Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue par la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, le 7 avril 2022, n°22/153, qui vient aborder la problématique particulière des actions en réparation du dommage causé aux cultures et aux récoltes par du gibier.
Quels sont les faits ? Des dégâts de sangliers sur une partie des parcelles
Madame G. est exploitante agricole viticultrice dans le département du Var.
Elle exploite entre autres deux parcelles plantées en vignes, et ce pour une surface totale de 7 ares 76 a et 50 centiares.
Le 12 juin 2015, Madame G. a constaté des dégâts de sangliers sur une partie de ses deux parcelles et a dressé, le jour même, une première déclaration de dégâts à la Fédération Départementale des Chasseurs du Var.
Une expertise orchestrée par la Fédération des chasseurs
Le 26 juin 2015, une expertise provisoire avait été établie contradictoirement.
La perte estimée s’élevait alors à la somme de 16.704,00 €.
Le 18 septembre 2015, Madame G. établissait une nouvelle déclaration de dégâts estimant ceux-ci à environ 67.177 €.
Par suite, une nouvelle expertise avait eu lieu le 25 septembre 2015 aux termes de laquelle il était constaté la destruction de 100% de la récolte et d’une perte estimée à la somme de 72.000 €.
Selon, l’article L.426-7 du Code de l’Environnement, les actions en réparation du dommage causé aux cultures et aux récoltes par le gibier se prescrivent par 6 mois à partir du jour où les dégâts ont été commis.
Il y a lieu d’indiquer que ce délai de 6 mois, sanctionné à peine de prescription, est un délai couperet qui permet d’encadrer un régime de responsabilité sans faute, dérogatoire de droit commun, en cas de dommage causé par des gibiers.
Quelle procédure pour indemniser les dommages causés par du gibier ?
Précisément, le Code de l’Environnement prévoit que ce sont les Fédérations Départementales des Chasseurs, financées par la participation personnelle de ces derniers, qui prennent en charge ces indemnisations selon deux procédures concurrentes, l’une non contentieuse qui doit être introduite devant la Commission Départementale de la Chasse et de la Faune Sauvage, et l’autre judiciaire qui relève du Tribunal d’Instance et, désormais, du Tribunal Judiciaire.
Il y a lieu de souligner que l’article L.426-7 identifie comme point de départ la prescription le jour où les dégâts ont été commis et ne fait pas référence, contrairement à l’article R.426-12 relatif à la procédure non-contentieuse, à la date d’observation des premières manifestations des dégâts.
Il convient donc d’identifier la date de commission des dégâts.
La date de commission des dégâts causés par les sangliers
En l’espèce, il était constant que le 12 juin 2015 Madame G. a déclaré ces dégâts de vignes auprès de la Fédération Départementale des Chasseurs du Var qu’elle a daté du 12 juin 2015.
L‘expertise, dite provisoire, réalisée le 26 juin 2015, indique que les deux parcelles ont été touchées.
L’une comptant 550 ceps abroutis à 100%, et l’autre comptant 753 ceps abroutis à 100%.
Cette expertise provisoire comprenant des croquis qui signalent notamment que la première parcelle a été touchée au niveau de ses seuls angles Nord-Est et Sud-Est.
Le rapport d’expertise indiquait qu’une prochaine expertise était souhaitée au moment de la récolte, afin d’évaluer le préjudice définitif, les pieds touchés n’étant au 26 juin 2015 qu’en cours de végétation.
Il est également constant que Madame G. avait procédé par la suite, le 18 septembre 2015, à une seconde déclaration de dégâts en vignes.
Une seconde déclaration de dégâts de vignes causés par les sangliers
L’expertise, dite définitive, réalisée le 25 septembre 2015 par le même expert, indiquait que les parcelles en question étaient détruites à 100%.
L’expert indiquait dans son rapport que pour la première expertise, il s’agissait de constat qui ne saurait préjuger de dégâts ultérieurs et d’un préjudice au moment de la récolte, à sa date les dégâts sont partiels et concernent le raisin en vert, ils ont été observés le 2 juin 2015.
