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Arrêt de complaisance & burn-out

Dans une décision du 23 janvier 2025, la Conseil d'État a sanctionné un médecin qui avait mentionné que le burn-out du salarié était "en lien exclusif avec les conditions de travail"

Qu'est-ce qu'un arrêt de travail de complaisance ?

Le Code de la santé publique prévoit que "la délivrance d'un rapport tendancieux ou d'un certificat de complaisance est interdite" (1).

Les arrêts maladie de complaisance constituent des arrêts prescrits par des médecins de manière abusive, sans justifications médicales réelles. Ces arrêts sont octroyés à des salariés qui en font la demande pour des raisons non médicales, telles que des motivations personnelles ou professionnelles.

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Les chiffres des arrêts de travail en France

Selon le baromètre annuel publié par Malakof Humanis 2023 (2), l’absentéisme pour maladie aurait atteint en 2022 un niveau record, avec 50% de salariés arrêtés au moins une fois (55% chez les salariées).

Réalisé à partir des données issues des DSN (Déclarations Sociales Nominatives) de 2196 entreprises sur une période 5 ans, le baromètre de Willis Towers Watson (WTW) 2024 révèle une baisse de l’absentéisme en 2023 par rapport à 2022 (3). 

Toutefois, le niveau d’absentéisme n’en était pas moins important en 2023, plus spécifiquement chez les jeunes, les femmes et les managers, toujours selon Malakohh Humanis (4). L'étude indique que si elles ont été longtemps préservées, notamment par un engagement des salariés plus important, les TPE et PME (très petites et petites/moyennes entreprises) sont aujourd’hui tout autant touchées.

En attendant les chiffres de l'année, le directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), Thomas Fatôme, s'est prononcé sur le coût des arrêts de travail au premier semestre 2024, en hausse de 8,5 % sur un an.

📌 Ces chiffres sont-ils à mettre en corrélation avec l'état de santé mentale des salariés français ?

Peut-être, à en croire ledit baromètre Humanis (2) qui constate que les maladies ordinaires avec un ancrage des arrêts pour motif psychologique ont pris le pas sur les arrêts liés au Covid .

La hausse significative des arrêts maladie longue durée pour troubles psychologiques (toujours devant les troubles musculo-squelettiques) semble en corrélation avec les chiffres du 12e baromètre du cabinet Empreinte Humaine avec OpinionWay, selon lesquels la détresse psychologique toucherait désormais 48 % des salariés, dont 17 % de manière très élevée (5).

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Le médecin traitant est-il fondé à arrêter un salarié pour burn-out (épuisement professionnel) sans avoir échangé avec le médecin du travail ?

Dispositions relatives aux devoirs des médecins

Les médecins sont tenus de mentionner sur la prescription d'arrêt de travail destinée au service du contrôle médical, "les éléments d'ordre médical justifiant l'interruption de travail " (6).

Rappel : ils ont interdiction d'établir un rapport tendancieux ou un certificat de complaisance.

Dans ses recommandations de bonne pratique, la Haute Autorité de santé (HAS) souligne l'importance notamment, d'un échange entre la médecine du travail et le médecin traitant pour le repérage du syndrome d'épuisement professionnel - avec l'accord du patient.

La position du Conseil d'État

👨‍⚖️ Décision du 28 mai 2024

Le Conseil d'État s'est prononcé en faveur de l'annulation de la décision de la chambre disciplinaire de l'ordre des médecins, qui sanctionnait un praticien ayant arrêté un salarié pour burn-out sans concertation avec le médecin du travail (7).

La chambre se fondait sur les recommandations de la HAS pour considérer que la médecin avait méconnu l'obligation déontologique en se fondant sur les seules déclarations de la patiente - indiquant que son stress et son angoisse trouvaient leur origine dans son activité professionnelle - pour prolonger son arrêt. 

La motivation de la chambre n'a pas été retenue par le Conseil d'État qui a estimé que "l'existence d'un syndrome d'épuisement professionnel sans disposer de l'analyse des conditions de travail du salarié émanant notamment du médecin du travail ne saurait caractériser l'établissement d'un certificat tendancieux ou de complaisance".

Cette décision appuie la légitimité du médecin traitant à prescrire, en toute autonomie, un arrêt de travail pour détresse psychologique au travail. 

👨‍⚖️ Décision du 23 janvier 2025

Toutefois, le Conseil d'État nous a récemment rappelé que le médecin doit rester prudent dans le choix des termes utilisés sur l'arrêt de travail du salarié (8). En l'espèce, le médecin prescripteur avait indiqué la mention  "Burn-out en lien exclusif avec les conditions de travail", ce qui, selon le Conseil d'État, n'avait pas pu être constaté par lui-même. La plainte ordinale déposée par l'entreprise concernée a ainsi conduit à la sanction du médecin.

