Quelle est la place de la religion dans le privé ?
Si les agents publics ne doivent pas manifester leurs convictions religieuses à l’égard des usagers et de leurs collègues, ni faire prévaloir leur préférence pour une religion, les salariés des entreprises privées ont la liberté de manifester leurs convictions religieuses en entreprise.
En effet, le principe de neutralité s’applique à l’Etat et à ses agents dans leurs relations avec les citoyens et aux agents employés par des entreprises privées gérant un service public.
Quant aux entreprises privées, elles ne sont pas tenues à une obligation de neutralité.
💡 Bon à savoir : le principe de neutralité s’entend comme l’absence de manifestation des convictions religieuses des salariés en entreprise. |
Les entreprises privées doivent, au contraire, respecter la liberté de leurs salariés, ainsi que de leurs clients, de manifester leur religion, dans les limites du bon fonctionnement de l’entreprise.
Cependant, la liberté de manifester ses convictions religieuses en entreprise peut faire l’objet de restrictions par l’employeur.
Quoi qu’il en soit, le prosélytisme (attitude d’une personne tentant d’imposer ses convictions, notamment religieuses, à d’autres) en entreprise est interdit.
Peut-on restreindre la liberté religieuse des salariés ? Doit-elle être prévue dans le règlement intérieur ?
Par principe, l'employeur ne peut pas apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché (1).
À ce titre, la liberté religieuse fait partie de ces libertés individuelles.
D’ailleurs, le règlement intérieur de l’entreprise ne peut contenir des dispositions apportant de telles restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des salariés, pas plus qu’il ne peut contenir de dispositions discriminant les salariés en raison notamment de leurs convictions religieuses (2).
Néanmoins, le règlement intérieur d'une entreprise peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions religieuses des salariés si ces restrictions sont justifiées (3) :
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par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ;
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ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché.
Ces restrictions doivent être applicables à l'ensemble des religions, sinon, l'entreprise commet une discrimination basée sur les croyances religieuses (4).
Exemples : L’exigence de neutralité dans l’entreprise peut être justifiée pour les raisons suivantes :
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Puis-je interdire au salarié de porter un vêtement ou un signe religieux (croix, voile, kippa...) en entreprise ?
Comme expliqué plus haut, le port d’un vêtement ou d’un signe religieux en entreprise est en principe autorisé.
Mais, il faut savoir que la liberté du salarié de se vêtir pendant le temps de travail et sur le lieu de travail n’est pas une liberté fondamentale.
En effet, en tant qu’employeur, vous avez tout à fait la possibilité d’interdire au salarié de porter un vêtement ou un signe religieux dans l’entreprise dès lors que cette interdiction est prévue dans le règlement intérieur et qu'elle est justifiée.
Cette interdiction peut être justifiée notamment pour des raisons de sécurité, de santé ou d’hygiène.
Exemples :
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⚠ Soyez vigilant quant à la manière dont vous formulez cette restriction. En effet, la tenue ou le signe religieux ne doit pas être interdit en raison de son caractère religieux, mais bien en raison des conséquences que peut avoir le port de celui-ci en matière de sécurité, d’hygiène ou d’organisation du travail.
Si le règlement intérieur ne prévoit aucune disposition en la matière, vous pouvez interdire le port d'un signe ou d'un vêtement religieux uniquement si vous êtes en mesure de démontrer l'existence d'une exigence professionnelle essentielle et déterminante (6). Autrement dit, il faut que le port d'un signe ou d'un vêtement religieux empêche la bonne exécution du travail.
Ce qu'il faut retenir, c'est que l'interdiction du port de vêtements ou signes religieux doit être justifiée. Hormis les cas évoqués précédemment, il n'est donc pas possible de porter atteinte aux droits des salariés.
Puis-je sanctionner un salarié qui s’absente sans autorisation pour motif de fête religieuse ? (Aïd el-Fitr, Yom Kippour...)
