Dans les deux arrêts commentés, la Cour de Cassation retient, d’une part, que l'autorisation du juge n'est pas subordonnée à la preuve de l'existence d'une situation révélant un manquement aux obligations fiscales (Cass. com., 15 févr. 2023, n° 20-20.600), et d’autre part, que l’OPJ qui assiste aux opérations peut s’absenter pourvu qu’il reste joignable et à la disposition des participants à la visite (Cass. Com. 6 juill. 2022, n° 21-13.571).
Conformément aux dispositions de l’article L 16 B du livre des procédures fiscales (LPF), lorsque l'autorité judiciaire, saisie par l'administration fiscale, estime qu'il existe des présomptions qu'un contribuable se soustrait à l'établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d'affaires en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts, elle peut, dans les conditions prévues au II, autoriser les agents de l'administration des impôts, ayant au moins le grade d'inspecteur et habilités à cet effet par le directeur général des finances publiques, à rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s'y rapportant sont susceptibles d'être détenus ou d'être accessibles ou disponibles et procéder à leur saisie, quel qu'en soit le support. Le II de l’article précise que chaque visite doit être autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter.
Le texte précise également que la visite et la saisie de documents s'effectuent sous l'autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées et qu’il désigne le chef du service qui nomme l'officier de police judiciaire chargé d'assister à ces opérations et de le tenir informé de leur déroulement.
Dans le premier arrêt (Cass. com., 15 févr. 2023, n° 20-20.600), la Cour de Cassation considère que dans le cadre des visites domiciliaires, l'autorisation du juge n'est pas subordonnée à la preuve de l'existence d'une situation révélant un manquement aux obligations fiscales.
Au cas particulier, un juge des libertés et de la détention a, sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, autorisé des agents de l'administration fiscale à procéder à des visites avec saisies dans des locaux et dépendances, susceptibles d'être occupées par la société européenne LVMH Louis Vuitton Moët Hennessy, la société de droit belge LVMH finance Belgique (la société LFB) et/ou toute autre entité du groupe LVMH Louis Vuitton Moët Hennessy, afin de rechercher la preuve de la fraude fiscale de la société LFB au regard de l'impôt sur les sociétés, de la taxe sur le chiffre d'affaires ainsi que des infractions d'achats ou ventes sans factures et d'omissions d'écritures comptables ou de passations d'écritures comptables inexactes ou fictives.
Les opérations de visites et de saisies se sont déroulées les 11 et 12 septembre 2019. La société LFB a interjeté appel de cette autorisation et exercé un recours contre le déroulement des visites.
En appel, le premier président de la cour d'appel de Paris, par une ordonnance du 9 septembre 2020, a infirmé l'autorisation de visites et de saisies du juge des libertés et de la détention et a annulé les opérations effectuées, au motif que les moyens attribués à la société LFB depuis 2009, soit six à sept personnes à temps plein ou cinq à six salariés selon les périodes, ainsi que la présence d'une administratrice déléguée, apparaissent suffisants pour que celle-ci effectue son activité de gestion de trésorerie du groupe LVMH. Le premier président en déduit que l'administration fiscale ne démontre pas que la société LFB n'aurait pas les ressources nécessaires en Belgique à la gestion de cette activité.
L’administration se pourvoit alors en cassation devant le Cour de Cassation en soutenant que pour solliciter une autorisation de visite, elle n'a pas à prouver l'existence d'une situation révélant un manquement aux obligations fiscales et qu'elle est simplement tenue d'apporter des indices permettant de retenir des soupçons de manquements. Elle considère que le premier président a violé l'article L. 16 B du livre de procédure fiscale, en faisant peser sur elle une preuve complète quand seuls des indices de soupçons suffisaient, et en retenant qu’elle ne démontre pas que la société LFB n'a pas en Belgique les moyens nécessaires pour assurer dans cet État la mission qui lui est confiée.
La Cour de Cassation a accueilli favorablement cet argument. En conséquence, la Cour de Cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions, l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Paris. Pour la Cour de Cassation, l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales n'exige que de simples présomptions, en particulier de ce qu'une société étrangère, en l'espèce la société LFB, exploiterait un établissement stable en France en raison de l'activité duquel elle serait soumise aux obligations fiscales et comptables prévues par le code général des impôts en matière d'impôt sur les bénéfices et/ou de taxes sur le chiffre d'affaires. Et donc, en statuant comme il l’avait fait, le premier président a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas.
