Il est aujourd’hui classiquement admis qu’une atteinte au principe d’égalité peut se trouver justifiée. Il est en effet possible pour l’employeur de démontrer que la différence de traitement entre salariés tient à une raison objective et pertinente (Soc. 10 juin 2008, n° 06-46.000).
Qu’en est-il d’une différence de qualification des salariés à l’embauche ?
Peut-elle valablement, lorsque l’un de ces deux salariés finit par obtenir la même qualification qu’un autre recruté à la même époque, suffire à évincer une demande de rappel de salaire fondée sur le principe d’égalité de traitement ? C’est à cette délicate question que la chambre sociale de la Cour de cassation est venue, par son arrêt du 13 septembre 2023, apporter des éléments de réponse.
En l’espèce, un salarié avait été engagé en qualité d’assistant journaliste reporter stagiaire, avant d’être promu en qualité de journaliste reporter d’images, puis de chef de service.
Après avoir pris acte de la rupture de son contrat de travail, l’intéressé a saisi la juridiction prud’homale d’une demande en paiement de diverses sommes. Il estimait en effet avoir été victime d’une méconnaissance du principe d’égalité de traitement du fait d’avoir perçu pendant près d’une année une rémunération moindre qu’un autre salarié pourtant selon lui placé dans une situation similaire.
Les juges du fond le déboutèrent de ses demandes, retenant que cette différence était justifiée objectivement dès lors que les deux salariés n’avaient pas la même qualification ni la même expérience professionnelle lors de leur embauche, de sorte qu’il forma un pourvoi en cassation.
La chambre sociale de la Cour de cassation, saisie du pourvoi, va donner raison au salarié estimant que si des mesures peuvent être réservées à certains salariés, c’est à la condition que tous ceux placés dans une situation identique, au regard de l’avantage en cause, aient la possibilité d’en bénéficier, à moins que la différence de traitement soit justifiée par des raisons objectives et pertinentes.
L’employeur ne peut pas invoquer son pouvoir discrétionnaire pour se soustraire à son obligation de justifier, de façon objective et pertinente, une différence de rémunération (Soc. 30 avr. 2009, n° 07-40.527 : il ne peut accorder des avantages particuliers à certains salariés que si tous les salariés de l’entreprise, placés dans une situation identique, peuvent en bénéficier et que les règles déterminant l’octroi de ces avantages sont préalablement définies et contrôlables (Soc. 10 oct. 2013, n° 12-21.167).
Mais peut-on considérer que cette justification objective et pertinente puisse provenir de la qualification lors de l’embauche, y compris lorsque celle-ci date de plusieurs années ?
Il se trouve qu’en l’espèce, les juges du fond avaient d’abord relevé que le salarié avait perçu une rémunération inférieure à celle du salarié de comparaison pour un poste équivalent de grand reporter groupe 9. Comparant ensuite les contrats de travail, ils constatèrent que le salarié avait été engagé en qualité d’assistant journaliste reporter d’images stagiaire alors que le salarié de comparaison avait été engagé en qualité de journaliste reporter d’images la même année (1999).
Et c’est précisément cette différence de qualification entre les deux salariés lors de leur embauche qui, selon les juges du fond, devait constituer la « raison objective » à la différence de salaire constatée en 2014 et contestée avant sa promotion en qualité de chef de service.
La chambre sociale va censurer le raisonnement en ce que la cour d’appel n’a – ce faisant – pas précisé en quoi la différence de qualification des salariés lors de leur engagement en 1999, respectivement en qualité d’assistant journaliste reporter d’images stagiaire et d’assistant journaliste reporter d’images, constituait une raison objective et pertinente justifiant la disparité de traitement dans l’exercice des mêmes fonctions de grand reporter groupe 9.
En d’autres termes, la différence de qualification à l’embauche ne constitue pas en soi une raison objective et pertinente justifiant une différence de traitement entre salariés sur le plan de la rémunération.
Les hauts magistrats exigent ainsi des juges du fond qu’ils procèdent à une véritable analyse comparée de la situation des salariés sans se borner à la qualification des salariés « comparés » lors de leur engagement initial. Cette solution s’inscrit ainsi dans une forme de continuité avec les dernières décisions de la Cour invitant les juges du fond à apprécier in concreto l’existence d’une réelle différence de situation permettant d’évincer le principe d’égalité de traitement.
La solution se veut ainsi rassurante pour le salarié en ce qu’elle évite de préconstituer un motif permettant à l’employeur de s’affranchir d’un rappel de salaire dans une situation où serait constatée une différence de traitement entre salariés uniquement justifiée par une différence de qualification à l’embauche, sans autre argument ni précision. Elle ne constitue pas pour autant une sentence démesurée pour les employeurs, qui devront toutefois s’assurer d’argumenter de façon suffisamment précise et concrète en expliquant dans quelle mesure une différence de qualification peut justifier la différence de traitement pratiquée.
Elle apparait en parfaite cohérence avec la ligne dessinée en matière de diplôme, l’éminente juridiction ayant récemment jugé que la seule différence de diplômes ne permet pas de fonder une différence de traitement entre salariés qui exercent les mêmes fonctions, sauf s’il est démontré que la possession d’un diplôme spécifique atteste de connaissances particulières utiles à l’exercice de la fonction occupée (Soc. 14 sept. 2022, n° 21-12.175).
Dossier très complet et informatif