La rémunération versée à l’associé d’une société de personnes, à raison de l’activité déployée dans cette dernière, est-elle déductible des résultats de la société dans le cas où l’associé cède ses parts avant la clôture de l’exercice ? Telle est la question inédite soulevée devant le Conseil d’État, qui y répond par la négative.
Il juge que cette rémunération constitue un élément du prix de cession de ces parts, prélevé par le cessionnaire sur la quote-part des bénéfices qui lui revient à la clôture de l’exercice.
I. La réintégration de la rémunération dans les résultats imposables par l'administration
Dans la présente affaire, les faits étaient les suivants. À l’occasion de la transformation d’un groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec), dont étaient associés un père et son fils, en exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL), le père avait cédé la totalité de ses parts à son fils et à l’épouse de ce dernier.
L’associé sortant avait perçu une rémunération à raison de l’activité qu’il avait exercée au sein du Gaec entre le 1er juillet 2010 (date d’ouverture de l’exercice) et le 31 décembre 2010 (date d’effet rétroactif de la transformation).
Estimant que cette rémunération n’était pas déductible des résultats réalisés par l’EARL au cours de l’exercice clos le 30 juin 2011, l’administration a procédé à la réintégration de cette somme dans ces résultats imposables entre les mains des associés présents à la clôture de l’exercice.
Tant le tribunal administratif de Rennes (TA Rennes, 15 janv. 2020, n° 1800256) que la cour administrative d’appel de Nantes ont donné raison à l’administration (CAA Nantes, 16 nov. 2021, n° 20NT00908).
II. La rémunération versée à l’associé sortant constitue un élément du prix de cession de ses parts
Le Conseil d’État considère de longue date que la rémunération versée à un associé d’une société de personnes présent à la clôture de l’exercice, à raison de l’activité qu’il déploie dans la société, ne constitue pas une charge déductible des résultats de la société. Cette rémunération est regardée comme une modalité particulière de répartition des bénéfices sociaux convenue entre les associés et complétant sur ce point les stipulations du pacte social (notamment CE plén., 31 mars 1978, n° 2233 ; CE, 29 janv. 1993, n° 86850).
Dans la présente affaire, le Conseil d’État juge, de manière inédite, que n’est pas non plus déductible la rémunération versée à l’associé qui a cédé ses parts avant la date de clôture de l’exercice au titre de l’activité qu’il a déployée dans la société.
Cette rémunération doit en effet être regardée comme un élément du prix de cession des parts, prélevé par le cessionnaire sur la quote-part des bénéfices sociaux qui lui revient à la clôture de l’exercice.
La solution retenue par le Conseil d’État s’appuie sur les règles régissant le fait générateur de l’imposition des résultats des sociétés de personnes. Le Conseil d’État rappelle ainsi que les bénéfices réalisés par ces sociétés sont soumis à l’impôt sur le revenu entre les mains des seuls associés présents dans la société à la date de clôture de l’exercice (notamment CE, 28 mars 2012, n° 320570). Les associés qui ont cédé leurs parts au cours de l’exercice ne sont pas imposés sur les bénéfices au prorata de leur présence au capital de la société.
Remarque : cette solution peut être rapprochée de celle retenue par la Cour de cassation en matière de droits d’enregistrement. Selon cette dernière, une convention de répartition des bénéfices entre le cédant et le cessionnaire, en cas de cession de parts d’une société de personnes en cours d’exercice, constitue un élément du prix de cession des parts pour le calcul des droits d’enregistrement (Cass. com., 28 nov. 2006, n° 04-17.486). Relevons également que, dans un arrêt devenu définitif, la cour administrative d’appel de Bordeaux a analysé, pour l’impôt sur le revenu, une telle convention comme une modalité transactionnelle de paiement du prix d’acquisition des parts (CAA Bordeaux, 28 déc. 2006, nos 04-488 et 04-598 ; CE (na), 29 févr. 2008, n° 302209).
III. Une solution de nature à soulever des difficultés...
La rapporteure publique Céline Guibé reconnaît, dans ses conclusions, que la présente solution n’est pas dénuée de toute critique sur le plan économique. Compte tenu de cette décision, l’associé sortant en cours d’exercice sera en effet imposé à raison d’une plus-value incluant une part du bénéfice ordinaire anticipé, tandis que le cessionnaire sera imposé sur ce même bénéfice à la clôture de l’exercice. Il est toutefois précisé à l’égard de ce dernier que la plus-value qu’il réalisera lors de la revente ultérieure de ses parts sera diminuée d’un même montant.
