Qu'est-ce que le CDI intérimaire ?

Une réponse à la précarité de l'emploi

La finalité du CDI intérimaire : lutter contre la précarité. Le contrat de travail à durée indéterminée intérimaire a été instauré par un accord de branche signé le 10 juillet 2013, visant à sécuriser les parcours professionnels des salariés intérimaires, et a été étendu par un arrêté du 22 février 2014. 

Cadre légal du CDI intérimaire

Cependant un accord collectif ne pouvant instituer un contrat dérogatoire, tant l’accord collectif que l’arrêté ont été annulés par la Cour de cassation (Soc. 12 juill. 2018, n° 16-26.844) et le Conseil d’État (CE 28 nov. 2018, n° 379677).

Les premières réglementations (2013 - 2018)

La loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi a légalisé (sans rétroactivité) et généralisé ce dispositif à titre expérimental, jusqu’au 31 décembre 2018, à l’article 56.

Loi de 2018 et stabilisation du dispositif

La loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, outre une validation rétroactive des contrats « conclus entre le 6 mars 2014 et le 19 août 2015 sur le fondement du chapitre premier de l’accord du 10 juillet 2013 », a pérennisé le dispositif en l’insérant dans le code du travail aux articles L. 1251-58-1 et suivants.

L’objectif, comme souligné dans les travaux parlementaires, est de réduire la précarité des travailleurs intérimaires tout en garantissant une flexibilité pour les entreprises de travail temporaire, sans pour autant accroître la flexibilité pour les entreprises utilisatrices en matière de recours à l’intérim. Lors des débats au Sénat, à la séance du 16 juillet 2018 sur l’amendement n° 649, il a ainsi été rappelé que : « Au-delà du succès du dispositif auprès des acteurs du secteur, son expérimentation a montré que le CDI intérimaire était un contrat gagnant-gagnant : gagnant pour le salarié, qui bénéficie d’un cadre contractuel fixe qui réduit sa situation de précarité et permet d’assurer son employabilité grâce aux formations qui lui sont dispensées ; gagnant pour l’entreprise de travail temporaire, puisque le dispositif lui permet de continuer à offrir à ses clients la flexibilité attendue, tout en répondant à leurs besoins actuels et futurs en termes de compétences ».

Requalification du CDI intérimaire en CDI de droit commun

Critères de requalification

Le CDI intérimaire se définit comme un contrat conclu selon les conditions du droit commun entre une entreprise de travail temporaire et un salarié, visant à réaliser des missions successives non prédéterminées auprès d’entreprises utilisatrices. Les périodes d’intermission sont considérées comme du temps de travail effectif, avec une rémunération mensuelle minimum garantie. Cela instaure une relation triangulaire où les entreprises utilisatrices peuvent varier pour chaque mission.

Dans un arrêt du 25 janvier 2023, la Cour de cassation avait déjà refusé le renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité à la Constitution du dispositif de requalification-sanction prévu en matière de CDI intérimaire (Soc., QPC, 25 janv. 2023, n° 22-40.018). Par cet arrêt du 7 février 2024, c’est la première fois que la Cour de cassation est saisie d’une question sur le fond portant sur les conditions du CDI intérimaire et sur les sanctions applicables, notamment lorsque l’entreprise utilisatrice mobilise un salarié pour un cas de recours illicite. C’est dire l’importance de la solution, pour laquelle sont disponibles le rapport du conseiller et l’avis de l’avocat général sur le site de la Cour de cassation.

En l’espèce, une entreprise de travail temporaire a mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice un salarié suivant différents contrats de mission temporaire entre les 8 avril et 23 décembre 2015. Puis, le 13 janvier 2016, l’entreprise de travail temporaire et le salarié ont conclu un contrat à durée indéterminée intérimaire avec des mises à disposition successives auprès de la même entreprise utilisatrice entre le 13 janvier 2016 et le 31 mai 2019, puis auprès de deux autres entre les 5 juin et 12 juillet 2019 et entre les 29 juillet et 30 août 2019, en qualité de manutentionnaire.

