Loi immigration 2024 : les mesures relatives aux métiers en tension et aux sanctions applicables en cas de recours à des travailleurs sans-papiers
La Loi immigration a été publiée au Journal officiel du 27 janvier 2024 (1).
📌 Pour tout savoir sur le détail de cette loi, consultez notre article : Loi immigration 2023-2024 : point sur les principales mesures intéressant les entreprises validées par le Conseil constitutionnel
Les apports de la Loi immigration 2024 en ce qui concerne les métiers en tension
Les principaux critères de l'admission exceptionnelle au séjour au titre des métiers en tension
L'une des mesures créée par la Loi immigration est la création d'une carte de séjour temporaire portant la mention "travailleur temporaire" ou "salarié" d'une durée d'un an (2).
L'idée est de permettre à des travailleurs en séjour irrégulier d'obtenir une régularisation exceptionnelle de leur situation, en raison de la pénurie de main-d'oeuvre et des difficultés de recrutement dans certains secteurs, dits "en tension".
Une circulaire adressée par les Ministères de Intérieur et des Outre-mer et du Travail, de la Santé et des Solidarités, aux préfets (3) à ce sujet précise que, pour obtenir cette carte de séjour, la personne étrangère doit satisfaire à plusieurs conditions, parmi lesquelles :
- avoir exercé une activité professionnelle salariée figurant dans la liste des métiers caractérisés par des difficultés de recrutement durant 12 mois, consécutifs ou non, sur une période de 24 mois ;
- justifier d'une résidence ininterrompue d'au moins 3 ans en France.
La carte vaut autorisation de travail en elle-même, l'employeur n'ayant pas de démarches particulières à effectuer.
Date d'expiration (de principe) du dispositif expérimental
Le dispositif doit être expérimenté jusqu'au 31 décembre 2026 avant d'être éventuellement pérennisé. La liste des métiers en tension devrait être retravaillée et révisée régulièrement, pour être au plus proche de la réalité.
31 décembre 2026Date d'expiration du dispositif expérimental
Attention : si le travailleur étranger souhaite signer un contrat de travail auprès d’un employeur pour une activité professionnelle ne figurant pas dans la liste des métiers en tension, ce dernier devra obligatoirement solliciter une autorisation de travail avant la signature du contrat de travail.
Des sanctions renforcées contre l'exploitation de travailleurs étrangers
Embaucher un étranger sans papier
La Loi immigration renforce les sanctions applicables en cas de manquement à ces dispositions via la création d'une nouvelle amende administrative.
En outre, un décret du 9 juillet 2024 fixe aussi les modalités de mise en oeuvre de la solidarité financière des personnes (donneurs d'ordre) ayant sciemment eu recours à un employeur d'étrangers non autorisés à travailler (6).
L'amende est appliquée autant de fois qu'il y a d'étrangers concernés.
Le renforcement des sanctions applicables aux personnes qui facilitent la circulation ou le séjour irrégulier d'un étranger
Pour mémoire, le fait, pour toute personne, de faciliter ou de tenter de faciliter, par aide directe ou indirecte, l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger en France est puni de 5 ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende (7).
La Loi Immigration prévoit que ces peines sont portées à 15 ans de réclusion criminelle et 1 million d'euro d'amende lorsque l'infraction est commise avec 2 circonstances aggravantes, dont celle de la commission en bande organisée (1).
Comment embaucher un salarié étranger sans-papiers ?
Quelles nationalités de travailleurs peuvent être autorisées à travailler en France sans autorisation ?
Tout ressortissant communautaire et assimilé (ressortissant d'un pays membre de l'Union européenne (UE), ressortissant d'un État membre de l'Espace Economique Européen (EEE), ressortissant d'un pays ayant conclu un accord avec la France : Suisse, Monaco, Andorre ou Saint-Martin) peut travailler en France sans autorisation de travail (8).
Cela s'explique par la libre circulation, principe essentiel de l'UE, qui permet à ces salariés d'exercer des missions professionnelles dans tous les pays européens.
