Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue le 09 novembre 2023 par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation, N°22-18.545, et qui vient aborder la notion de délaissement en droit de l’urbanisme.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, les consorts X étaient propriétaires en indivision d’une parcelle greffée d’un emplacement réservé pour l’extension du cimetière d’une commune.
Ces derniers ont fait le choix d’exercer leur droit à délaissement.
Le droit de délaissement est la faculté offerte aux propriétaires d’un bien immobilier de forcer l’expropriant à acquérir le bien concerné.
Ce délaissement s’accompagne d’un prix de cession fixé entre les parties.
Faute d’accord des parties sur le prix du bien délaissé, la commune a alors saisi le Juge de l’expropriation aux fins qu’il ordonne le transfert de la propriété et qu’il détermine le prix de cession.
Un prix de cession fixé par le juge de l’expropriation
Or, les consorts X, à hauteur de Cour de cassation, qui contestaient l’arrêt qui avait été rendu par la Cour d’appel d’Aix en Provence le 05 mai 2022, faisaient grief à la Cour d’avoir fixé un prix de cession qui ne leur convenait pas.
Il convient pourtant de rappeler que lorsqu’il s’élève des difficultés étrangères à la fixation du montant de l’indemnité et en application des articles L242-1 à L242-7 du Code de l’urbanisme, le Juge a le pouvoir de fixer indépendamment de ses contestations et difficultés soulevées, le montant de l’indemnité de délaissement.
Un abattement de la valeur en cas de constructions illicites sur le terrain
Or, les consorts X reprochaient à la Cour d’avoir pris en considération l’illicéité des constructions qui étaient édifiées de longue date sur le terrain en question en pratiquant un abattement de la valeur.
En effet, la Cour d’appel faisait le choix de tenir compte de l’illicéité de constructions anciennes pour déterminer le montant du prix de cession alors que, pour les consorts X, les Juges n’auraient pas dû effectivement prendre en considération cet abattement.
Or, alors que la commune avait saisi le Juge de l’expropriation pour trouver un accord sur le prix du bien délaissé, les consorts X venaient reprocher à la Cour d’avoir réalisé un abattement sur le prix de vente.
Ces derniers soutenaient qu’il appartenait à la commune, qui était débitrice de l’indemnité au titre de l’exercice du droit au délaissement et qui demandait l’application d’un abattement pour illicéité prétendue des constructions dont l’acquisition était demandée, de démontrer et de caractériser l’illicéité des dites constructions.
La démonstration du caractère illicite de la construction
Dans le cadre de leur pourvoi, les consorts X rappelaient qu’il n’était justifié d’aucun permis de construire accordé que ce soit par les services de l’Etat ou par la mairie et que la seule attestation du maire en date du 24 mai 2005, versée au débat dans laquelle le maire attestait que les consorts X avaient bien obtenu un permis de construire tacite en date du 17 février 1986 pour extension d’une construction existante à la même adresse, démontrait l’obtention du permis de construire, laissait à penser que le permis de construire était bel et bien existant.
Cela aurait-il pu suffire ?
Cela n’est pas acquis.
En effet, dans l’hypothèse où les consorts X étaient en peine de justifier de l’existence d’un permis de construire et dans la mesure ou les documents produits par ces derniers ne permettaient pas d’identifier quels étaient les projets de construction pris en compte dans les demandes antérieures au permis de construire, il n’y avait pas lieu, selon eux, de retenir un quelconque abattement du prix pour illicéité des constructions.
Encore plus, si la construction illicite avait plus de dix ans puisque la prescription décennale interdisait toute action en démolition des constructions litigieuses comme le rappellent les dispositions de l’article L230-3 du Code de l’urbanisme.
La prescription de l’action en démolition
Ainsi, l’idée des consorts X est de rappeler que, quand bien même les constructions seraient illicites et qu’elles ne reposeraient sur aucun permis de construire valable, tant bien même la mairie aurait, semble-t-il, validée à postériori à travers une simple attestation cette construction, il n’en demeurerait pas moins que cela ne saurait justifier la caractérisation d’une construction illicite justifiant un abattement dans le cadre de l’indemnité relative aux droits de délaissement,
Les consorts X considérant, dans leur pourvoi, que la Cour d’appel ne pouvait valablement prendre en considération l’illicéité de ces constructions, qui, de toute façon, ne pouvaient plus être démolies, prescription faisant.
En effet, le délai de prescription en termes de démolition est passé.
Pour autant, la Cour de cassation apporte deux réponses sur ces deux problématiques.
Le lien entre délaissement et démolition de la construction illicite
La Haute juridiction ne partage pas cette analyse.
➡ La Cour de cassation retient premièrement, au vu des pièces produites, qu’une partie significative des constructions présentes sur la parcelle délaissée avaient été édifiées sans permis de construire, de telle sorte qu’il y avait lieu d’appliquer un abattement sur la valeur du bien pour tenir compte de l’illicéité de la construction.
➡Deuxièmement, la Cour de cassation retenait également qu’il résultait des circonstances de la cause qu’une partie significative de la construction présente sur le terrain délaissé ne figurait absolument pas dans le permis de construire initial et en conclu tout naturellement qu’il s’agit bien d’une construction parfaitement irrégulière.
Abattement de l’indemnité pour illicéité de la construction
Il y avait donc bien lieu d’en conclure que cette situation constituait une moins-value justifiant d’un abattement pour illicéité des constructions quand bien même la prescription de l’action en démolition serait acquise.
Cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle vient à la fois mêler le droit de l’expropriation et le droit de l’urbanisme en considérant que, dans le cadre d’une procédure de délaissement, l’illicéité d’une construction est une source de moins-value dans la fixation du prix du bien délaissé.
Bien plus, qu’importe les délais de prescription puisque le propriétaire du bien ne peut opposer la prescription de l’action en démolition visée à l’article L230-3 du Code de l’urbanisme pour empêcher cet abattement.
La réponse de la Haute juridiction est très claire, cette situation d’illicéité constitue une moins-value justifiant un abattement pour illicéité de la construction dans le cadre de la procédure de délaissement quand bien même la prescription de l’action en démolition serait acquise.
Ainsi, dans cette jurisprudence du 09 novembre 2023, la Cour de cassation considère que la Cour d’appel qui a relevé qu’une partie significative des constructions présentes sur le terrain délaissé ne figurait pas dans la demande de permis de construire déposée en a souverainement déduit qu’une partie des constructions était irrégulière et a pu en conclure que cette situation constituait une moins-value justifiant d’un abattement pour illicéité des constructions quand bien même la prescription de l’action en démolition serait acquise.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit.
Dossier très complet et informatif