Les deux parties (employeur ou salarié) peuvent ainsi saisir le Conseil de Prud’hommes selon la procédure accélérée au fond afin de mettre en cause la position du médecin du travail. Par deux décisions du 7 décembre 2022, la Chambre sociale est venue clarifier les modalités à suivre pour contester un avis d’inaptitude.
Dans les affaires soumises à l’étude, la Cour revient sur :
- l’étendue du contrôle opéré par le juge (Soc. 7 déc. 2022, n° 21-17.927),
- l’absence de contestation de l’avis médical et ses implications (Soc. 7 déc. 2022, n°21-23.662)
Objet et portée du contrôle judiciaire de l’avis d’inaptitude
Dans la première affaire, un salarié avait été recruté en qualité d’agent d’entretien avant d’être déclaré inapte par le médecin du travail.
L’avis d’inaptitude précisait que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé et que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi. L’employeur saisissait alors le Conseil de Prud’hommes aux fins de contester un avis d’inaptitude et demander l’organisation d’une expertise.
La Cour d’appel confortait le médecin du travail et le médecin inspecteur régional du travail désigné entre temps et confirmait l’inaptitude du salarié. Cependant, l’employeur formait un pourvoi en cassation, estimant que l’avis d’inaptitude aurait nécessairement dû être précédé d’une étude de poste et d’une étude des conditions de travail au sein de l’établissement.
C’est donc a priori le sens des articles L.4624-4 et R.4624-42 du Code du travail, car si l’on s’en tient à une lecture fidèle des textes, la déclaration d’inaptitude ne peut intervenir qu’après que le médecin du travail ait procédé à l’examen du poste occupé par le salarié et analysé ses conditions de travail.
Toutefois, la Haute juridiction rappelle que « le juge saisi d’une contestation de l’avis d’inaptitude peut examiner les éléments de toute nature sur lesquels le médecin du travail s’est fondé pour rendre son avis. Il substitue à cet avis sa propre décision après avoir, le cas échéant, ordonné une mesure d’instruction » (n°21-17.927).
Ainsi, les juges d’appel étaient donc libres de mobiliser l’ensemble des éléments sur lesquels le médecin du travail s’était appuyé pour conclure à l’inaptitude.
Dans le cas d’espèce, l’examen de la procédure suivie par le médecin du travail avait conduit la Cour d’appel à admettre que l’inaptitude du salarié était liée à une dégradation des relations entre les parties pendant l’arrêt de travail et aux conséquences psychiques qui en ont résultées. Pour cause, le salarié se plaignait des sollicitations de l’employeur pendant l’arrêt de travail, des pressions pour qu’il témoigne contre des collègues licenciés, d’une insistance pour prendre connaissance de son dossier médical, ces éléments ayant débouché sur un état anxiodépressif et justifié des soins psychothérapeutiques.
Ainsi, partant de constat, la Cour d’appel a estimé que l’absence d’étude du poste ou des conditions de travail n’avait pas eu d’incidence notable sur les conclusions du médecin du travail.
Absence de contestation de l’avis d’inaptitude
Dans la seconde affaire, un maçon avait été licencié pour inaptitude sur la base d’un avis d’inaptitude de travail l’ayant déclaré « inapte total » avec impossibilité de reclassement.
Le salarié avait saisi la juridiction prud’homale pour faire constater l’existence d’une discrimination liée à son état de santé et obtenir la nullité du licenciement pour inaptitude. Selon ce dernier, l’avis d’inaptitude était irrégulier en ce qu’il ne faisait pas apparaitre la mention obligatoire relative à l’existence d’une étude de poste.
En appel, l’intéressé était débouté de ses demandes. La Cour d’appel retenait que l’avis d’inaptitude n’avait fait l’objet d’aucune contestation dans le délai imparti, si bien qu’il n’était plus possible de contester un avis d’inaptitude et qu’il s’imposait de fait au salarié.
La chambre sociale approuve, là encore, le raisonnement suivi par les juges d’appel. Invoquant les articles L.4624-7 et R.4624-45 du Code du travail, la Cour rappelle que l’avis d’inaptitude peut être contesté devant la formation des référés du Conseil de Prud’Hommes, et ce, dans un délai de quinze jours.
Dès lors que l’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail mentionnait précisément les voies et délais de recours et qu’il n’avait fait l’objet d’aucune contestation dans le délai légal, la régularité de l’avis ne pouvait plus être mis en cause. Aussi, l’avis s’imposait aux parties comme au juge sans qu’il y ait lieu d’opérer une distinction selon l’objet de la contestation.
Ces deux décisions nous ramènent à l’avis rendu par la chambre sociale le 17 mars 2021 (Soc., avis, 17 mars 2021, n°21-70.002) et qui concernait le champ du contrôle effectué par le juge.
Si l’avis est éclairant sur plusieurs points, la Lettre n°9 de la chambre sociale de mars-avril 2021 l’est d’autant plus. Il est précisé en commentaire que contester un avis d’inaptitude ne peut porter que sur la capacité réelle du salarié à retrouver son poste.
Il n’est donc pas attendu du juge qu’il statue sur un éventuel manquement aux règles de l’art de la part du médecin du travail (règles de procédure et diligences). Pour autant, le Conseil de Prud’hommes est admis à « examiner tous les éléments ayant conduit à cet avis ». La juridiction prud’homale peut alors, « estimer que ces éléments sont insuffisants, notamment parce que le médecin du travail se serait abstenu de procéder à l’une ou plusieurs investigations prévues par l’article R.4624-42 du Code du travail ».
D’une certaine manière, la Cour est favorable à l’examen de la procédure suivie par le médecin du travail en ce qu’il est « sincère » dans le contrôle judiciaire des éléments l’ayant conduit à conclure à l’inaptitude du salarié.
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