Toute absence non autorisée, quel qu’en soit le motif (religieux ou non), est constitutive d’une faute. Ainsi, un salarié qui s’absente sans autorisation de son travail pour assister à une fête religieuse peut être valablement sanctionné.
Néanmoins, la sanction retenue à son encontre doit être proportionnée. En tant qu’employeur, il vous faut tenir compte des conséquences de son absence à l’égard des autres salariés de l’entreprise ou des clients de l’entreprise, du caractère exceptionnel ou répétitif de ce type de comportement.
💡 Bon à savoir : certaines conventions collectives prévoient des jours de congés exceptionnels pour évènements familiaux afin de permettre aux salariés de s'absenter pour célébrer une fête religieuse.
Dois-je accepter une demande d'autorisation d'absence ou de congé pour permettre au salarié de pratiquer sa religion ?
Pour pratiquer sa religion, le salarié peut être amené à demander des congés payés ou l'aménagement des horaires de travail.
En tant qu'employeur, vous n'avez aucune obligation d'accepter. L'aménagement du temps de travail et l'acceptation des demandes de congés relèvent de votre pouvoir de direction.
Quoi qu'il en soit, votre refus ne doit pas être abusif et être justifié notamment par la bonne marche de l'entreprise. Vous devez prendre votre décision au regard de l'organisation du travail et des nécessités de service au sein de votre entreprise, et non en raison du motif religieux de la demande.
Par ailleurs, le fait que vous ayez accordé un congé à un salarié qui en a fait la demande en invoquant un motif religieux, ne vous oblige pas à faire droit à la demande d'un autre salarié pour le même motif dès lors que votre refus est motivé par le bon fonctionnement de l'entreprise.
Un salarié refuse de réaliser l'exécution d'une tâche en raison de ses convictions religieuses, que faire ?
Lorsqu'un salarié refuse d'exécuter une tâche en raison de ses convictions religieuses, cela constitue une faute. L'employeur est alors en droit de sanctionner le salarié fautif via la procédure classique.
Cependant, l'exécution d'une tâche ne doit pas être de nature à mettre en danger le salarié.
Exemple : Ne peut être licencié un salarié qui refuse de prendre en charge un projet devant se dérouler au Moyen-Orient, compte tenu des risques que la réalisation de ce projet aurait fait courir à sa sécurité, en raison de sa confession religieuse, dès lors que ce risque était bien réel et qu'il en avait préalablement alerté un moment de l'entreprise (7). |
Le fait de parler de religion peut-il être sanctionné ? Qu'en est-il du prosélytisme au travail ?
Vos salariés ont le droit de parler de religion au travail. Vous ne pouvez pas leur interdire de tenir une conversation personnelle et ce, quel qu’en soit le thème (religion, politique, sexualité…).
Le fait de parler de religion au travail ne peut donc, en tant que tel, être sanctionné.
Néanmoins, la liberté d'expression au travail a des limites. En effet, si ces conversations sont de nature à provoquer un trouble objectif dans l’entreprise ou constituent une faute, il en va différemment.
Exemples :
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L'employeur est-il tenu de mettre à disposition des salariés une salle de prière pour qu'ils puissent pratiquer leur religion ?
L'employeur n'est pas tenu de mettre une salle de prière sur le lieu de travail à disposition des salariés. Mais, rien ne lui interdit non plus de le faire si plusieurs salariés le lui demandent.
En revanche, s'il répond favorablement à cette demande aux salariés d'une religion, il doit le faire pour toutes les religions. Un refus opposé aux salariés d'une religion et pas à ceux d'une autre religion serait discriminatoire.
Références :
(1) Article L1121-1 du Code du travail
(2) Article L1321-3 du Code du travail
(3) Article L1321-2-1 du Code du travail
(4) Article L1132-1 du Code du travail
(5) CJUE, 15 juillet 2021, affaires C-804-18 et C-341-19
(6) Cass. Soc, 14 avril 2021, n°19-24079
(7) Cass. Soc, 12 juillet 2010, n°08-45509
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