Dans le deuxième arrêt (Cass. Com. 6 juill. 2022, n° 21-13.571), la question s’est posée sur le rôle de l’officier de police judiciaire chargé d’assister aux opérations de visite et de saisies et qui s’est absenté du local où les opérations se déroulaient.
Les juges des libertés et de la détention des tribunaux judiciaires de Paris et de Créteil ont, sur le fondement de l’article L 16 B du LPF, autorisé l’administration fiscale à effectuer des visites et saisies dans plusieurs locaux en vue de rechercher la fraude prétendument commise par trois sociétés. Une des sociétés a interjeté appel des ordonnances d’autorisation et formé un recours contre le déroulement de ces opérations.
Le recours ayant été rejeté, la société a formé un pourvoi en cassation en faisant grief à l’ordonnance de déclarer régulières les opérations de visite et de saisies effectuées dans ses locaux, malgré les absences répétées de l'officier de police judiciaire. En effet, l'officier de police judiciaire s'était absenté du local où se déroulaient les opérations de visite domiciliaire à onze reprises durant les quinze heures qu'ont duré les opérations, pendant cinq à dix minutes à chaque heure, mais en restant à proximité du local où elles se déroulaient.
Selon la société, l’OPJ doit nécessairement assister aux opérations de visite et saisies, afin de tenir informé de leur déroulement le magistrat qui les a autorisées. Or l’ordonnance avait retenu que si l’OPJ doit être présent durant les opérations de visite domiciliaire, son rôle est limité à un contrôle de celles-ci et à une intervention en cas d’incident, si bien que celui-ci peut s’absenter pourvu qu’il reste joignable et à la disposition des participants à la visite.
C’est cette position qui est également prise par la Cour de cassation qui rejette le pourvoi en indiquant que le premier président de cour d’appel, qui constate que l’officier de police judiciaire chargé d’assister aux opérations de visite et de saisies, qui s’est absenté du local où elles se déroulaient, est demeuré à proximité de ce local et est à tout moment joignable, qu’aucun incident n’a été soulevé à ce propos et que le procès-verbal a été signé sans que des observations soient formulées, en déduit à bon droit qu’il n’y pas lieu d’annuler les opérations de visite et de saisies dès lors que n’est invoquée aucune atteinte aux intérêts que l’officier de police judiciaire a pour mission de protéger, rendue possible par ses absences.
Il faut ajouter que ces dispositions de l’article L 16 B du LPF permettant aussi la saisie de données informatiques appartenant à des tiers, stockées hors des lieux où la visite a été autorisée, avait fait l’objet d’une QPC (Cass. com. QPC n° 21-40.022 du 15/12/2021), où la Cour de cassation avait saisi le Conseil constitutionnel sur la question de savoir si ces dispositions méconnaissent le droit au respect de la vie privée en ce qu’elles permettent la saisie de données informatiques stockées à l’extérieur des lieux où la visite a été autorisée, appartenant à des tiers.
Le Conseil constitutionnel (Cons. const. 11-3-2022 n° 2021-980 QPC) avait estimé que d’une part, l’article L 16 B du LPF procède à une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale et le droit au respect de la vie privée?; et d’autre part, les recours contre l’ordonnance autorisant la visite ou contre le déroulement des opérations peuvent être formés non seulement par la personne visée par l’ordonnance et l’occupant des lieux visités, mais aussi par toute personne ayant qualité et intérêt à contester la régularité de la saisie d’un document.
De même, la saisie ne pouvant intervenir qu’à l’occasion d’une visite autorisée par le juge des libertés et de la détention, qui doit vérifier de manière concrète que la demande d’autorisation qui lui est soumise comporte tous les éléments d’information en possession de l’administration de nature à justifier la visite, ces dispositions avaient été jugées conformes à la constitution.
Cass. com., 15 févr. 2023, n° 20-20.600 et Cass. Com. 6 juill. 2022, n° 21-13.571.
Arnaud Soton
Avocat Fiscaliste
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