Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue le 13 décembre 2023 par la Cour de cassation, Chambre commerciale, pourvoi N°21-14579 et qui vient aborder le cas particulier d’une personne morale représentée elle-même par une personne morale afin de déterminer si oui ou non le représentant légal de cette dernière, personne physique in fine, a vocation à être exposé à des poursuites.
La Cour de cassation retenant dans cette jurisprudence que, lorsque la personne morale mise en liquidation judiciaire est une société par action simplifiée dirigée elle-même par une personne morale, la responsabilité pour insuffisance d’actif prévue à l’article L 651-2 et suivants du Code du commerce est encourue non seulement par cette personne morale dirigeant de droit ou de fait mais aussi par le représentant légal de cette deuxième personne morale, et ce, en l’absence d’obligation légale ou statutaire de désigner un représentant permanent de la personne morale dirigeant au sein d’une SAS.
Cette jurisprudence rappelle au dirigeant, qui décide de créer une société par action simplifiée en la faisant diriger elle-même par une autre société personne morale, que ce montage n’est pas pour autant protecteur à l’infini.
En effet, dans l’hypothèse où la liquidation judiciaire est prononcée, dans l’hypothèse où le mandataire liquidateur envisage une action en responsabilité pour insuffisance d’actif au visa de l’article L 651-2 du Code du commerce, le dirigeant personne physique qui n’est que le dirigeant de la personne morale étant elle-même dirigeante de la société en liquidation judiciaire n’est pourtant pas forcément à l’abris de tout action du mandataire liquidateur et peut voir son patrimoine personnel exposé.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire et suivant arrêt attaqué de la Cour d’appel de Versailles du 04 avril 2011, la société T avait cédé l’ensemble des titres de la société par action simplifiée TB présidée par Monsieur R à la société moralement F Holding, elle-même filiale de la société d’investissements GMBH.
Ces deux dernières étant dirigées par Monsieur Y.
Le 03 septembre 2012, Monsieur R a été révoqué de ses fonctions et remplacé par la société TB dirigée par Monsieur Z qui, le même jour, est également devenu le dirigeant de la société F Holding.
Or, le 01er octobre 2012, la SAS TB a été mise en redressement judiciaire puis, le 20 décembre 2012, son plan de cession a été arrêté et sa mise en liquidation judiciaire prononcée, un mandataire liquidateur ayant été désigné à cet effet.
Ledit liquidateur de la société TB a, par la suite, assigné en responsabilité pour insuffisance d’actif au visa de l’article L 651-2 du Code du commerce les sociétés F Holding ainsi que TB Management et les consorts Z et Y en qualité de dirigeant de droit pour les uns, et de fait pour les autres.
Or, dans cette affaire, Monsieur Z se pourvoyant en cassation faisait grief à la Cour d’appel de Versailles d’avoir dit que celui-ci était bel et bien le dirigeant de droit de la société TB, de dire que la société TB Management et lui-même avaient commis des fautes de gestion ayant contribuées à l’insuffisance d’actif de la société TB et de les condamner à payer une certaine somme au titre de l’insuffisance d’actif.
Ces derniers considéraient, dans le cadre de leur pourvoi, qu’il résultait de l’article L 651-1 du Code du commerce que la responsabilité pour insuffisance d’actif encouru sur le fondement de l’article L 651-2 du même Code est notamment applicable au dirigeant d’une personne morale de droit privé soumise à une procédure collective et aux personnes physiques représentant permanent de ces dirigeants, personnes morales.
Que dès lors, pour décider que la responsabilité pour insuffisance d’actif de Monsieur Z en sa qualité de dirigeant de la société TB Management, elle-même dirigeante de la société TB SAS, pouvait être engagée, la Cour d’appel avait estimé qu’il était indifférent qu’il ne soit pas le représentant permanent de la personne morale dirigeante, eu égard aux dispositions de l’article L 227-7 du Code du commerce applicable aux sociétés par action simplifiée dirigées par des personnes morales suivant lesquels la personne morale dirigeante n’est pas tenue de désigner un représentant permanent et aux stipulations des statuts de la SAS TB.
Qui est le représentant permanent de la personne morale dirigeante ?
De telle sorte que ces derniers ne pouvaient être poursuivi en qualité de dirigeant de la société TB Management elle-même dirigeante de la SAS TB.
Il venait également contester les fautes de gestion qui lui étaient reprochées comme ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société TB.
Des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif
Monsieur Y, quant à lui, faisait grief de l’avoir condamné solidairement à payer une certaine somme au titre de l’insuffisance d’actif en même temps que Monsieur Z et la société TB Management.