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Les arrêts maladie pour burn-out sont souvent longs : prévenez-les et faites le point sur les dispositions en vigueur, expliquées dans ce dossier.

Comment contrôler un salarié en arrêt maladie ? L'employeur peut-il organiser une contre-visite médicale ?

Oui. L'employeur qui doute de la sincérité de l'arrêt maladie présenté par l'un de ses salariés peut organiser une contre-visite médicale ayant pour objet de contrôler l'effectivité de la maladie du salarié (9). La contre-visite est effectuée par un médecin qui se prononce sur le caractère justifié de l'arrêt de travail, y compris sa durée.

Un décret du 5 juillet 2024 a apporté des précisions sur les obligations du salarié et de l'employeur (10). 

Exemple : le salarié doit communiquer à l'employeur, dès le début de l'arrêt de travail délivré ainsi qu'à l'occasion de tout changement, son lieu de repos s'il est différent de son domicile et, s'il bénéficie d'un arrêt de travail portant la mention “ sortie libre ”, les horaires auxquels la contre-visite.

La campagne de l'Assurance maladie pour contrôler les médecins prescripteurs et les mesures gouvernementales

Face aux appels de certains employeurs et à l'augmentation du nombre d'arrêts de travail de complaisance, l'Assurance maladie a pris l'initiative de lancer une campagne de contrôle visant à identifier et à sanctionner les médecins prescripteurs qui ne respectent pas les règles en matière d'arrêts maladie. 

L’institution rappelle qu'elle met tout en œuvre pour :

  • détecter de manière efficace les arrêts de travail falsifiés ;
  • empêcher toute pratique frauduleuse (usurpation d’identité du prescripteur, par exemple) ;
  • faire fermer les sites internet qui en proposent.

L'envoi de courriers d'avertissement aux "gros prescripteurs"

Les premières actions de la campagne ont ciblé les médecins qualifiés de "gros prescripteurs", qui représentent environ 2 % de la profession médicale. Ces praticiens ont été identifiés comme accordant un nombre d'arrêts de travail excessif par rapport à la moyenne de leurs confrères. Ils ont ainsi reçu des courriers d'avertissement de la part de l'Assurance maladie, les mettant en garde contre ces pratiques abusives.

La mise sous objectifs des médecins qui ne respectent pas les règles 

L'Assurance maladie a décidé de mettre sous objectifs les médecins prescripteurs qui ne se conforment pas aux règles établies pour la délivrance des arrêts de travail.

Ces "mises sous objectifs" visent à inciter les médecins à réduire le nombre d'arrêts de travail qu'ils prescrivent de manière excessive.

Le durcissement des conditions d'indemnisation des salariés entre deux arrêts

L’Assurance maladie a supprimé, par une circulaire du 15 octobre 2024, le versement des indemnités journalières (IJ) durant les périodes de repos non prescrites entre deux arrêts de travail (11).

En cas de prolongation d’un arrêt de travail débutant à la suite d’un week-end ou d’un jour férié, les caisses n’indemnisent plus ces jours de repos non inclus dans un arrêt :

  • si l’interruption est inférieure ou égale à 48 heures, le versement des indemnités journalières de la  Sécurité sociale (IJSS) s'interrompt et reprend au premier jour du nouvel arrêt de travail sans délai de carence ;
  • si l’interruption est supérieure à 72 heures, non seulement ces jours de repos ne sont pas indemnisés, mais le versement des IJ ne reprend qu’après application du délai de carence de 3 jours dans la mesure où ce 2e arrêt de travail est considéré comme un arrêt initial.  

Des restrictions en cas de prescription ou de renouvellement d'un arrêt de travail par téléconsultation

Depuis 2024, la loi prévoit que lors d'un acte de télémédecine, la prescription ou le renouvellement d'un arrêt de travail - sauf exceptions (12) :

  • ne peut porter sur plus de 3 jours ;
  • ni avoir pour effet de porter à plus de 3 jours la durée d'un arrêt de travail déjà en cours.

📑 Vous êtes salarié ? Cet article peut vous intéresser : Arrêt maladie, délai et jours de carence : vos droits et la procédure

Le développement des arrêts de travail dématérialisés

L’avis d’arrêt de travail (AAT) dématérialisé, télétransmis via amelipro ou les logiciels agréés et compatibles, constitue, selon l'Assurance maladie, le vecteur le plus sécurisé et le moyen le plus efficace pour éviter les fraudes et les usurpations. Il offre des conditions de sécurité maximales.

À noter : les arrêts de travail dématérialisés représentent à ce jour 70 % de l’ensemble des arrêts de travail envoyés aux caisses primaires d’assurance maladie (CPAM).

