Dans cette affaire, un ouvrier d’une entreprise du bâtiment s’était vu reprocher à maintes reprises par son employeur de travailler sans harnais de sécurité et sans casque. Au vu de la répétitivité des faits, l’employeur envisageait de le licencier pour faute grave, voir lourde. À titre d’alternative, l’employeur lui avait toutefois proposé de renoncer à ce licenciement, moyennant la signature d’une rupture conventionnelle, ce que le salarié avait accepté. Ce dernier ne s’étant pas rétracté comme il aurait pu le faire, la relation contractuelle a été définitivement rompue.
Le salarié a alors contesté la validité de cette rupture conventionnelle, arguant du fait que, menacé d’un licenciement, il n’aurait pas eu d’autre choix que de signer une rupture conventionnelle et que cette pression qui pesait ainsi sur lui ne lui aurait pas permis de donner librement son consentement, de sorte que celui-ci était vicié.
La Cour d’appel de Toulouse déboute le salarié, ce que confirme la Cour de cassation dans un arrêt du 15 novembre 2023.
Par cet arrêt, la Cour rappelle tout d’abord le principe selon lequel l’existence d’un différend entre les parties n’affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture. Et, au cas d’espèce, la Cour constate que le salarié n’avait pas fait usage de son droit à rétractation et n’apportait pas la preuve que la rupture conventionnelle lui avait été imposée par son employeur. Le salarié est donc débouté.
La preuve du vice du consentement est déterminante
Les éléments de preuve produits par le salarié à l’appui d’une demande de nullité de la convention de rupture qu’il a signée sans se rétracter sont déterminants. Cet arrêt du 15 novembre 2023 est à rapprocher d’un arrêt plus ancien du 16 septembre 2015 (n° 14-13830), dans lequel la Cour de cassation avait, au contraire, jugé que le fait pour un salarié d’avoir signé une rupture conventionnelle sous la menace d’une procédure de licenciement constituait un vice du consentement.
Dans cette affaire de 2015, il était fait état que, dans un climat conflictuel entre les parties, le salarié avait reçu plusieurs courriers de mise en demeure lui intimant l’ordre de reprendre son poste, ou refusant de lui accorder des congés. Le salarié avait ensuite été convoqué à un entretien pour finaliser une rupture conventionnelle, mais aucune signature n’était alors intervenue. Postérieurement à cet entretien, le salarié avait été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un nouvel entretien en vue, cette fois-ci, d’un licenciement pour faute grave. Le même jour, il signait une rupture conventionnelle.
Dans cet arrêt 2015, le juge avait considéré, au vu des éléments de preuve rapportés par le salarié, que ce dernier n’avait pas d’autre alternative que de signer une rupture conventionnelle sous la contrainte ou d’être licencié et que les pressions exercées par l’employeur avaient vicié le consentement du salarié. Cette convention étant jugée nulle et de nul effet, elle produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A contrario en 2023, même si la cour rappelait l’existence d’un différend entre les parties au moment de la conclusion de la convention de rupture, elle relevait que l’ouvrier du bâtiment ne rapportait pas la preuve d’un vice du consentement.
L’arrêt précité du 15/11/2023 est également l’occasion de rappeler certaines règles en matière de vice du consentement dans les ruptures conventionnelles
Les 3 principes attachés à la rupture conventionnelle sont posés par l’article L. 1237-11 du Code du travail : elle doit intervenir d’un commun accord, elle ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties ; enfin, elle repose sur une convention signée des parties, dont les dispositions doivent garantir la liberté de leur consentement. Quant aux articles 1140 à 1143 du Code civil, ils définissent la notion de violence comme vice du consentement entraînant la nullité de la convention qui en est affectée.
Liberté du consentement, violence et état de santé du salarié : quelques rappels de jurisprudence
Depuis la création du dispositif de la rupture conventionnelle en 2008, la jurisprudence a posé un certain nombre de jalons, notamment sur la notion de liberté du consentement. On en donnera ici un bref aperçu :
Dans une affaire où le salarié avait accepté une rupture conventionnelle après que son employeur l’ait menacé de ternir la poursuite de son parcours professionnel et exercé sur lui une pression pour parvenir à cette solution, la rupture conventionnelle a été jugée nulle (Cass. Soc. 23/05/2013, n° 12-13865). Jugée également nulle la rupture conventionnelle signée dans un contexte où l’employeur avait fait pression sur le salarié en lui notifiant deux avertissements successifs et injustifiés, en le dévalorisant et en dégradant ses conditions de travail au point que cela avait eu des conséquences sur son état de santé Cass. Soc. 08/07/2020, n° 19-15441).
Un fait de violence morale caractérisée par du harcèlement moral et les troubles psychologiques qui en ont résulté peut conduire à l’annulation d’une convention de rupture (Cass. Soc. 30/01/2013, n° 11-22332).
A également été jugé nulle une convention de rupture, alors que la salariée qui en avait elle-même demandé la signature a pu démontrer que son consentement avait été altéré en raison de son état de santé ; en l’espèce, un trouble mental imputable à une tumeur. La salariée versait notamment deux certificats médicaux révélant que son consentement ne pouvait pas être considéré comme valable et que son état pathologique avait affecté sévèrement ses capacités de discernement au moment de la signature de la rupture conventionnelle (Cass. Soc. 16/05/2018, n° 16-25852).
Harcèlement moral lors de la signature de la rupture conventionnelle
Quant au harcèlement, il constitue un terrain risqué en matière de rupture conventionnelle.
Pour autant, le seul contexte de harcèlement moral lors de la signature de la convention ne suffit pas : encore faut-il que le salarié établisse cumulativement l’existence de faits de harcèlement et démontre que ces faits ont vicié son consentement (Cass. Soc. 30/01/2013, n° 11-22332 ; Cass. Soc. 23/01/2019, n° 17-21550).
La Cour de cassation a notamment jugé que la preuve était rapportée lorsque le salarié démontrait subir de son employeur, au moment de la signature de la convention et quasi quotidiennement, des propos déplacés et discriminatoires ayant entraîné des troubles psychologiques et constitutifs de harcèlement moral (Cass. Soc. 01/03/2023, n° 21-21345).
La Cour d’appel de Lyon a même jugé que constituait un acte de violence et un vice du consentement le fait pour l’employeur de signer une rupture conventionnelle avec un salarié sur lequel il exerçait un chantage par la promesse du versement d’un arriéré de salaire, faisant légitimement craindre à ce salarié qu’à défaut d’acceptation il ne serait jamais réglé de ses salaires impayés (CA Lyon, 21/01/2022, n° 19/04124, C. c/ Sté Jolidon France).
(Cass. Soc., 15 novembre 2023, n° 22-16957)
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