Est-ce que l'employeur peut supprimer les tickets restaurant pour certains télétravailleurs ?
Le Pôle social du Tribunal judiciaire de Nanterre, dans un arrêt du 10 mai 2021 a admis la possibilité pour l'employeur de supprimer le bénéfice des tickets restaurant pour des salariés qui ont été placés en télétravail suite au Covid même s'ils en bénéficiaient auparavant du fait de l'absence de restaurant d'entreprise sur l'un des sites de l'UES (1). À l'inverse, dans une autre affaire, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision contestant cette suppression le 30 mars 2021 (2).
Télétravail : la suppression des tickets-restaurant validée par le Tribunal de Nanterre
Par cette jurisprudence, le Tribunal a en effet estimé que la suppression des tickets-restaurant pour les télétravailleurs était valable et justifiée dans cette affaire.
Les salariés de l'UES, placés en télétravail, le sont à leur domicile et ne peuvent donc prétendre, en l'absence de surcoût lié à leur restauration, hors de leur domicile, à l'attribution de tickets restaurant.
En effet, l'objectif des titres-restaurant, dans cette entreprise, est "de permettre à ses salariés de faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile pour ceux qui seraient dans l'impossibilité de prendre leur repas à leur domicile".
Ils permettent, dans cette UES, de pallier le surcoût d'un repas pris à l'extérieur (les tickets-restaurant ne sont d'ailleurs pas dus aux salariés qui travaillent sur un site doté d'un restaurant d'entreprise).
Pour les juges, il existe ainsi 2 situations qui ne sont pas comparables et qui permettent de justifier l'attribution ou non des tickets-restaurant :
- d'un côté, il y a les télétravailleurs (qui sont à leurs domiciles), avec absence de surcoût lié à la restauration en extérieur ;
- de l'autre côté, il y a les travailleurs sur site, qui n'ont pas accès à un restaurant d'entreprise et qui ont donc un surcoût car ils doivent manger à l'extérieur.
Les juges considèrent donc qu'il n'y a pas d'inégalité de traitement puisque la situation des salariés en télétravail et des salariés sur site (sans restaurant d'entreprise) n'est pas comparable.
Le droit aux tickets restaurant pour les télétravailleurs reconnu par le Tribunal judiciaire de Paris
Pour le Tribunal judiciaire de Paris, les salariés en télétravail doivent recevoir des titres-restaurant lorsque les salariés sur site en reçoivent.
Pour rendre sa décision, le Tribunal se fonde sur l'article L1222-9 du Code du travail qui prévoit que les télétravailleurs doivent bénéficier des mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l'entreprise (3).
Le Tribunal se fonde également sur le principe d'égalité de traitement. L'employeur est en droit d'attribuer ou non les tickets restaurant aux salariés de son entreprise. S'il le fait pour certains salariés, il doit le faire pour tous les salariés de son entreprise, même s'ils ne travaillent pas au sein même des locaux de l'entreprise.
Cette position a d'ailleurs été reprise par la suite dans une autre affaire par la Cour d'appel de Douai, qui a estimé que le salarié qui ne dispose pas d'un restaurant d'entreprise doit avoir droit au ticket restaurant, peu importe qu'il ait un espace personnel pour préparer son repas. Dès lors, le télétravail n'est pas un critère de distinction objectif pour justifier une différence de traitement entre les salariés (4).
La position de la Cour de cassation sur le droit aux tickets restaurant pour les salariés en télétravail
La Cour de cassation a eu l'occasion de s'exprimer, le 24 avril 2024, sur le bénéfice des tickets restaurant pour les télétravailleurs non pas dans le cas d'une suppression de tickets restaurant, mais dans celui du bénéfice d'une indemnisation liée à la fermeture du restaurant d'entreprise pendant la pandémie. Cependant, cette décision permet de poser les critères objectifs sur lesquels les juridictions pourront s'appuyer à l'avenir (5).
Découvrez notre article : Mon employeur peut-il refuser de me mettre en télétravail ?