Comment recruter un travailleur étranger hors UE ?
Nécessité d'une autorisation de travail...
Les salariés ressortissants d'un pays tiers à l'UE, à l'EE ou à la Confédération suisse doivent en principe être en possession d'une autorisation de travail s'ils souhaitent exercer une activité salariée en France (9).
Ce document est obligatoire pour pouvoir travailler en France et ce, quelle que soit la nature du contrat de travail du salarié étranger ou sa durée (sous réserve de quelques cas particuliers).
Ainsi, le fait que la demande d'autorisation de travail soit en cours d'instruction ne suffit pas à ce que le salarié étranger puisse commencer à travailler de manière régulière. L'autorisation de travail doit être obtenue au préalable.
... qui intervient dans les 2 mois de la demande
La décision d'octroi de l'autorisation de travail intervient dans les 2 mois qui suivent la demande complète. Elle est notifiée à l'employeur (ou à son mandataire) ainsi qu’au salarié étranger. A défaut de réponse dans ce délai, la demande est tacitement rejetée (10).
A noter : L'autorisation de travail attribuée peut être limitée à certaines activités professionnelles ou à certaines zones géographiques uniquement et ne lui permet pas de travailler en dehors de la métropole.
Quels titres de séjour ou visas confèrent automatiquement une autorisation de travail ?
Certains titres de séjour autorisent automatiquement un étranger à exercer une activité professionnelle salariée en France.
💡 Exemples (11) :
- la carte de résident ;
- le VLS-TS (visa long séjour) ou d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle "vie privée et familiale" ;
- la carte de séjour pluriannuelle "passeport talent" ;
- le VLS-TS ou d'une carte de séjour "étudiant" ou "étudiant-programme de mobilité" ;
- la carte de séjour "recherche d'emploi ou création d'entreprise" ;
- le visa vacances-travail.
Pour quels types de contrats l'autorisation de travail n'est-elle pas nécessaire ?
Un étranger peut être dispensé d'autorisation de travail en raison de la durée de sa mission.
C'est le cas notamment lorsqu'il vient travailler en France pour une durée inférieure ou égale à 3 mois dans l'un des domaines suivants (12) :
- manifestations sportives, culturelles, artistiques et scientifiques ;
- colloques, séminaires et salons professionnels ;
- production et diffusion cinématographiques, audiovisuelles, du spectacle et de l'édition phonographique, en tant qu'artiste ou personnel technique ;
- mannequinat et pose artistique ;
- services à la personne (employé de maison) pendant le séjour en France d'un employeur particulier ;
- missions d'audit et d'expertise en informatique, gestion, finance, assurance, architecture et ingénierie en tant que salarié détaché sous contrat ;
- enseignement occasionnel, en tant que professeur invité.
Quelles sont les démarches et formalités pour embaucher un travailleur étranger déjà présent en France ?
Les démarches pour embaucher un salarié étranger ne sont pas les mêmes selon la nationalité du salarié et sa situation.
Vérifier que le travailleur est autorisé à travailler en France
Lorsque le salarié étranger est déjà présent en France, la première chose à faire avant de l'embaucher, est de vérifier que celui-ci dispose d'un titre de séjour en cours de validité valant autorisation de travail ou d'un titre de séjour et d'une autorisation de travail auprès du préfet de département du lieu d'embauche. Pour en savoir plus, consultez notre dossier dédié !
A noter : si le travailleur étranger est inscrit en tant que demandeur d'emploi en France, vous n'avez pas besoin de faire cette vérification.
👩⚖️ Jurisprudence :
Le juge a précisé que le licenciement d'un salarié, dont la carte de résident arrivait à expiration et qui ne justifiait pas avoir fait les démarches pour renouveler celle-ci, est légitime.
Pour bénéficier du délai de 3 mois lui permettant de conserver son droit d'exercer une activité professionnelle après expiration de son titre, le salarié doit solliciter son renouvellement dans les 2 mois précédant cette expiration. À défaut d'action de sa part, l'employeur est en droit de le licencier (13).