Conséquences pour l'entreprise de travail temporaire et l'entreprise utilisatrice

Le salarié a saisi la juridiction prud’homale le 26 septembre 2019 pour obtenir la requalification de ses missions d’intérim en contrat à durée indéterminée auprès de la première entreprise utilisatrice et pour contester la rupture de la relation de travail avec celle-ci. Le 26 novembre 2019, il a été licencié par l’entreprise de travail temporaire.

Condamnée par les juges du fond, l’entreprise utilisatrice a formé un pourvoi en cassation au motif principal que, si les missions effectuées par le salarié dans ce cadre sont régies par les articles L. 1251-5 à L. 1251-63 du code du travail, à l’exception de certaines dispositions parmi lesquelles ne sont pas mentionnées celles de l’article L. 1251-40 du code du travail, la requalification avec l’entreprise utilisatrice est nécessairement exclue dans la mesure où le salarié intérimaire ne peut être lié, pour une même prestation de travail, par deux contrats à durée indéterminée distincts ; à titre subsidiaire, l’entreprise a défendu l’argument selon lequel, à admettre que le salarié lié à l’entreprise de travail temporaire par un contrat de travail à durée indéterminée temporaire intérimaire puisse solliciter la requalification auprès de l’entreprise utilisatrice, le fait, pour celle-ci, de cesser de fournir du travail au salarié au terme d’une mission conclue dans le cadre d’un tel contrat ne peut s’assimiler à une rupture produisant les effets d’un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.

La société soutient qu’un salarié lié par un contrat à durée indéterminée intérimaire avec l’entreprise de travail temporaire ne peut obtenir, à la fois de l’entreprise de travail temporaire et de l’entreprise utilisatrice, les indemnités de rupture et les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en raison des mêmes missions effectuées au sein de l’entreprise utilisatrice.

Droits du salarié en cas de requalification

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi par une motivation particulièrement développée.

D’abord, elle reprend et synthétise l’article 56 de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, disposant qu’« une entreprise de travail temporaire peut conclure avec le salarié un contrat à durée indéterminée pour l’exécution de missions successives. Chaque mission entraîne la conclusion d’un contrat de mise à disposition entre l’entreprise de travail temporaire et l’entreprise utilisatrice, ainsi que l’établissement d’une lettre de mission par l’entreprise de travail temporaire. Le contrat de travail est régi par les dispositions du code du travail relatives au contrat à durée indéterminée, sous réserve des dispositions du présent article. Les missions effectuées par le salarié lié par un contrat de travail à durée indéterminée avec l’entreprise de travail temporaire sont régies notamment par les articles L. 1251-5, L. 1251-6 et L. 1251-40 du code du travail. Pour l’application des dispositions de l’article L. 1251-5, les mots : contrat de mission sont remplacés par les mots : lettre de mission ». C’est donc la question de la requalification de chacun des contrats d’application que sont les contrats de mission qui est en cause et que le dispositif CDI intérimaire n’exclut pas pour la Cour de cassation.

À cet effet, le principe général posé à l’article L. 1251-5 du code du travail s’impose : « le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice ». L’article L. 1251-6 du même code précise la règle générale en indiquant que « sous réserve des dispositions de l’article L. 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée « mission » et seulement dans les cas énumérés, parmi lesquels l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ». Et la Cour de cassation de rappeler que, selon l’article L. 1251-40 du même code, « lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions, notamment, des articles L. 1251-5 et L. 1251-6, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission ».

Ensuite, de l’ensemble de ces textes, la Cour de cassation déduit deux règles majeures :

  1.  « lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en violation des dispositions visées par l’article L. 1251-40, le salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière, y compris lorsqu’il a conclu avec l’entreprise de travail temporaire un contrat à durée indéterminée intérimaire » ;
  2.  « nonobstant l’existence d’un contrat à durée indéterminée intérimaire, la rupture des relations contractuelles à l’expiration d’une mission à l’initiative de l’entreprise utilisatrice s’analyse, si le contrat est requalifié à son égard en contrat à durée indéterminée, en un licenciement qui ouvre droit, le cas échéant, à des indemnités de rupture ».

