La validité des conventions de forfait en jours au regard des exigences désormais bien connues du droit à la santé et au repos du salarié fait l’objet d’une abondante jurisprudence.

La Cour cassation cherche à assurer la protection du droit à la santé et au repos du salarié

Visant tout à la fois :

  • l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946,
  • l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne se référant à la Charte sociale européenne,
  • les textes du code du travail résultant de la transposition des directives 1993/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 et 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil 4 novembre 2003,
  • ainsi que la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

la Cour de cassation a déduit de ces normes constitutionnelles et conventionnelles que le non-respect des dispositions conventionnelles visant à protéger la santé du salarié privent d’effet les conventions de forfait en jours, avec pour conséquence, un retour à la durée légale ou conventionnelle de travail, et donc, potentiellement, un rappel d’heures supplémentaires sur les trois dernières années (Soc. 29 juin 2011, n° 09-71.107).

La Cour de cassation laisse à l’appréciation des juges du fond le soin de vérifier la conformité de l’accord collectif aux objectifs de protection de la santé et de la sécurité des salariés.

Les arrêts commentés s’inscrivent dans ce contexte

Dans la première espèce (n° 21-23.387 B), l’article 2.8.3 de la convention collective des prestataires de services dans le secteur tertiaire prévoit, en substance, un unique entretien annuel portant sur l’organisation du travail, l’amplitude horaire et la charge de travail. De plus, l’accord énonce que l’employeur est tenu de mettre en place des modalités de contrôle du nombre de journées travaillées et non travaillées. L’accord est jugé insuffisant au regard des exigences constitutionnelles du droit à la santé et au repos et les conventions de forfait est annulée car les garanties ne permettent pas un suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable.

Dans la deuxième espèce (n° 21-23.222 B), les articles 1.09 et 4.06 de la convention collective de la réparation automobile prévoyaient, en substance, la possibilité d’un entretien annuel avec l’obligation pour la hiérarchie de mettre en place des correctifs, à la suite de l’entretien annuel, pour respecter une charge de travail raisonnable ainsi qu’un système auto-déclaratif pour que les salariés puissent déclarer les jours travaillés et non travaillés. De la même manière et pour les mêmes raison, l’accord est jugé insuffisant et les conventions de forfait sont annulées, faute pour le support conventionnel de prévoir des garanties suffisantes pour sauvegarder le droit à la santé et au repos du salarié.

Dans la troisième espèce (n° 21-23.294 B), la chambre sociale donne toutefois un exemple de dispositions conventionnelles jugées acceptables. Était en cause la convention collective des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment qui prévoit un suivi régulier de la hiérarchie via un document individuel de suivi et des points réguliers lors de l’exécution de la convention. Les garanties sont jugées suffisantes car elles permettent à l’employeur de réagir en temps utile à la surcharge de travail du salarié.

Ainsi est-il nécessaire pour les employeurs de trouver le fil conducteur du contrôle imposé par la Cour de cassation et exercé par les juges du fond pour ne pas voir les conventions de forfait en jours conclues avec les salariés privés d’effet en cas d’inapplication des garanties conventionnelles, voire annulées en cas d’insuffisances de celles-ci.

L’enjeu est de taille : le risque financier peut être très élevé pour les entreprises

Le rappel d’heures supplémentaires sur trois années, outre les éventuelles condamnations pour travail dissimulé et non-respect du droit au repos, est un risque que l’employeur doit conserver à l’esprit.

Il est par ailleurs à rappeler que l’employeur est débiteur d’une obligation de sécurité (C. trav., art. L. 4121-1) à l’endroit du salarié, ce d’autant que le non-respect de la législation sur la durée du travail cause désormais nécessairement préjudice au salarié, qu’il s’agisse du non-respect de sa durée hebdomadaire de travail ou du non-respect de sa durée quotidienne maximale.

Les accords de branche et d’entreprise ont donc un rôle déterminant dans la conception d’un dispositif permettant le suivi effectif et régulier de la santé du travailleur.

Les juges du fond sont invités à vérifier que l’accord collectif est de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié. De nombreuses conventions de branche ont été invalidées par la chambre sociale :

  • la convention collective nationale de l’industrie chimique (Soc. 31 janv. 2012, n° 10-19.807),
  • de commerces de gros (Soc. 26 sept. 2012, n° 11-14.540,
  • des bureaux d’études (Soc. 24 avril 2013, n° 11-28.398 P, des experts-comptables (Soc. 14 mai 2014, n° 12-35.033 P)
  • ou encore du personnel salarié des cabinets d’avocats (Soc. 8 nov. 2017, n° 15-22.758 P).

La chambre sociale impose désormais, de façon constante, que le suivi de la charge de travail des salariés soit effectif et réalisé au fil de l’eau (Soc. 14 mai 2014, n° 12-35.033 ; 5 oct. 2017, n° 16-23.106 P; 6 nov. 2019, n° 18-19.752 P). Cette exigence de suivi régulier est reprise dans le code du travail depuis la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, au sein des dispositions qui sont d’ordre public (C. trav., art. L. 3121-60).

La nécessité pour l’employeur d’instaurer un suivi régulier pour réagir « en temps utile »

Le contrôle des dispositions conventionnelles, imposé par la Cour de cassation et opéré par les juges du fond, s’articule en deux temps :

  • le contrôle du temps de travail effectivement réalisé par le salarié,
  • l’existence d’un mécanisme correcteur en cas de surcharge de travail.

Ainsi, en premier lieu, il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que les juges contrôlent l’existence d’un mécanisme permettant de relever en temps réel le travail effectivement réalisé par le salarié ainsi que ses temps de repos. Cela passe régulièrement par un système auto-déclaratif des jours travaillés et des jours de repos, sous la responsabilité de l’employeur, qui doit être contrôlé régulièrement par la hiérarchie (Soc. 19 juin 2019, n° 18-11.391).

Ensuite, l’employeur doit mettre en place un système permettant des correctifs rapides pour pallier la surcharge de travail et pour sauvegarder la santé du salarié au regard des « états récapitulatifs de temps travaillé transmis » (Soc. 19 juin 2019, n° 18-11.391). C’est généralement sur ce point que les dispositions conventionnelles sont jugées insuffisantes. En effet, dans les arrêts commentés, les dispositions conventionnelles jugées insuffisantes sont celles qui ne prévoyaient qu’un échange annuel obligatoire entre l’employeur et le salarié.

La pratique de l’unique entretien annuel prévu par accord collectif pourrait exposer désormais quasi-systématiquement les conventions de forfait à la nullité.

Le critère déterminant réside donc dans la proactivité de l’employeur à réagir en temps utile – quasi-immédiatement – pour permettre de diminuer la charge de travail et prévenir les violations au droit à la santé et au repos du travailleur.

L’employeur doit être en mesure de contrôler, de suivre et de corriger en temps utile la charge, l’organisation et l’amplitude du travail du salarié.

 

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