La seconde déclaration a été faite le 18 septembre 2015 suite au constat par la demanderesse le jour où elle souhaitait récolter ses parcelles le 10 septembre 2015.
Le 25 septembre 2015, date de réalisation de l’expertise, les dégâts sont estimés à 100% ce qui situe le début des dommages avant le 10 septembre, date qu’il est difficile d’établir avec précision car aucun constat n’a été fait mais qui doit se situer entre mi-août et début septembre lors de la phase de maturation des raisins et on peut considérer que ces dégâts ont été causés antérieurement.
Rappelons qu’en effet, un nombre déterminé de pieds de vignes a été abrouti le 2 juin 2015.
La seconde expertise réalisée le 25 septembre 2015 intervient dans le prolongement de la première déclaration comme expertise définitive, à laquelle était convoqué à titre provisoire, après la seconde déclaration faite le 18 septembre 2015, dans tous les cas Madame G. fait état de parcelles détruites à 100%.
Il convient d’en déduire que les dégâts touchent l’ensemble des pieds de vignes présents sur les deux parcelles.
Dès lors, le dommage constaté, à l’occasion de la seconde expertise, ne peut être confondu avec celui décrit lors de la première expertise, son ampleur au regard du nombre de pieds touchés est bien distincte.
Un gibier détruisant les mêmes vignes à plusieurs reprises
Le dommage décrit à l’occasion de la seconde expertise, vu son étendue, exclu d’une part la seule aggravation par les effets produits sur la récolte du préjudice initialement déclaré par la requérante et implique d’autre part, un second passage de sangliers, nonobstant l’intitulé de l’expertise du 25 septembre 2015, qu’elles soient définitives ou provisoires ces conclusions supposent effectivement une seconde date d’origine des dégâts
C’est dans ces circonstances que dans le cadre de sa procédure la Fédération Départementale des Chasseurs soutenait, à défaut de prescription, l’irrecevabilité des demandes de Madame G au motif pris que la seconde déclaration de septembre 2015 ne daterait pas précisément l’apparition des premiers dégâts.
Pour autant, il convient de rappeler que l’article R.426-12 du Code de l’Environnement prévoit à peine d’irrecevabilité de la demande d’indemnisation faite selon la procédure non-contentieuse devant la Commission Départementale que soit précisée la date d’observation des premières manifestations des dégâts.
Pour autant, les articles R.426-20 à R.426-9, du même Code, ne prévoient pas une telle condition de recevabilité de la demande d’indemnisation concernant la procédure devant le Tribunal.
C’est dans ces circonstances qu’en première instance, le Juge a considéré qu’aux termes de l’article L.426-1 du Code de l’Environnement, en cas de dégâts causés aux cultures, aux interbandes des cultures pérennes, aux filets de récoltes agricoles ou aux récoltes agricoles soit par les sangliers, soit par les autres espèces de grand gibier soumises à plan de chasse, l’exploitant qui a subi un dommage nécessitant une remise en état, une remise en place de filets de récoltes ou entrainant un préjudice de perte de récolte peut réclamer une indemnisation sur la base des barèmes départementaux à la Fédération Départementale ou Interdépartementale des Chasseurs.
Selon l’article L.426-3 du même Code, l’indemnité peut être réduite s’il est constaté que la victime des dégâts a une part de responsabilité dans la commission des dégâts.
La Commission Nationale d’Indemnisation des Dégâts des Gibiers, visée à l’article L.426-5 détermine les principales règles en la matière.
Selon l’article L.426-5 du même Code, la Fédération Départementale des Chasseurs instruit la demande d’indemnisation et propose une indemnité au réclamant selon un barème départemental d’indemnisation.
La proposition d’indemnisation des dégâts causés par le gibier
Le barème est fixé par la Commission Départementale compétente en matière de chasse de de faune sauvage qui fixerait également le montant de l’indemnité en cas de désaccord entre le réclamant et la Fédération Départementale des Chasseurs.
Une Commission Nationale d’Indemnisation des Dégâts des Gibiers fixe chaque année pour les principales denrées des valeurs minimales et maximales des prix à prendre en compte pour l’établissement des barèmes départementaux.