Enfin, la Haute juridiction confirme l’arrêt d’appel la cour ayant « énoncé à bon droit que, nonobstant la signature d’un contrat à durée indéterminée intérimaire par le salarié, ce dernier peut solliciter, d’une part, la requalification des missions qui lui sont confiées en contrat à durée indéterminée de droit commun à l’égard de l’entreprise utilisatrice, au motif qu’elles ont eu pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de celle-ci, d’autre part, à l’égard de l’entreprise utilisatrice, par suite de cette requalification, comme de l’entreprise de travail temporaire en raison de son licenciement dans le cadre du contrat à durée indéterminée intérimaire, diverses sommes au titre des deux ruptures injustifiées, dès lors que l’objet des contrats n’est pas le même, y compris lorsque les ruptures interviennent à des périodes concomitantes après la fin d’une mission auprès de l’entreprise utilisatrice ». En l’occurrence, « après avoir constaté que le motif de recours n’était pas justifié pour la période antérieure à l’année 2016, la cour d’appel a exactement retenu que les missions exercées par la salariée auprès de l’entreprise utilisatrice devaient être requalifiées en contrat à durée indéterminée à compter du 8 avril 2015 » ; « après avoir relevé que l’entreprise utilisatrice avait mis fin aux relations contractuelles le 31 mai 2019 », « la rupture du contrat de travail, intervenue sans procédure de licenciement, s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse justifiant que soient allouées à la salariée des sommes au titre des indemnités de rupture et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

L'impact de la jurisprudence récente sur le CDI intérimaire

Arrêts majeurs et décisions récentes

 La position de la Cour de cassation est pleinement justifiée. D’abord, l’argument selon lequel l’article L. 1251-40 du code du travail ne serait pas applicable est mal fondé. Le § IV de l’article 56 de la loi précitée dispose que « les missions effectuées par le salarié lié par un contrat de travail à durée indéterminée avec l’entreprise de travail temporaire sont régies par les articles L. 1251-5 à L. 1251-63 du code du travail, sous réserve des adaptations prévues au présent article et à l’exception des articles L. 1251-14, L. 1251-15, L. 1251-19, L. 1251-26 à L. 1251-28, L. 1251-32, L. 1251-33 et L. 1251-36 du même code ». Le nouvel article L. 1251-58-4 du code du travail procède au même renvoi. Il ressort clairement que le texte organisant la requalification-sanction de la relation avec l’entreprise utilisatrice n’est pas exclu. Déjà, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, la Cour de cassation avait, le 25 janvier 2023, refusé de transmettre la question au motif que les dispositions combinées des articles L. 1251-58-4, L. 1251-5 et L. 1251-40 du code du travail « sont justifiées par un motif d’intérêt général de lutte contre la précarité pouvant résulter du recours abusif à l’emploi du travail temporaire, de sorte qu’elles ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et au droit au maintien des conventions légalement conclues » (Soc., QPC, 25 janv. 2023, n° 22-40.018 B, préc.).

Ensuite, il résulte de la prohibition du recours au travail temporaire énoncée à l’article L. 1251-5 du code du travail que son utilisation est limitée par l’article L. 1251-6 du même code, applicable au CDI intérimaire par renvoi, à « l’exécution d’une tâche précise et temporaire » et à des cas déterminés, tenant pour l’essentiel :

  • (i) au remplacement d’un salarié, d’un chef d’entreprise ou d’une exploitation agricole ;
  • (ii) à l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ;
  • (iii) à des emplois de caractère saisonnier en raison de la nature de l’activité exercée et de leur caractère par nature temporaire.

