Qu'est-ce que la mise à pied conservatoire ?
Définition
La mise à pied prononcée à titre conservatoire, ou plus simplement, "mise à pied conservatoire", est une mesure provisoire permettant à un employeur de suspendre le contrat de travail du salarié lorsque celui-ci a commis une faute rendant son maintien dans l'entreprise impossible.
Cadre légal
Prévue par le Code du travail (1), cette mesure est nécessairement suivie d'une procédure disciplinaire pour décider du sort du salarié, pouvant aller jusqu'à la rupture de son contrat de travail. Autrement dit, cette mise à pied ne peut pas être le résultat d'une procédure disciplinaire.
Dans tous les cas, la mise à pied conservatoire n'est pas une sanction disciplinaire. C'est une mesure provisoire prise dans l'attente d'une sanction disciplinaire.
Elle permet à l'employeur de bénéficier d'un temps de réflexion en s'assurant que le salarié fautif ne puisse pas nuire à l'entreprise pendant ce délai. Sa nature est donc préventive.
⚠ Attention : la mise à pied conservatoire ne doit pas être confondue avec la procédure de mise à pied disciplinaire.
Quelle est la différence entre une mise à pied conservatoire et une mise à pied disciplinaire ?
La différence fondamentale entre une mise à pied conservatoire et une mise à pied disciplinaire réside dans leur nature :
- la première est une mesure préventive ;
- la seconde est une mesure corrective (disciplinaire).
De cette différence découlent plusieurs conséquences qu'il convient de connaître afin de ne pas commettre d'erreur de procédure.
💡 Bon à savoir : une mise à pied disciplinaire peut tout à fait être prononcée après une mise à pied conservatoire.
Pour en savoir davantage, consultez notre étude dédiée à cette question : Quelle mise à pied pour votre salarié : conservatoire ou disciplinaire ?
Quels sont les effets immédiats de la mise à pied conservatoire sur le contrat de travail du salarié ?
Suspension du contrat de travail
L'impact le plus important d'une mise à pied conservatoire est la suspension du contrat de travail du salarié.
En d'autres termes, une fois que la mesure est prononcée, le salarié n'a plus à venir travailler au sein de l'entreprise. Il en est exclu provisoirement, le temps que soit prononcée une sanction à son encontre.
Suspension de la rémunération
Puisque son contrat de travail est suspendu et qu'il ne travaille pas, le salarié ne perçoit pas de rémunération.
En revanche, ce n'est pas parce qu'une mise à pied conservatoire est prononcée que le salarié perdra automatiquement et définitivement la rémunération afférente à la période de suspension du contrat de travail.
Effectivement, toutes les procédures qui n'aboutissent pas à un licenciement pour faute lourde ou faute grave doivent donner lieu à restitution de la rémunération correspondant à la période d'exclusion (retrouvez le détail au sein de notre dossier).
Pour aller plus loin : Comment fixer la rémunération de votre employé : paiement, salaire minimum, SMIC, primes...
Dans quelles situations l'employeur peut-il prononcer une mise à pied conservatoire ?
Une faute d'une certaine gravité
La mise à pied conservatoire doit être envisagée seulement dans les cas où le maintien du salarié dans l'entreprise n'est pas possible, en raison de la commission d'une faute d'une certaine gravité.
L'idée n'est pas de punir le salarié puisque cette mise à pied n'est pas une sanction. Il s'agit plutôt de permettre à l'entreprise de continuer à fonctionner convenablement en éloignant le salarié fautif en attendant une ddécision disciplinaire définitive.
Exemples de fautes justifiant la mise à pied
🔍 Plusieurs exemples issus de la jurisprudence permettent de dessiner les contours des fautes pouvant justifier une mise à pied conservatoire :
- le salarié s'est rendu coupable de harcèlement sexuel par des propos ou des comportements à connotation sexuelle à l'égard de plusieurs collègues, dont certaines sous sa responsabilité, créant une situation intimidante ou offensante (2) ;
- la salariée, par l'emploi d'un stratagème, avait tenté de dissimuler frauduleusement un vol en impliquant une collègue, alors qu'elle était déjà sous mise à pied conservatoire (3) ;
- le salarié qui, malgré ses fonctions d'encadrement impliquant un comportement exemplaire, avait utilisé des propos blessants à connotation sexistes et s'était rendu coupable de racisme au travail vis-à-vis des salariés qu'il sentait les plus vulnérables (4) ;
- le salarié a eu un comportement manifestant son insuffisance professionnelle (5) ;
- la violence au travail ;
- l'état d'ébrité ;
- le harcèlement moral ;
- etc.