Exemple : soit une société de personnes exerçant une activité agricole dont l’exercice coïncide avec l’année civile.
L’associé A de cette société cède la totalité de ses parts à un tiers (B) pour 5 000 € le 1er juillet N. Le prix de revient de ces parts s’élève à 3 000 €. L’associé sortant a perçu une rémunération de 1 000 € au titre de l’activité qu’il a exercée dans la société entre le 1er janvier N et le 30 juin N. En application de la jurisprudence du Conseil d’État, le prix de cession de ces parts doit être majoré du montant de cette rémunération, ce qui vient, par suite, majorer le montant de la plus-value de cession réalisée. Le montant de sa plus-value de cession imposable s’élève donc à 3 000 € [(5 000 + 1 000) – 3 000]. Le nouvel associé B sera, quant à lui, imposé sur une quote-part de bénéfices réalisés par la société de personnes à la clôture de l’année N, qui comprend également le montant de la rémunération versée à A (celle-ci n’étant pas déductible des résultats de la société).
Sur le plan fiscal, l’attribution d’une part des bénéfices réalisés est, selon la rapporteure publique, la seule forme possible de rémunération d’un associé d’une société de personnes à raison de l’activité qu’il déploie dans cette dernière. En se retirant de la société, l’associé perd tout droit à obtenir une rémunération, cette perte ayant pour contrepartie la valorisation économique des parts cédées puisque le cessionnaire obtient un droit au partage des bénéfices de l’exercice dans sa totalité, alors même qu’il n’a que partiellement contribué à leur réalisation.
Toutefois, dans certaines situations de transmission ou de rachat en cours d’exercice de parts sociales détenues dans une société de personnes – lorsque la société exerce une activité agricole, comme c’est le cas en l’espèce, ou une activité professionnelle non commerciale –, la loi prévoit des dérogations au principe de l’imposition des seuls associés présents à la clôture de l’exercice destinées à l’établissement d’une imposition au nom de l’associé sortant.
... qui peuvent être évitées lorsque l’activité exercée par la société est agricole ou non commerciale
Il existe en effet, à l’article 73 D du CGI, un mécanisme dérogatoire permettant de déterminer un résultat fiscal intermédiaire en cas de retrait d’un associé personne physique d’une société de personnes exerçant une activité agricole relevant d’un régime réel d’imposition. En application de ce dispositif optionnel, l’associé sortant peut être immédiatement imposé d’après un résultat intermédiaire déterminé à la date de la transmission (ou du rachat) à concurrence de la quote-part correspondant à ses droits dans la société. L’option doit être exercée conjointement par l’associé sortant et le bénéficiaire de la transmission.
Remarque : un dispositif identique s’applique en cas de retrait d’un membre d’une société de personnes exerçant une activité professionnelle non commerciale relevant du régime de la déclaration contrôlée (CGI, art. 93 B). En revanche, aucun mécanisme similaire n’est prévu lorsque l’activité est industrielle ou commerciale.
En l’espèce, le dispositif optionnel de l’article 73 D du CGI – qui conserve toute son utilité dès lors que la rémunération versée à l’associé ayant cédé ses parts en cours d’exercice n’est pas déductible des bénéfices sociaux – n’avait pas été mis en œuvre.
L’administration fiscale était donc fondée à réintégrer la rémunération perçue par l’associé sortant dans les bénéfices de l’EARL, imposables dans les mains des associés présents à la clôture de l’exercice.
Exemple : reprise de l’exemple figurant au n° 6. Par hypothèse, la société de personnes exerce une activité agricole relevant d’un régime réel d’imposition. L’associé sortant A et le cessionnaire B optent pour le dispositif prévu à l’article 73 D du CGI. L’associé sortant est imposé : - sur le résultat intermédiaire déterminé depuis la date d’ouverture de l’exercice jusqu’à la date de la cession de ses parts (soit du 1er janvier N au 30 juin N), à hauteur de la quote-part correspondant à ses droits dans la société, qui comprend la rémunération de 1 000 € qui lui a été versée par la société ;
- sur la plus-value de cession de ses parts s’élevant à 2 000 € (5 000 – 3 000). Le nouvel associé B sera, quant à lui, imposé sur une quote-part de bénéfices réalisés par la société de personnes au titre de l’exercice clos le 31 décembre N, diminuée de la quote-part de résultats imposée au nom de l’associé sortant A.
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