cette obligation est constitutive d'une faute inexcusable, lorsque « l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ». Ainsi, un employeur ne peut ignorer ou s'affranchir des données médicales afférentes au stress au travail et ses conséquences pour les salariés qui en sont victimes (Soc. 19 juin 2014, n° 13-18.323 ; Soc. 3 avr. 2014, n° 13-14.322 ; Civ. 2e , 8 nov. 2012, n° 11-23.855).

 

Faute inexcusable et octroi d'une indemnisation complémentaire

Lorsque la faute inexcusable est commise par l'employeur ou son délégataire, la victime (ou ses ayants droit) est fondée à solliciter une indemnisation complémentaire versée par la Caisse primaire d'assurance maladie (CSS, art. L. 452-1 s.), qui comprend une majoration de la rente d'incapacité (ou du capital versé si l'IPP est inférieure à 10 %), et l'indemnisation par la juridiction de la sécurité sociale de certains chefs de préjudice supplémentaires non habituellement pris en charge par la sécurité sociale. La liste non limitative des préjudices indemnisables limitative est prévue par l'art. L 452-3 du Code de la Sécurité Sociale qui mentionne notamment : les préjudices causés par les souffrances physiques et morales, les préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que le préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

 

Le contentieux de l'indemnisation de ces différents préjudices qui devrait être considérablement facilitée depuis les arrêts « amiante », devra, lui, être porté devant la juridiction de la sécurité sociale, désormais compétente pour connaître des actions en réparation de l'ensemble des préjudices, c'est-à-dire, non seulement ceux visés par l'art. L. 452-3 du Code de la Sécurité Sociale, mais également ceux non couverts par le livre IV du même code, (Civ. 2e, 30 juin 2011, n° 10-19.475) causés par la faute inexcusable de l'employeur (Cons. const. 18 juin 2010, n° 2010-8 QPC).

Nous noterons ici, s'agissant de la rente, que sa majoration est portée à son maximum en cas de faute inexcusable (Soc. 6 févr. 2003, n° 01-20.004 , Bull. civ. V, n° 48), peu important qu'un tiers ait contribué au dommage subi par le salarié (Civ. 2e, 2 nov. 2004, n° 03-30.206 , Bull. civ. II, n° 478). 

Si le salarié fait l'objet d'un licenciement en raison d'une inaptitude résultant d'une maladie professionnelle conséquence, elle-même, d'une faute inexcusable de l'employeur, il sera fondé à solliciter l'indemnisation de cette perte d'emploi (Soc. 17 mai 2006, n° 04-47.455). 

Il en sera de même pour les ayants droit, qu'ils soient ou non bénéficiaires d'une rente, des victimes décédées d'un accident du travail (suicide du salarié harcelé) ou d'une maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l'employeur, qui pourront aussi prétendre à la réparation de leur préjudice moral (Civ. 2e, 22 juin 2004, n° 03-30.223 , Bull. civ. II, n° 306). 

 

Tempérament à l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur

S'agissant d'une obligation de résultat, l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur à l'égard de son salarié ne devrait en principe être écartée qu'en cas de force de force majeure.

Cependant, la jurisprudence estime aujourd'hui que l'absence de conscience du danger exclut la qualification de faute inexcusable (voir notamment Soc. 31 oct. 2002, n° 00-18.359 , RJS 1/2003, n° 86, 2e espèce). Au surplus, il incombe à la victime de rapporter la preuve que l'employeur qui avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, n'a pas effectué les diligences nécessaires pour l'en protéger (Civ. 2e, 14 déc. 2004, n° 03-30.208 ).

Mais, il n'est pas nécessaire que la faute inexcusable imputable à l'employeur soit la cause déterminante de l'accident survenu au salarié. Il suffit simplement qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit mise en oeuvre, et ce, même si d'autres fautes ont concouru à la survenance du dommage (Civ. 2e, 12 juill. 2007, n° 06-16.748).

