La médiation à tout prix ?
Cela fait bien longtemps que je fais tout pour trouver des accords et épargner à mes clients et à moi-même des procédures d'une longueur ridicule, des conclusions à 40 pages, des km de pièces inutiles. Je n'ai pas attendu les invitations du législateur pour en être convaincu.
Simplement, tout ne peut pas se finir en amiable, contrairement à ce qu'affirment ceux qui ont quelque chose à vous vendre : une reconversion dans le marché de la bienveillance pour les juristes en panne de carrière, une détresse fonctionnelle pour les tribunaux.
Leurs nouveaux outils n'y changent d'ailleurs pas grand-chose, puisque la réalité est inversement proportionnelle au bruit qu'ils font : une quantité incroyable d'articles juridiques traitent de la procédure participative, par exemple, tandis qu'à peu près aucune n'est statistiquement soumise à validation devant les tribunaux (les avocats préfèrent garder leurs "vieilles" méthodes de rédaction simple d'accord ou validation à l'audience) - ce n'est pas une raison pour abandonner ce dispositif, mais c'est juste pour resituer les choses.
Aussi est-il selon moi inquiétant de voir fleurir des projets d'extension du préalable amiable obligatoire à de nouveaux champs, en tout cas en droit de la famille, pour ne parler que de ma matière principale.
Certes, nous explique Fabrice Vert, Magistrat au TJ de Paris ("Pour ou contre la médiation obligatoire"), il faut préciser ce que l'on entend par là : "il ne s'agit pas de contraindre les parties à trouver un accord pour mettre un terme à leur litige, mais de leur demander de se réunir autour d'une table" - oui, mais ça c'est la moindre des choses, on ne peut quand même pas obliger les parties à rédiger la solution elle-même dans tous les cas, sinon on ferme les tribunaux tout de suite.
Or, même se borner à les contraindre de s'y essayer peut constituer parfois un ralentissement disproportionné, comme je l'ai douloureusement expérimenté lors d'une affaire devant un Tribunal "pilote" dans l'extension de ce dispositif aux affaires familiales. C'est dire que dans la pratique, ces "bonnes idées" doivent être maniées avec précaution.
L'amiable versus le judiciaire ?
L'auteur précité maintient que les "qualités avérées" des modes amiables n'ayant "pas réussi à assurer [leur] succès, en raison des nombreux freins culturels d'une société française qui se caractérise plus comme une société du conflit que du compromis", il est nécessaire, en quelque sorte, de forcer la main de nos compatriotes vers l'amiable. Tout un débat philosophique...
Il rappelle à cet égard l'historique de l'article 750-1 CPC, issu du décret n° 2019-245 du 11 décembre 2019, qui en imposant un préalable amiable obligatoire pour des petits litiges, a conduit à de nombreuses saisines de conciliateurs (forcément !), alors que depuis son annulation par le Conseil d'Etat le 22 septembre 2022 (tiens donc), ceux-ci sont beaucoup moins saisis (tiens donc). Tout cela ne se borne qu'à une appréciation quantitative.
Elle est certes nécessaire, et même permise par la CJUE, qui a pu valider une disposition croate similaire dans "le but légitime d’assurer l’économie judiciaire en évitant des procédures judiciaires longues et coûteuses et en réduisant le nombre d’affaires" (Momcilovic c Croatie, 26 avril 2015).
Mais il faut sans cesse rappeler qu'elle ne peut pas être la seule. L'auteur précise bien ce qui est souhaitable, à savoir "le pouvoir du juge d'enjoindre les parties, non pas de recourir à la médiation, mais de s'informer sur la médiation".
Il est toujours réconfortant d'entendre des plumes averties rappeler que les deux voies - amiable et judiciaire - doivent coexister.
Dossier très complet et informatif