Elle fixe également chaque année, aux mêmes fins, les valeurs minimales et maximales de frais de remise en état.
Lorsque le barème adopté par une commission départementale ne respecte pas les valeurs ainsi fixées, la Commission Nationale d’Indemnisation en est saisie et statue en dernier ressort.
Elle peut être saisie en appel des décisions des Commissions Départementales.
Si l’ensemble des règles sus-évoquées sont applicables à la procédure en indemnisation non contentieuse par la Fédération de Chasse, il n’en demeure pas moins que la question de la prescription, tantôt en phase amiable, tantôt en phase judiciaire, se posait.
Une prescription différente en phase amiable ou judiciaire
C’est ce qu’à d’ailleurs retenu la Cour d’Appel en rappelant que l’article L.426-7 du Code de l’Environnement énonce que les actions en réparation des dommages causés aux cultures et aux récoltes par le gibier se prescrivent par 6 mois à partir du jour où les dégâts ont été causés.
La Fédération Départementale des Chasseurs du Var faisant valoir que l’action de Madame G. était prescrite puisque les dégâts sont apparus le 2 juin 2015, selon les déclarations mêmes de l’exploitante et la saisine du Tribunal d’Instance n’a eu lieu que le 11 décembre 2015, alors qu’elle aurait dû intervenir au plus tard le 1er décembre 2015.
L’appelante maintenant que son action n’était pas prescrite car les dégâts de septembre résultent d’une nouvelle attaque de sangliers détruisant entièrement les vignes, celles-ci étant complètement indépendantes de la première commise en juin 2015.
La quantification des pertes de récolte par l’expert
En cette matière, à chaque fois que l’estimateur est en mesure de quantifier une perte de récolte ou d’attester de la réalisation effective de travaux de remise en état, il doit établir un constat définitif en accord avec l’exploitation agricole.
Dans le cas contraire, il doit établir un constat provisoire dans lequel il consignera ses observations.
Ce constat provisoire ne pouvant servir de base pour le paiement d’une indemnité par la Fédération Départementale des Chasseurs du Var.
L’estimateur devant tenir compte dans son évaluation définitive des déclarations intermédiaires transmises par l’exploitant agricole à la Fédération Départementale des Chasseurs du Var.
Or, selon la Cour d’Appel, il résulte des pièces versées aux débats que Madame G. adressait, le 12 juin 2015, à la Fédération Départementale des Chasseurs du Var une déclaration de dégâts vignes concernant les parcelles 2163 et 2164 en indiquant que ces dégâts causés par des sangliers avaient touché 2 000 ceps sur la parcelle 2163 et 3 600 ceps sur la parcelle 2164.
Il était mentionné dans ce document que cette déclaration n’était pas la suite d’un dossier déjà déclaré.
Il y a bien eu une expertise provisoire qui a été réalisée par l’expert le 26 juin 2015.
Cette expertise retenait que la date du 2 juin 2015 était bien la date d’apparition des premiers dégâts, précisant que ces derniers avaient bien été causés par des sangliers.
Il était noté la présence de 550 plans abroutis à 100% sur la parcelle 2164 et 753 plans abroutis à 100% sur la parcelle 2163, de telle sorte que dans son rapport d’expertise provisoire du 26 juin 2015, l’expert indiquait qu’il fallait à nouveau vérifier les deux parcelles concernées avant la récolte et réaliser un contrôle de la maturité des bois pour la taille après la récolte.
À la suite de cette première expertise aucune indemnité n’avait été proposée par la Fédération Départementale des Chasseurs du Var.
Par la suite, Madame G. a bien effectué, auprès de la Fédération Départementale des Chasseurs du Var, une déclaration de dégâts vignes le 18 septembre 2015, soutenant qu’il s’agissait de nouveau dégâts en ouvrant un nouveau délai d’une prescription de 6 mois.
La Fédération Départementale des Chasseurs du Var soutenant, inversement, que les dégâts à maturité ou à la récolte auraient eu lieu le 2 septembre 2015 n’ouvrent pas un second dégât sur les mêmes parcelles mais, au contraire, comme fréquemment, une aggravation des dégâts initiaux dits « premiers dégâts », elle indique qu’il n’est pas possible d’indemniser deux dégâts sur la même période sur la même parcelle à 3 mois d’intervalle.
