L’assignation est l'acte administratif qui permet à un chef de service hospitalier de faire directement obstacle à l’exercice du droit de grève d’un agent de la fonction publique. L’objet de cette étude sera de présenter le régime juridique de ces assignations, tel qu’encadré par le juge administratif (I), leurs modalités de mise en ½uvre (II) et enfin leur contentieux (III).
I) Le régime juridique des assignations des fonctionnaires hospitaliers
Comme expliqué précédemment, l’assignation est un acte administratif d’un chef de service, par lequel ce dernier va empêcher un de ses agents de participer à un mouvement de grève pendant un ou plusieurs jours.
En ce sens, bien qu’elle partage une dénomination commune, elle se distingue clairement des assignations en justice, qui sont les actes de procédure délivrés par huissier par lesquels une partie à un litige va citer son adversaire à comparaître en justice.
Elle se distingue également des réquisitions prévues par l’article L.3131-8 du code de la santé, qui permet au préfet de département de requérir un professionnel de santé, afin de faire face à une situation sanitaire dégradée.
Ainsi, c’est un outil mis directement entre les mains d’un chef de service, afin d’assurer la continuité du service hospitalier. Cependant, le Conseil d’Etat a, dès l’origine, précisé que ces assignations ne devaient pas avoir pour objet de garantir un service normal, mais un service minimum. Ce service minimum doit permettre d’assurer la sécurité physique des personnes, la continuité des soins et des prestations hôtelières aux malades hospitalisés et la conservation des installations et du matériel [1].
En conséquence, c’est une analyse au cas par cas qui est réalisée par le juge pour contrôler la proportionnalité des assignations à un mouvement de grève[2].
De ce fait, des assignations concernant la quasi-totalité d’un service ne sont pas forcément illégales, si elles s’avèrent nécessaires pour assurer la continuité du service[3].
Le juge administratif peut s’appuyer sur plusieurs éléments pour apprécier ce point :
Les notes de services qui peuvent être réalisées dans chaque établissement pour déterminer le service minimum[4]. Cependant, le chef de service peut déroger à ces notes s’il justifie de la nécessité d’avoir recours à plus d’agents pour assurer un service minimum[5] ;
Le nombre d’agent présent les dimanches et les jours fériés. Cet élément peut également être écarté en cas de justification satisfaisante apportée par le chef de services [6].
Pour les fonctionnaires exerçant dans les blocs opératoires, notamment les infirmiers anesthésistes, le juge de paix est surtout le nombre d’opérations prévues le jour des assignations, et la possibilité de les déprogrammer[7].
Ces grands principes relatifs aux assignations étant posés, il convient désormais de s’intéresser à leurs modalités de mise en ½uvre.
II) Les modalités de mise en oeuvre des assignations
Comme vu précédemment, les assignations sont des actes administratifs individuels, dans la mesure où ils vont restreindre le droit de grève de personnes précisément ciblées.
Ainsi, leur entrée en vigueur nécessite leur notification[8].
A défaut d’une telle notification, réalisée de manière régulière, il ne pourra être reproché à l’agent de ne pas avoir répondu à une assignation[9].
Ni le code des relations entre le public et l’administration, ni aucun autre texte ne vient définir les modalités selon lesquelles un acte administratif peut être notifié. Cependant, afin de se ménager une preuve en cas de contentieux, les administrations privilégient les modes de communication qui leur permette de garantir la date de réception de l’acte (courrier recommandé, remise en mains propres contre signature…).
Du fait des délais restreints dans lesquelles les assignations doivent être adoptées[10], les chefs de services optent souvent pour notification par voie d’huissier de justice. Ce mode de notification est d’ailleurs à l’origine du terme d’assignation.
Cependant, une telle modalité de notification n’est pas obligatoire. Le non-respect d’une modalité de notification d’une décision n’a d’ailleurs jamais d’incidence sur sa légalité, dans le contentieux administratif[11].
Sur ces modalités de mise en ½uvre, la question s’est également posé des informations que les chefs de services pouvaient solliciter auprès de leurs agents afin de savoir s’ils étaient ou non-grévistes. En effet, une telle information permet de mieux calibrer un service minimum.
La jurisprudence a reconnu que les chefs de services pouvaient, par des notes de service adressées à leurs agents, leur demander s’ils participent ou non à un mouvement de grève[12].
