La Cour de cassation a rendu un nouvel arrêt sur le statut protecteur des lanceurs d’alerte et autres salariés dénonciateurs dans l’entreprise.
Un salarié dénonce des irrégularités
Engagé en 2017 en qualité de directeur des opérations par une entreprise de sécurité, un salarié a, quelques mois plus tard, signalé par deux lettres adressées au président de la société des irrégularités relatives au non-respect de la réglementation des sociétés de sécurité. Moins d’un mois après l’envoi desdits courriers, le directeur fut licencié pour faute grave.
Contestant son licenciement, le directeur saisit le conseil des prud’hommes. Par suite, la Cour d’appel de Paris fit droit à ses demandes et prononça la nullité du licenciement. Elle ordonna, en conséquence, le versement des indemnités pour licenciement nul, les rappels de salaires relatifs aux périodes de mise à pied et de préavis ainsi qu’aux congés payés, mais aussi le remboursement des indemnités de chômage versées au salarié.
L’entreprise de sécurité forma un pourvoi en cassation, contestant au titre des sept branches de son moyen destiné à asseoir la licéité du licenciement pour faute grave, la bonne foi et le caractère désintéressé du directeur. Elle arguait qu’il s’agissait là de conditions sine qua non de la protection du lanceur d’alerte contre le licenciement, conditions qui n’avaient pas été suffisamment caractérisées par la cour d’appel. In fine, elle se défendait d’avoir fondé le licenciement sur les signalements du directeur, la faute grave résidant seulement, selon elle, dans le comportement irrespectueux voire raciste du salarié.
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Une fois n’est pas coutume, la Cour de cassation rappelle le caractère alternatif des deux qualifications prévues par l’article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite loi Sapin II.
La première qualification résulte du premier alinéa dudit texte. Selon ce dernier, « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, […] pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ».
La seconde est inscrite au deuxième alinéa et renvoie à la qualification de lanceur d’alerte au sens des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
Quelle protection pour les salariés dénonciateurs ?
Aussi, si la seconde relève du régime général de protection des lanceurs d’alerte, la première est propre au code du travail. Autrement dit, les salariés relevant de la seconde peuvent être qualifiés stricto sensu de « lanceur d’alerte », tandis que les salariés se prévalant de la première ne sont que « simples » salariés dénonciateurs dans l’entreprise. En revanche, passée cette différence de qualification, tous deux sont protégés contre les représailles de l’employeur.
La qualification prévue par l’alinéa 1er de l’article L. 1132-3-3 n’exige pas, au titre de ses critères, que les salariés dénonciateurs aient agi de manière désintéressée. Cette condition est propre à la qualification de lanceur d’alerte (du 2e alinéa).
Seules deux conditions sont à vérifier par les juges du fond :
- d’une part, les faits signalés doivent être susceptibles de constituer un crime ou un délit (§ 9). Tel était le cas en l’espèce puisque les juges du fond ont relevé que les courriers transmis à la direction par le salarié relataient des faits illicites et prévenaient qu’il entendait entreprendre des démarches auprès des autorités de contrôle et du procureur de la République. Précisément, il s’agissait de vente de prestation de sécurité par une société non autorisée au sens des articles L. 612-1 à L. 612-19 du code de la sécurité intérieure ainsi que de facturation illicite, susceptibles de caractériser le délit de l’article L. 617-4 du même code ;
- d’autre part, le salarié ne doit pas être de mauvaise foi, étant entendu que celle-ci ne résulte que de la connaissance de la fausseté des faits dénoncés et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis (§ 9 ; v. Soc. 8 juill. 2020, n° 18-13.593 ; Soc. 13 janv. 2021, n° 19-21.138). En l’espèce, les juges du fond avaient bel et bien relevé que le salarié n’avait pas dénoncé mensongèrement les faits.
Les juges n’avaient donc pas à rechercher le caractère désintéressé du salarié comme le leur demandait le pourvoi. Parfaitement conforme à la rédaction de l’alinéa premier de l’article L. 1132-3-3, une telle solution ressortait déjà en filigrane de l’arrêt du 1er juin dernier. Dans cette dernière affaire, le salarié, également associé de la société, en dénonçant des faits susceptibles d’avoir un impact négatif sur le chiffre d’affaires, était sûrement mu par une motivation financière, ce qui ne l’a pas privé de la protection contre le licenciement. Peu importait donc que le salarié ait signalé les faits pour « obtenir des conditions de travail plus favorables, tant au regard du montant de sa rémunération que d’avantages en nature ».
Voilà donc qui diffère avec la qualification de lanceur d’alerte qui exigeait hier un caractère désintéressé et aujourd’hui l’absence de contrepartie financière (v. nouvel art. L. 1132-3-3, al. 2, modifié par la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte).
La violation du statut protecteur des salariés dénonciateurs emporte diverses conséquences
La sanction réside, ainsi que le prévoit l’article L. 1132-4, dans la nullité de l’acte pris par l’employeur, en l’occurrence le licenciement. Surtout, même si le licenciement n’est qu’en partie fondé sur une atteinte à une liberté fondamentale, sur un motif discriminatoire ou sur toute autre cause de nullité, le licenciement est nul. Il s’agit là d’un motif contaminant. Aussi, peu importait que l’employeur justifiât d’un comportement irrespectueux et raciste du salarié pour motiver la faute grave, la seule mention des courriers de signalement dans la lettre de licenciement entraînait la nullité du licenciement. La cour d’appel n’avait pas à examiner les autres griefs énoncés dans la lettre de licenciement (§ 13).
Enfin, rappelons que, outre l’indemnisation due au salarié, l’employeur est tenu de rembourser les indemnités de chômage à Pôle Emploi. L’article L. 1235-4 du code du travail prévoit en effet que « le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé » et la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels est venue étendre la liste des cas de remboursement aux discriminations.
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Source : soc., 13 septembre 2023, n°21-22.301
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