Pour aller plus loin : Faute simple, faute grave et faute lourde : comment les différencier ?
La mise à pied conservatoire est-elle obligatoire avant un licenciement pour faute grave ?
Une mesure facultative
Prononcer une mise à pied conservatoire n'est pas obligatoire pour l'employeur, et ce, même en présence d'une faute de la part du salarié.
Exemple : dans une affaire, un salarié avait fait preuve d'un comportement désinvolte, agressif, menaçant et irrespectueux, allant jusqu'à des menaces proférées envers sa supérieure hiérarchique (6). L'employeur avait prononcé sa mise à la retraite pour faute grave, sans avoir, au préalable, prononcé de mise à pied à titre conservatoire.
Pour le juge, le fait qu'un salarié ne fasse pas l'objet d'une mise à pied conservatoire n'a aucune incidence sur le caractère grave de la faute.
Ainsi, prononcer une mise à pied conservatoire n'est qu'une faculté pour l'employeur.
Une mesure parfois nécessaire
En revanche, dans certains cas, l'employeur doit se pencher sur l'utilité d'une mise à pied conservatoire, notamment lorsque le comportement et/ou la gravité des faits commis par le salarié s'avèrent dangereux pour ses collègues ou des tiers à l'entreprise.
En effet, rappelons que l'employeur est tenu à une obligation de sécurité envers ses salariés. De ce fait, écarter un salarié fautif et dangereux peut parfois rentrer dans le cadre cette obligation, afin de prévenir tout risque.
Pour en savoir plus sur les risques en entreprise : DUERP : exemples de risques à évaluer dans le document unique d'évaluation des risques
Combien de temps doit durer une mise à pied conservatoire ?
Durée de la mise à pied conservatoire en tant que mesure provisoire
La mise à pied n'a pas de durée maximale imposée par le Code du travail.
En général, elle doit être d'une durée similaire à celle de la procédure disciplinaire. Autrement dit, elle ne saurait durer postérieurement à la date à laquelle le salarié est finalement sanctionné. Sinon, elle serait analysée comme une sanction disciplinaire.
Dans les faits, plusieurs décisions permettent de dessiner les contours de cette durée maximale. Les juges ont admis des mise à pied conservatoire de quelques jours, voire plus rarement, de plusieurs mois dans le cas où des poursuites pénales ont été engagées contre le salarié concerné (7).
Délai pour notifier une mise à pied conservatoire puis convoquer à un entretien préalable
Une mise à pied conservatoire ne doit pas être prononcée pour sanctionner le salarié. De ce fait, une fois prononcée, la procédure disciplinaire doit être enclenchée de façon concomittante ou dans les plus brefs délais.
En pratique, il est tout à fait possible de prononcer une mise à pied conservatoire :
- en même temps que la convocation à un entretien préalable ;
- peu avant la notification de cette convocation ;
- ou peu après cette convocation.
💡Boîte à outils : notre dossier vous fournit plusieurs exemples jurisprudentiels pour comprendre comment appréhender ces durées.
À lire aussi : Quel délai avez-vous pour prononcer une sanction disciplinaire pour sanctionner un salarié ?
Comment l'employeur doit-il notifier une mise à pied conservatoire au salarié afin de justifier cette décision en cas de contestation ?
Les 3 étapes d'une mise à pied conservatoire
L'employeur doit informer le salarié immédiatement de la mise à pied conservatoire, en précisant les motifs qui la justifient, puis le convoquer à un entretien préalable pour lui permettre de se défendre.