Cependant, cette possibilité reste contrôlée par le juge, afin qu’elle ne porte pas une atteinte démesurée au droit de grève. Ainsi, le Conseil d’Etat a censuré une note de service de ce type, qui avait pour effet d’empêcher un agent de rejoindre ou de quitter un mouvement de grève en cours[13].
Sur le fondement de ces éléments, nous pouvons désormais étudier le contentieux spécifique des assignations.
III) Le contentieux des assignations
En matière de recours contre les décisions administratives, la voie de justice la plus utilisée est le recours pour excès de pouvoir, dont l’objet est d’obtenir l’annulation de la décision litigieuse.
Cependant, du fait des délais de jugement de telles requêtes, variant d’un à deux ans selon les juridictions, cette voie de recours est peu adaptée au contentieux des assignations.
Du fait des délais restreints d’exécution de ces décisions, la voie la plus appropriée est le référé liberté. Prévue à l’article L.521-2 du code de justice administrative, cette procédure permet de contraindre le juge administratif à se prononcer sur la légalité d’une assignation dans un délai de 48 heures.
Pour qu’un tel référé soit un succès, l’article L.521-2 du code de justice administrative pose plusieurs conditions :
- une urgence à statuer ;
-une atteinte grave à une liberté fondamentale portée par une personne publique ou une personne privée chargée d’un service public ;
-une atteinte manifestement illégale.
Les assignations entrant en vigueur dans un délai très restreint et portant atteinte au droit de grève, les deux premières conditions sont, de facto, considérées comme remplies[14].
Cependant, il conviendra d’introduire cette action rapidement, afin que la décision ne soit pas entièrement exécutée au moment où le juge statue. Dans le cas contraire, le référé sera considéré comme sans objet, et sera rejeté[15].
Dans le cadre de ce contentieux, il appartiendra aux requérants d’apporter des éléments démontrant que les assignations vont au-delà des nécessités du service minimum. L’administration devra apporter des éléments contraires, et démontrer, par exemple, le caractère non reprogrammable d’interventions[16].
Enfin, une autre de voie de recours plus symbolique contre les assignations est le recours indemnitaire. En effet, dans le cas où une décision d’une administration est illégale, elle ouvre droit à réparation des préjudices qu’elle a causé[17].
Ainsi, si une assignation est illégale, elle permet à la personne qui n’a pas pu faire grève d’obtenir réparation de son préjudice. En raison de l’absence de conséquences financières néfastes d’une assignation, seul le préjudice moral peut, en principe, donner lieu à indemnisation. La seule décision que nous avons pu trouver allant en ce sens avait évalué ce préjudice moral à 75 euros par jour où il a été fait obstacle au droit de grève[18].
[1] CE, 7 janvier 1976, n°92162
[2] Pour un rappel de ce principe, voir TA PARIS, 2 septembre 2016, n°1613422
[3] Pour un exemple, voir CAA BORDEAUX, 6 mars 2018, n°16BX01681
[4] Pour un exemple, voir TA MELUN, 10 mars 2010, n°1001498
[5] Pour un exemple, voir TA BESANCON, 3 décembre 2012, n°1201631
[6] Pour un exemple, voir TA CLERMONT-FERRAND, 14 juin 2017, n°1701168
[7] Pour des exemples, voir TA BORDEAUX, 5 juin 2012, n°1002533 ou encore TA LIMOGES, 20 octobre 2010, n°1001512
[8] Article L.221-8 du code des relations entre le public et l’administration
[9] Pour un exemple, voir TA MELUN, 20 février 2013, n°1100588
[10] L’article L.2512-1 du code du travail fixe à 5 jours le délai de préavis devant être déposé par une organisation syndicale, préalablement au déclenchement d’un mouvement de grèves
[11] CE, 18 novembre 2011, n°321410
[12] Sur ce point, voir CE, 8 avril 2013, n°367453 ; ou encore CAA BORDEAUX, 26 juin 2018, n°16BX02998
[13] CE, 6 juillet 2016, n°390031
[14] Voir par exemple TA MELUN, 10 mars 2010, n°1001498 ; ou encore TA CLERMONT-FERRAND, 14 juin 2017, n°1701168.
[15] Voir TA PARIS, 2 septembre 2016, n°1613422.
[16] Voir TA NANTES, 15 juin 2016, n°1406804, ou encore TA LIMOGES, 30 mars 2010, n°1000487.
[17] En ce sens, voir CE, 20 décembre 2019, n°426555
[18] Voir TA NANCY, 6 mars 2012, n°1000565
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