La Cour relevant qu’il s’agit effectivement des mêmes parcelles et des mêmes causes ces dégâts se situant avant la récolte.
Il résulte pourtant de l’expertise qu’il n’était pas possible en juin 2015 d’évaluer le préjudice de l’exploitante, ce dernier ne pouvant l’être qu’après que l’expert ait vérifié l’état des parcelles avant la récolte, les parcelles pouvant demeurer inchangées ou au contraire dévastées comme dans le cas présent, le montant de l’indemnisation était lié à cet état de fait.
Pour la Cour, Madame G. ne peut valablement soutenir qu’il s’agissait de nouveaux dégâts alors même qu’elle a mentionné dans cette nouvelle déclaration des dégâts de vignes, le même numéro de dossier que dans sa précédente déclaration.
Madame G. indiquait elle-même qu’il s’agissait de la suite du dossier déjà déclaré.
Par ailleurs, la Cour considère qu’elle ne pouvait ignorer qu’elle devait recontacter l’expert avant la récolte comme cela a été précisé par les formulaires en termes très apparents et rappelé par les estimateurs ainsi que l’expert dans le rapport d’expertise.
Les dégâts causés courant septembre 2015 n’étant qu’une aggravation des premiers dégâts et ne pouvant ouvrir un nouveau délai de 6 mois, de telle sorte que la Cour d’Appel dans son arrêt du 7 février 2022 déclarait Madame G. prescrite, infirmant ainsi le jugement querellé de première instance et condamnant Madame G. à rembourser à la Fédération Départementale des Chasseurs du Var les sommes payées au titre de l’exécution provisoire puisqu’il convient de rappeler qu’en première instance Madame G. avait perçu la somme de 50.000 €.
L’indemnisation des dommages causés sur des récoltes par des gibiers
Là où cependant la décision est beaucoup moins satisfaisante est qu’elle vient considérer que cette prescription de 6 mois, qui courre à partir du jour où les dégâts ont été commis, ne compte que pour les dégâts initiaux, qu’importe si par la suite de nouveaux dégâts ont eu lieu sur les mêmes parcelles.
Ce qui peut sembler curieux car il est bien évident que le gibier et les sangliers ont pour habitude d’être dans les mêmes aires et de cibler les mêmes zones et, par voie de conséquence, les mêmes parcelles agricoles qui font qu’il n’y a rien d’incroyable à ce qu’une première parcelle abroutie en juin 2015, le soit également, à nouveau, en septembre 2015, ce qui aurait normalement dû faire partir un nouveau point de départ de 6 mois permettant ainsi à Madame G. de se trouver dans une action parfaitement recevable et de ne pas se voir opposer la prescription comme cela a été dans le cadre de cette jurisprudence.
Dès lors, il convient de rappeler que les actions en réparation de dommages causés aux cultures et aux récoltes par le gibier, si ces dernières se prescrivent par 6 mois, il est extrêmement important de prendre en considération ce délai qui est finalement un délai extrêmement court qu’on soit en phase amiable ou en phase judiciaire et rappelant que ce point de départ, en phase amiable, part du jour de du jour d’observation des premières manifestations et des dégâts alors que le point de départ de la prescription en phase contentieuse se fait le jour où les dégâts ont été commis.
Cette subtilité procédurale est d’importance car elle devra déterminer le choix de l’agriculteur ayant subit des dommages sur ces récoltes et ses cultures.
Bien plus encore, si par extraordinaire le gibier ou les sangliers avaient vocation à abroutir une nouvelle fois ses récoltes celui-ci sera immanquablement tenu de faire une nouvelle déclaration et bel et bien faire partir ce nouveau point de départ en mandatant expressément l’expert pour qu’il détermine avec précision, premièrement, l’étendue des premiers dégâts et, deuxièmement, l’aggravation qui résulterait de ces seconds dégâts sur la récolte totale.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit.
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