Une notification orale ou écrite
Aucune condition de forme n'est imposée par le Code du travail quant à la notification d'une mise à pied conservatoire, contrairement à une mise à pied disciplinaire.
Ainsi, celle-ci peut être prononcée oralement ou par écrit.
Une notification écrite pour se ménager une preuve
En revanche, en cas de litige devant le Conseil de prud'hommes, pour des raisons de preuve, l'écrit reste le meilleur moyen d'attester du caractère conservatoire de la mise à pied.
De plus, le juge pourra accorder une attention particulière au fait que le caractère conservatoire de la mise à pied soit expressément indiqué par l'employeur sur le courrier indiqué au salarié. Néanmoins, le juge n'est pas lié par la qualification choisie par l'employeur (8).
Pour aller plus loin : Litige devant le Conseil des prud'hommes (CPH) : pouvez-vous utiliser un élément de preuve déloyal ?
Notre modèle de lettre de mise à pied conservatoire
La lettre de notification de la mise à pied conservatoire peut être envoyée en courrier recommandé avec accusé de réception, ou être remis en main propre contre décharge à l'employeur, afin de conférer date certaine à cette notification.
Quelles sont les étapes de la procédure disciplinaire suivant une mise à pied conservatoire ?
Une fois que le salarié est mis à pied à titre conservatoire, ce sont les étapes classiques d'une procédure disciplinaire qui doivent s'appliquer.
En général, pour les sanctions les plus lourdes (rétrogradation, licenciement, mise à pied disciplinaire, etc.), le salarié doit être convoqué à un entretien préalable, dans les délais légaux, et bénéficier d'un entretien afin de connaître les motifs de sa sanction.
Par exemple, l'employeur doit respecter la convocation à l'entretien préalable au licenciement lorsque cette issue est choisie.
Bon à savoir : la mise à pied conservatoire des salariés protégés doit faire l'objet d'une procédure spécifique.
Le salarié peut-il contester une mise à pied conservatoire et quels sont ses recours en cas de mise à pied injustifiée ?
Refus et contestation du salarié
Oui, le salarié peut refuser, et dans certains cas contester une mise à pied conservatoire, s'il estime que son comportement n'est pas fautif ou que son employeur ne respecte pas la procédure (durées trop longues, pas de procédure disciplinaire enclenchée, défaut de paiement de la période de mise à pied dans les cas prévus, etc.).
Parfois, le salarié peut réclamer le paiement des salaires injustement retenus, voire obtenir des dommages et intérêts en raison du préjudice subi.
⚠ Important : Le refus du salarié peut être considéré comme fautif si son comportement justifiait bien le prononcé d'une mise à pied conservatoire.
Notre modèle de lettre pour contester la mise à pied conservatoire
Avant d'initier tout litige devant le juge, le salarié peut songer, en premier lieu, à demander à son employeur de revenir sur sa décision.
La mise à pied conservatoire peut-elle être requalifiée en mise à pied disciplinaire ?
Si l'employeur ne respecte pas les étapes de la procédure d'une mise à pied conservatoire et ses modalités, celle-ci peut être requalifiée en mise à pied disciplinaire.
Dans ce cas, il ne sera pas possible de sanctionner le salarié une deuxième fois, en raison du princpe "non bis in idem" : nul ne peut être sanctionné deux fois pour les mêmes faits.
📌 Exemple : un employeur qui a prononcé une mise à pied conservatoire puis attendu 8 jours avant d'engager une procédure disciplinaire prend le risque de voir cette mesure préventive requalifiée en mise à pied disciplinaire (9).
Références :
(1) Article L1332-3 du Code du travail
(2) Cass. Soc. 13 mars 2024, n°22-20970
(3) Cass. Soc. 9 mars 2022, n°20-19744
(4) Cass. Soc. 8 novembre 2023, n°22-19049
(5) Cass. Soc. 3 février 2010, n°07-44491
(6) Cass. Soc. 15 mai 2024, n°22-17216
(7) Cass. Soc. 4 décembre 2012, n°11-27508
(8) Cass. Soc. 27 novembre 2019, n°18-15303
(9) Cass. Soc. 16 janvier 2019, n°17-15012
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