La caution poursuivie par son créancier dispose de nombreux moyens de défense parmi lesquels figure la disproportion des engagements souscrits. Ce moyen de défense très efficace a été largement précisé par la jurisprudence quant à son régime. La difficulté réside toutefois dans la détermination du seuil à partir duquel la disproportion doit être retenue.

L’article L332-1 du code de la consommation dispose :

« Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »

Il est de jurisprudence constate que ces dispositions s’appliquent à la caution, personne physique, même si elle est le dirigeant de la société dont les dettes sont garanties par le cautionnement (Cass. Com. 22 juin 2010, n°09-67.814).

La sanction de la disproportion est l’impossibilité, pour le créancier, de se prévaloir du cautionnement. Une telle sanction ne s’apprécie donc pas à la mesure de la disproportion.

L’article L.332-1 du code de la consommation instaure un raisonnement en deux temps :

  • Le caractère disproportionné du cautionnement s’apprécie à la date de la souscription de l’engagement de caution,
  • Si la disproportion est démontrée à cette date, le créancier peut par exception se prévaloir du cautionnement si et seulement si il démontre qu’au moment où elle est appelée, le patrimoine de la caution lui permet de faire face à son obligation.

Pour apprécier la disproportion, la jurisprudence considère qu’il y a lieu de tenir compte non seulement du rapport entre les biens et revenus de la caution et l’engagement né du cautionnement contesté mais aussi de l’ensemble de ses autres engagements y compris ceux nés d’autres cautionnements.

Il doit ainsi être tenu compte des autres garanties et engagements consentis par la caution dans la mesure où ils existaient lors de la conclusion du cautionnement contesté et où le créancier en avait connaissance soit parce qu’il était bénéficiaire de ces engagements soit parce qu’il en avait été informé par la déclaration de la caution.

De cette façon, la Cour de cassation a considéré, dans une affaire où l’engagement représentait 2,8 années de revenus de la caution, que celui-ci était manifestement disproportionné(Cass. 1er civ. 25 mars 2020 n° 19-15.163) :

« 4. Après avoir relevé que M. F... justifiait de sa qualité de propriétaire de deux biens immobiliers dont la valeur nette, après déduction des emprunts en cours, s'élevait au jour de la souscription de son engagement à la somme totale de 205 000 euros, à laquelle s'ajoutaient une épargne de 20 000 euros environ, des revenus annuels déclarés d'un montant de 71 023 euros et des revenus de capitaux mobiliers s'élevant à 731 euros par an, et que la banque ne rapportait pas la preuve de la capacité contributive de la caution au jour de son appel, la cour d'appel a souverainement estimé que le cautionnement souscrit, qui représentait la totalité du patrimoine et trois années de revenus de la caution, était manifestement disproportionné à ses biens et revenus déclarés. Elle en a exactement déduit que la banque devait être déchue de son droit de se prévaloir de l'engagement de caution souscrit. »


De son côté, la Cour d’appel de Paris a jugé que le cautionnement donné dans une limite qui représente plus de deux années de revenus est disproportionné :

« Mais en tout état de cause, à ne prendre en considération que les déclarations recueillies par la société CGA, il ne peut qu’être constaté qu’à défaut de toute propriété d’un bien immobilier ou de valeurs mobilières, le cautionnement donné dans une limite qui représente plus de deux années d’un salaire brut de 2?000 euros mensuels est manifestement disproportionné au sens de la disproportion sus-visée. »(CA PARIS, 23 juin 2017, n°15/24468)

« Au regard de la teneur de la fiche patrimoniale régularisée par M. A X le 13 juillet 2009 et de son complément du 10 août 2009 faisant mention d’une situation de célibataire, de la propriété d’aucun bien immobilier, d’un salaire net annuel de 72?000 euros soit 6?000 euros mensuels issu de son activité de directeur informatique et de charges constituées d’un loyer à honorer de 812 euros mensuels ainsi que de mensualités liées à l’acquisition d’un véhicule pour 550 euros mais également de l’âge de M. A X né le […] et ayant donc près de 60 ans ainsi que de son ancienneté au sein de l’entreprise l’employant de 40 ans, qui présageait une baisse rapide de ses revenus alors que le cautionnement l’engageait pour 12 ans, c’est à bon droit que le tribunal a retenu le caractère manifestement disproportionné de l’engagement dont la charge représentait plus de deux années de revenus, et ce, même si l’on considère les 40?000 euros d’apport en compte courant à la société TROIS R lors de sa constitution. »(CA PARIS, 24 novembre 2017, n°16/09649)

 

Ce délai de deux ans pour faire face à son engagement de caution correspond en réalité au délai de l’article 1343- 5 du code civil qui interdit le juge, saisi d’une demande en paiement, d’accorder des délais de grâce au débiteur au-delà d’une durée de deux années :

« Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.

Il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.

La décision du juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.

Toute stipulation contraire est réputée non écrite.

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux dettes d'aliment. »


La jurisprudence s’est appuyée sur ce délai pour considérer que si la caution ne peut faire face à ses engagements dans ce délai légal de deux ans, son engagement est nécessairement disproportionné.

Concrètement, la caution, pour démontrer la disproportion, devra donc s’attacher à faire état de son patrimoine au jour de ses engagements et de sa valorisation, et de ses revenus afin de les comparer avec les engagements litigieux et à son endettement global.

Le rapport calculé permettra ainsi de calculer une estimation de délai de remboursement des engagements compte tenu de ces donnés. Si celui-ci dépasse deux années, le moyen tiré de la disproportion devra être soulevé devant les juges du fonds qui apprécieront nécessairement en fonction des éléments soumis à leur appréciation.

Personnellement, dans mes conclusions je reprends toutes ces informations sous forme de tableur pour exposer clairement l’état des finances de la cautions à la date de l’engagement contesté :

 

Date de l’engagement

Passif

Actif

 

 

 

Endettement existant (ex crédit immobilier)

100.000 ¤

100 000,00 ¤

Endettement existant 2 (ex crédit conso)

10.000 ¤

 

 

 

Engagement de caution contesté

150.000 ¤

 

 

 

 

Sous-total

260.000 ¤

100.000,00 ¤

 

 

 

Balance

-160.000 ¤

 

 

 

Revenu annuel

 

40 000,00 ¤

revenu mensuel

 

3.333,33 ¤

 

 

 

Apurement de la balance en nombre de mois

48

Apurement de la balance en nombre d'années

4

 

Simon Gratien

Avocat

57 rue Bouquet – 76000 ROUEN