 

Qualité de l'auteur du harcèlement

L'employeur ou son délégataire. Lorsque les agissements de harcèlement sont le fait direct de l'employeur ou de l'un de ses délégataires, le salarié victime sera, bien évidemment, légitime à invoquer sa faute inexcusable pour bénéficier de l'indemnisation complémentaire sus-évoquée. Ainsi, une cour d'appel a caractérisé la faute inexcusable de l'employeur après avoir considéré que la santé psychologique du salarié avait été gravement compromise consécutivement à la dégradation continue des relations de travail et du comportement de l'auteur. Cette circonstance illustre le fait que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu'il n'a pas pris les dispositions requises pour l'en préserver (Civ. 2e, 22 févr. 2007, n°05-13.771 ; Dijon, 24 nov. 2016, RG n° 14/1398). 

Collègue de la victime. Dans l'hypothèse où les agissements de harcèlement sont à un collègue de la victime, l'employeur pourrait être tenté de se retrancher derrière l'absence de conscience du danger afin de faire échec à la caractérisation de la faute inexcusable. 

Cependant, la jurisprudence retient la faute inexcusable à l'encontre de l'employeur lorsque ce dernier, informé de l'attitude harcelante de l'un de ses salariés, n'entreprend rien afin d'y mettre un terme (Civ. 2e, 13 mars 2014, n° 13-13.902). D'ailleurs, les dispositions de l'article L. 4131-4 du Code du travail accordent de droit le bénéfice de la faute inexcusable au salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle lorsque le risque survenu avait préalablement été signalé à l'employeur par le salarié lui-même ou par un membre du CHSCT. 

Il est donc de l'intérêt de la victime de prévenir son employeur des agissements qu'elle subit. 

Néanmoins, il n'est pas impossible que l'employeur n'ait pas été informé des actes de harcèlement, ou que ces derniers aient été minutieusement dissimulés. Dans cette hypothèse, il appartiendra au juge d'apprécier les faits au regard de la possible connaissance ou non du danger dans le contexte rapporté, ce dernier pouvant se satisfaire d'un faisceau d'indices (une soudaine dégradation de la qualité du travail du salarié sans explication apparente, des troubles comportementaux, la multiplication des arrêts de travail, etc) permettant de supposer que l'employeur aurait dû avoir conscience du danger encouru par le salarié. 

Rappelons par ailleurs que la faute inexcusable de l'employeur est caractérisée lorsque ce dernier ne met pas en oeuvre les mesures particulières de prévention prescrites par les dispositions de l'article L. 1152-4 du Code du travail, et/ou qu'il ne prend pas  en compte les propositions d'aménagement des conditions de travail formulées par les représentants du personnel (CHSCT, comité d'entreprise, etc) qui avaient pu attirer son attention sur certaines méthodes de management ou certaines formes d'organisation du travail particulièrement stressantes. 

Enfin, compte tenu de la structure juridique même du harcèlement moral, l'on peut légitimement s'interroger sur le point de savoir si la faute intentionnelle ne semble pas mieux répondre à ses objectifs que la faute inexcusable. En effet, le harcèlement moral semble plus en phase avec la définition de la faute intentionnelle. La faute intentionnelle de l'employeur autorise le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle à assigner son employeur en responsabilité civile, conformément aux règles du droit commun, en vue d'obtenir, en complément de la réparation forfaitaire, l'indemnisation des préjudices non couverts par les prestations de sécurité sociale (CSS, art. L. 452-5) (Riom, 25 oct. 2005, RG n° 05/00148).

L'élément moral du délit de harcèlement moral au travail est distinct de la faute intentionnelle prévue par l'article L. 452-5 du Code de la sécurité sociale. Cette dernière exige en effet que soit rapportée la preuve du caractère « voulu ou recherché par l'auteur » du dommage survenu à la victime (Crim. 13 déc. 2016, n° 15-81.853), alors que l'article 222-33-2 du Code pénal ne lie pas la caractérisation du délit de harcèlement moral à l'existence d'une intention malveillante. 

 

Gérard VILON GUEZO

Docteur en droit privé/sciences criminelles

Enseignant chercheur en droit pénal économique, Université d'Orléans, CRJ POTHIER

Avocat à la Cour