La distinction de situation objective des salariés sur site ou en télétravail
En l'espèce, les salariés qui travaillaient habituellement sur site ne bénéficiaient pas des tickets restaurant, car ils avaient accès à un restaurant d'entreprise. De ce fait, les télétravailleurs ne touchaient pas de tickets restaurant non plus. Néanmoins, lors de la fermeture temporaire du site pendant la Covid-19, les salariés sur site placés en télétravail ont bénéficié d'une indemnité compensatrice de la perte du service de restauration assimilable aux tickets restaurant. Le syndicat des salariés des mines et de l'énergie CGT a donc formulé une demande pour que les salariés qui étaient déjà habituellement en télétravail bénéficient aussi de cette indemnité en se fondant sur le droit à l'égalité de traitement.
La Cour de cassation a précisé que le principe d'égalité de traitement doit s'appliquer en tenant compte des circonstances particulières des salariés. En l'occurrence, l'employeur a versé cette indemnité pour compenser la perte du service de restauration qui n'a affecté que les salariés sur site et non les télétravailleurs qui n'ont pas eu de préjudice lié à cette situation.
Ce que cette jurisprudence implique pour l'attribution des tickets resto aux salariés en télétravail
En conséquence, la Cour de cassation reprend la logique déjà établie en la matière en estimant que si les salariés sur site ont un restaurant d'entreprise, les télétravailleurs n'ont pas le bénéfice du ticket restaurant.
On peut remarquer que cet arrêt retient surtout que la perte du service de restauration n'a pas entraîné de charge financière supplémentaire pour les télétravailleurs contrairement aux autres salariés.
Cela implique à l'inverse que si les salariés sur site touchent les tickets restaurants et qu'il n'y a pas de critères objectifs de distinction de leurs conditions de travail avec les télétravailleurs, ceux-ci doivent également avoir droit à les percevoir au titre de l'égalité de traitement.
Découvrez dans notre article quelles sont les obligations de l'employeur en matière de télétravail.
Comment le Code du travail est-il interprété par la Commission nationale des titres restaurant et l'URSSAF ?
La Commission nationale des titres restaurant est une instance de référence et de régulation en matière de titres restaurant. Sa position sur la question du droit au ticket restaurant ne suit pas celle de la jurisprudence du Tribunal de Nanterre. En effet, elle considère que les télétravailleurs doivent pouvoir bénéficier des titres-restaurant, de la même façon que les salariés travaillant au sein de l'entreprise peuvent en bénéficier.
En effet, le Code du travail ainsi que l'accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 prévoient que le télétravailleur dispose des mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l'entreprise (6).
Par ailleurs, selon l'URSSAF, le télétravailleur doit bénéficier des mêmes droits individuels et collectifs que ses collègues travaillant au sein de l'entreprise, et notamment en matière de rémunération ou encore d'avantages sociaux. Les conditions de travail de tous les salariés, qu'ils travaillent au sein de l'entreprise ou à leur domicile, doivent être les mêmes.
En conséquence, si les salariés, travaillant au sein de l'entreprise, bénéficient des titres-restaurant, il doit en être de même pour les salariés travaillant à leur domicile.
Le droit au ticket restaurant en cas de télétravail dans la fonction publique
Le Conseil d'Etat s'est également prononcé sur la question, bien que cela ne concerne que le terrain de la fonction publique, sa décision se fonde sur le Code du travail, et réaffirme le droit pour les agents en télétravail de bénéficier de tickets-restaurant au même titre que les autres dans le cas où il n'aurait pas eu le bénéfice d'un dispositif de restauration collective en travaillant sur site (7).
Références :
(1) Tribunal judiciaire de Nanterre, Pôle social, 10 mai 2021, n° 20/09616
(2) Tribunal judiciaire de Paris, 30 mars 2021, n°20/09805
(3) Article L1222-9 du Code du travail
(4) Cour d'appel de Douai, 14 April 2023, RG n° 21/00575
(5) Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 24 avril 2024, 22-18.031, Publié au bulletin
(6) Accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 relatif au télétravail
(7) Conseil d'Etat, 7 juillet 2022, n°457140
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