Le déploiement prochain de cyber-enquêteurs

Au-delà des AAT sécurisés, l’Assurance Maladie a intensifié ses contrôles sur les arrêts de travail. Elle affirme que ces contrôles vont encore s'accroître en 2025 avec le déploiement des cyber-enquêteurs, dont l’une des priorités sera de veiller aux nouveaux types de fraudes et de mettre un terme aux trafics.

Concernant les sites internet vendant des arrêts de travail frauduleux, l’Assurance Maladie mène, dès qu’elle a connaissance de leur existence, toutes les actions possibles - y compris en saisissant les autorités judiciaires - pour les faire fermer et mettre fin à leur activité illicite.

Controverses et réactions des parties prenantes

La lutte contre les arrêts de travail de complaisance et les mesures suscitées ont suscité diverses réactions parmi les acteurs impliqués, notamment de la part des syndicats de médecins.

Stigmatitsation de la profession

Les médecins estiment que cette campagne est une stigmatisation injuste de leur profession. Ils considèrent que les médecins ne sont pas les seuls responsables de la hausse des arrêts de travail. Les syndicats appellent à refuser la mise sous objectifs et soulignent que les médecins ne font pas d'arrêts de travail de complaisance, mais qu'ils agissent dans l'intérêt de leurs patients.

Proposition d'une approche alternative

Les médecins "de ville" ont en conséquence proposé une approche alternative pour résoudre le problème des arrêts de travail de complaisance. Ils suggèrent de s'intéresser davantage aux entreprises dans le cadre desquelles de nombreux arrêts de travail sont délivrés, afin d'identifier les causes sous-jacentes de cette augmentation. En travaillant sur la qualité de vie et les conditions de travail (QVCT) et en améliorant la prise en charge des salariés, ils estiment qu'il serait possible de réduire le nombre d'arrêts de travail de manière plus efficace.

Au-delà des controverses, le débat sur les arrêts de travail de complaisance met en lumière des enjeux plus larges liés à la protection sociale et au bien-être des salariés.

La question de l'équilibre entre la régulation des dépenses et la préservation de la santé et du bien-être des travailleurs reste au cœur de cette problématique.

📑  À lire aussi : Réforme sur la prévention de la santé au travail : l'essentiel

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Une concertation prévue sur la santé et les conditions de travail

La ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, a annoncé, le 15 janvier 2025, l’organisation d’une « concertation sur la santé et les conditions de travail » en mars prochain.

L’objectif de cette concertation porterait tant sur la santé physique que la santé mentale au travail, afin  de voir comment les conditions de travail, la santé au travail, la médecine, la prévention, les organisations de travail et les pratiques managériales favorisent, ou non, le bien-être au travail. Cette concertation réunira les partenaires sociaux et des chercheurs.

Le directeur général de la CNAM a invité l’État et les partenaires sociaux à "se remettre autour de la table", tout en impliquant les médecins et l’Assurance maladie : "Il faut réfléchir à un nouveau système d'indemnisation des arrêts de travail plus soutenable financièrement mais aussi plus juste. Est-il normal qu'aujourd'hui un salarié soit moins bien couvert parce qu'il n'a pas six mois d'ancienneté ? Est-il normal que les jours de carence soient la plupart du temps couverts pour les salariés dans les grandes entreprises mais pas dans les petites ?", s’est-il interrogé.

Sources : 

(1) Article R4127-28 du Code de la santé publique
(2) "Regards croisés salariés et dirigeants face à l’arrêt maladie" : études réalisées auprès d’échantillons représentatifs de la population active salariée du secteur privé, en France, dans les entreprises d’au moins 1 salarié
(3) Baromètre Absentéisme Privé : rapport 2024 - Résultats du Baromètre Absentéisme Privé 2024 ; Willis Towers Watson (WTW) 
(4) Baromètre Absentéisme 2024 : "Les TPE et PME plus que jamais concernées" Malakohh Humanis, Données recueillies en 2024 sur l’absentéisme de l’année 2023
(5) Baromètre cabinet Empreinte Humaine, novembre 2023
(6) Article L162-4-1 du Code de la Sécurité sociale
(7) Conseil d'État, 4e - 1re chambres réunies, 28 mai 2024, n°469089
(8) Conseil d'État, 4e Chambre, 23 janvier 2025, n°494065
(9) Article R1226-11 du Code du travail
(10) Décret n°2024-692 du 5 juillet 2024 relatif à la contre-visite mentionnée à l'article L. 1226-1 du code du travail
(11) Circulaire du 15 octobre 2024 - LETTRE-RÉSEAU LR-DDO-109/2024
(12) Article L6316-1 du Code de la Santé publique