Demander une autorisation de travail et réaliser les formalités d'embauche
Le cas échéant, vous devez réaliser une demande d'autorisation de travail.
Une fois ces vérifications et/ou démarches réalisées, l'employeur doit procéder aux formalités d'embauche habituelles (déclaration préalable à l'embauche (DPAE)).
En outre, si le salarié n'a jamais été immatriculé en France, il doit aussi faire une demande d'immatriculation auprès de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) ou de la Mutualité sociale agricole (MSA). L'immatriculation d'un salarié étranger peut se faire directement en ligne sur le site de l'Assurance maladie.
Comment faire venir un salarié étranger en France pour travailler ? Qu'est-ce que la "procédure d'introduction" d'un salarié étranger ?
"Procédure d'introduction" d'un salarié étranger
Lorsque le salarié étranger n'est pas encore entré en France, l'employeur doit engager une "procédure d'introduction", nécessaire à l'obtention d'un permis de travail.
2 moisde délai
Le préfet rend sa décision dans un délai de 2 mois à compter du dépôt de la demande. En cas d'accord du préfet, une autorisation de travail est transmise à l'employeur (14).
En l'absence de réponse dans ce délai, la demande est implicitement rejetée.
Suite de la procédure
L'accord favorable à l'issue de la procédure d'introduction n'autorise pas le candidat souhaité par l'employeur à travailler immédiatement.
Il doit d'abord obtenir un visa d'entrée en France, que les services consulaires ont le pouvoir de le refuser pour des raisons d'intérêt général.
Par ailleurs, le travailleur étranger devra passer une visite médicale auprès de l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII) dans les 3 mois suivant son arrivée en France ou dans les 3 mois suivant la délivrance de son autorisation de travail (15).
L'employeur devra également accomplir les formalités d'embauche habituelles.
Qu'est-ce que la taxe DGFiP due par l'employeur qui embauche un salarié étranger (ancienne taxe Ofii) ?
En cas d'embauche d'un salarié étranger, l'employeur doit s'acquitter d'une taxe à la DGFiP (Direction Générale des Finances Publiques), lors de la première admission au séjour en France au titre d'une activité professionnelle salariée (16).
Depuis le 1er janvier 2023, cette taxe est recouvrée par la DGFiP (auparavant, elle l'était par l'OFII, l'Office français de l'immigration et de l'intégration).
Le coût de l'embauche d'un salarié étranger varie en fonction de la durée du contrat de travail et du niveau de rémunération de ce dernier. La taxe doit être déclarée par l'employeur et payée annuellement à terme échu.
NB : un décret du 21 février 2023, applicable depuis le 24 février 2023, précise les modalités déclaratives et de paiement de la taxe (17).
Dispositions temporaires applicables aux ressortissants ukrainiens
Un décret du 1er avril 2022 dispense les bénéficiaires de la protection temporaire de toute demande d'autorisation de travail en France à compter du 2 avril 2022 (18) .
À noter : on parle de "protection temporaire" pour désigner le dispositif exceptionnel et temporaire (d'1 an voire 2) par le biais duquel sont accueillis des étrangers non-européens qui fuient en masse leur pays ou leur région d'origine, sans pouvoir y retourner en raison d'un conflit armé, de violences ou de violations graves et répétées des droits de l'homme.
De fait, l'embauche des ressortissants ukrainiens bénéficiant de la protection temporaire ne nécessite pas, durant la validité de cette protection, une demande d'autorisation de travail.
Travailleurs étrangers et pénurie de main-d'oeuvre : focus sur le projet européen "Talent pool" ("Réserve de talents")
Le nouveau projet de la Commission européenne intitulé "Talent pool" ("Réserve de talents") vise à la mise en place d'une plateforme en ligne gratuite destinée à permettre aux employeurs européens de répondre à leurs besoins en recrutement dans les secteurs identifiés comme étant en pénurie de main d'oeuvre.