Ce dernier considérait, à hauteur de Cour de cassation, qu’il ne pouvait voir sa responsabilité engagée dans la mesure où l’article L 651-2 du Code du commerce est applicable au dirigeant d’une personne morale de droit privé soumise à une procédure collective et aux personnes physiques représentant permanent de ces dirigeants personnes morales, de telle sorte que ce texte n’était pas applicable aux personnes physiques représentant des personnes morales reconnues dirigeantes de fait de la société débitrice.
Dès lors, Monsieur Y considérait que la Cour d’appel ne pouvait retenir sa responsabilité personnelle, puisque, selon lui, le dirigeant de droit de la société en liquidation judiciaire n’était pas lui-même mais une société personne morale dont il n’était que le représentant et que dès lors, elle ne pouvait ni le désigner comme représentant permanent de la personne morale dirigeant de fait de la société débitrice ni de le qualifier de dirigeant de fait de ladite société puisque celle-ci était justement dirigée par une personne morale.
Dirigeant personne physique, dirigeant de fait de la première société ?
De telle sorte que Monsieur Y ne pouvait, c’est ce qu’il soutenait dans son pourvoi, endosser une quelconque responsabilité pour insuffisance d’actif.
Pour autant, la Cour de cassation ne s’y trompe pas.
Elle rappelle à travers une double argumentation qu’il résulte de la combinaison des articles L 227-7, L 651-1 et L 651-2 du Code du commerce que, lorsque la personne morale mise en liquidation judiciaire est une société par action simplifiée dirigée par une personne morale, la responsabilité pour insuffisance d’actif prévue par l’article L 651-2 est encourue non seulement par cette personne morale dirigeant de droit mais aussi par le représentant légal de cette dernière en l’absence d’obligation légale ou statutaire de désigner un représentant permanent de la personne morale dirigeant au sein d’une SAS.
La désignation du représentant permanent de la personne morale dirigeant au sein d’une SAS
Ainsi, la Cour de cassation confirme bien que la responsabilité pour insuffisance d’actif est encourue non seulement par la personne morale dirigeante de la personne morale mise en liquidation judiciaire mais aussi par le représentant légal de cette dernière.
Ainsi, lorsqu’une SAS débitrice est dirigée par une personne morale représentée légalement par une personne physique, la faute de gestion de nature à engager la responsabilité pour insuffisance d’actif de ce dirigeant peut être caractérisée indifféremment à l’égard de celle-ci ou à l’égard de son représentant légal.
Il en découle ainsi que c’est à juste titre que les Juges du fond ont retenu la responsabilité de la société dirigeante morale mais également de Monsieur Z et de Monsieur Y en leur qualité de dirigeant de fait de la société TB en liquidation judiciaire.
Cette jurisprudence est intéressante, nonobstant cette spécificité et cette redondance technique entre personne morale en liquidation judiciaire et personne morale dirigeante de ladite société en liquidation judiciaire car il n’en demeure pas moins que, malgré son montage juridique pertinent, en bout de chaine il y a forcément une personne physique à la tête de l’ensemble de ces entités et que cette personne physique ne peut être protégée par ce montage en croyant bon pouvoir échapper à toute forme de responsabilité en se cantonnant de placer une personne morale à la tête d’une personne morale afin de préserver sa responsabilité personnelle.
La jurisprudence telle qu’évoquée vient justement rappeler que dans l’hypothèse où une société par action simplifiée mise en liquidation judiciaire est dirigée par une personne morale, immanquablement, le dirigeant personne physique de cette personne morale, elle-même dirigeante de la société en liquidation judiciaire, peut voir sa responsabilité engagée au titre de l’insuffisance d’actif de la société en liquidation judiciaire, tant en sa qualité de gérant de droit que de gérant de fait.
Ce petit rappel s’impose, afin que le dirigeant, personne physique, n’omette pas que celui-ci peut voir sa responsabilité engagée quel que soit le montage juridique que celui-ci a mis en place.
Un montage juridique efficace pour échapper à sa responsabilité ?
Cela est d’importance car à partir du moment où ce dernier a bien conscience que sa responsabilité personnel peut être engagée au titre de l’insuffisance d’actif de la société en liquidation judiciaire en même temps que la personne morale dirigeante de droit, ce dernier a donc tout intérêt à participer activement au déroulement de sa procédure collective et à préparer intelligemment la liquidation judiciaire de la société dont il peut se retrouver in fine responsable afin justement de se prémunir de toute faute de gestion que pourrait lui reprocher le mandataire liquidateur.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit
Dossier complet répondant à mes questions