Implications pour les employeurs et salariés intérimaires

En cas de litige sur le motif du recours au travail temporaire, c’est à l’entreprise utilisatrice qu’il incombe de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat (Soc. 12 nov. 2020, n° 18-18.294 ; D. 2020. 2294  ; ibid. 2021. 1152, obs; 10 oct. 2018, n° 16-26.535 ; 15 sept. 2010, n° 09-40.473 B. À défaut, le salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits afférents à un CDI prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière (Soc. 11 mai 2022, n° 20-12.271, Dr. soc. 2022. 947,). La rétroactivité qui en découle implique que l’ancienneté du salarié sera évaluée à partir de cette date.

Conformément au principe de l’unicité de la requalification, le salarié a droit à une indemnité de requalification unique pour toute la période concernée, à la charge exclusive de l’entreprise utilisatrice, même si la succession de contrats a été interrompue pendant plusieurs mois. (Soc. 15 mars 2006, n° 04- 48.548). Le salarié intérimaire bénéficiaire de la requalification étant considéré ab initio comme titulaire d’un CDI à l’égard de l’entreprise utilisatrice, la rupture par cette dernière de ce nouveau contrat, notamment par la non-fourniture d’une prestation de travail, lui impose de faire application des règles du licenciement, avec toutes les conséquences indemnitaires afférentes, notamment le paiement d’une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’une indemnité de préavis, s’ajoutant à l’indemnité de précarité (Soc. 30 mars 2005, n° 02-45.410 P), voire le cas échéant d’une indemnité de congés payés sur préavis et d’une indemnité conventionnelle de licenciement (Soc. 25 mai 2005, n° 02-44.468). L’entreprise utilisatrice peut en outre être condamnée au remboursement à l’organisme gestionnaire du régime d’assurance chômage des indemnités de chômage éventuellement payées au salarié (Soc. 18 oct. 2007, n° 06-43.771).

Nos conseils juridiques pour les entreprises et les salariés intérimaires

Enfin, en raison de la distinction des rapports de droit entre l’entreprise de travail temporaire (responsable notamment des règles de forme du contrat) et l’entreprise utilisatrice (responsable de la licéité des cas de recours) pouvant entraîner la violation de règles distinctes, le salarié est en droit d’exercer deux actions concurrentes :

  • l’une pour la requalification de la relation de travail à l’encontre de l’entreprise utilisatrice,
  • et l’autre pour la requalification du contrat ou la contestation de la rupture contre l’entreprise de travail temporaire. (Soc. 20 mai 2009, n° 07-44.755, lesquelles relèvent de deux fondements différents, ce qui impose aux employeurs de répondre parfois in solidum des conséquences de la rupture du contrat (Soc. 12 nov. 2020, n° 18-18.294,  ; et 12-11.954).

Le fait que, dans un CDI intérimaire, une nouvelle mission puisse être confiée au salarié auprès d’une autre entreprise utilisatrice ne saurait faire obstacle à l’exercice cumulé d’actions en justice, car la nouvelle lettre de mission constitue un nouveau rapport de droit, distinct des autres (également susceptible d’être contesté).

La solution rendue s’inscrit donc pleinement dans la finalité du dispositif : « l’objectif d’une relation de travail stabilisée entre le salarié et l’entreprise de travail temporaire attaché au CDII s’inscrit dans celui plus large, confirmé par les travaux parlementaires de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, d’une lutte contre le recours abusif au travail précaire, en partie imputable à l’employeur en cas de délégation d’un salarié intérimaire pour un emploi durable et permanent, ce qui justifie l’application d’une sanction dissuasive à l’égard de l’entreprise utilisatrice et réparatrice pour le travailleur » (avis de l’avocat général Hemel, p. 8).

Avant d’établir un contrat de travail et en cas de doute sur les dispositions légales qui encadrent votre projet de recrutement, contactez notre cabinet d’avocat spécialisé en droit du travail pour être accompagné dans l’établissement de vos actes.