Concrètement, les employeurs des Etats membre de l'Union européenne (UE) pourraient publier leurs offres d'emploi directement sur la plateforme, afin que celles-ci "matchent" avec des profils de demandeurs d'emplois de pays extérieurs à l'Union européenne préalablement enregistrés.
Les Etats membres de l'UE pourraient rejoindre la plateforme sur la base du volontariat.
🔍 Ce projet est montré du doigts par de nombreux syndicats, qui s'alarment de l'absence de contrôle et responsabilisation des employeurs de travailleurs migrants.
La construction, l’agro-alimentaire, l’agriculture, l’industrie hôtelière et le transport reposent déjà sur une main d’œuvre mobile et sur de nombreux travailleurs migrants, souvent victimes de discriminations et d’exploitation dans un modèle économique qui repose sur un recours abusif à la sous-traitance et à l’intérim non régulé.
Lettre conjointe des syndicats européens relative au projet "Talent Pool"
Dans une lettre conjointe adressée aux ministres de l'emploi et des affaires sociales des Etats-membres datée du 9 juin 2024 (19), de nombreux syndicats européens (parmi lesquel la Confédération européenne des syndicats) soulignent le fait qu'aucune condition d'honorabilité des recruteurs, aucune procédure de sélection ni aucune mesure d'exclusion en cas de mauvaise conduite n'est à ce jour prévue au projet.
Ils s'inquiètent de fait de la facilitation de recrutement des employeurs peu scrupuleux des travailleurs migrants, déjà davantage exposés, du fait de leur situation, à des risques d'exploitation. En alternative au projet, ils font état de plusieurs propositions destinées, notamment, à lutter contre la fraude, l'exploitation du travail et le dumping social.
La plateforme devrait devenir opérationnelle en 2028.
L'embauche d'un salarié étranger : visionnez notre webconférence en partenariat avec le Mercato de l'emploi
Références :
(1) Loi n°2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration(2) Article L435-4 du CESEDA
(3) Circulaire du 5 février 2024, Le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, La ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités
(4) Arrêté du 1er mars 2024 modifiant l'arrêté du 1er avril 2021 relatif à la délivrance, sans opposition de la situation de l'emploi, des autorisations de travail aux étrangers non ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse
(5) Article L8251-1 du Code du travail
(6) Décret n°2024-814 du 9 juillet 2024 relatif à l'amende administrative sanctionnant l'emploi de ressortissants étrangers non autorisés à travailler et modifiant les conditions de délivrance des autorisations de travail
(7) Article L823-1 du CESEDA
(8) Article R5221-2 du Code du travail, Convention France-Espagne/Andorre, 4 décembre 2000, Convention franco-monégasque de voisinage, 18 mai 1963 et Convention d'établissement du 15 janvier 1954
(9) Article R5221-1 du Code du travail
(10) Décret n°2014-1292 du 23 octobre 2014 relatif aux exceptions à l'application du principe « silence vaut acceptation » ainsi qu'aux exceptions au délai de deux mois de naissance des décisions implicites sur le fondement du II de l'article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (ministère de l'intérieur)
(11) Article R5221-2 du Code du travail
(12) Articles R5221-2, L5221-2-1 et D5221-2-1 du CESEDA
(13) Cass. Soc., 29 novembre 2023, n°22-10004
(14) Article R5221-17 du CESEDA
(15) Arrêté du 11 janvier 2006 relatif à la visite médicale des étrangers autorisés à séjourner en France
(16) Article L436-10 du CESEDA et BOI-TPS-EMOE
(17) Décret n°2023-122 du 21 février 2023 précisant certaines formalités administratives relatives aux taxes annuelles sur l'affectation des véhicules à des fins économiques et à la taxe à acquitter par l'employeur d'un travailleur étranger ou accueillant un salarié détaché temporairement par une entreprise non établie en France
(18) Décret n°2022-468 du 1er avril 2022 relatif au droit au travail des bénéficiaires d'une protection temporaire
(19) Lettre conjointe des syndicats européens aux ministres de l'emploi et des affaires sociales des Etats membres de l'Union européenne
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