Le rapport des libéralités est une institution selon laquelle l'héritier, appelé avec d'autres à recueillir une succession, doit remettre dans la masse successorale les biens dont le défunt l'avait gratifié.
Le rapport s'effectue en valeur. Le rapport des dettes est une règle d'allotissement : l'indivisaire débiteur de l'indivision reçoit dans son lot, au moment du partage, la créance de cette dernière à son encontre.
La créance s'éteint alors à due concurrence de ses droits par confusion. Ces deux notions ont pour finalité commune de garantir l'égalité successorale. Il s'agit, dans le cas du rapport des libéralités, d'assurer l'égalité de la vocation héréditaire et de la quote-part recueillie de l'ensemble des biens transmis aux héritiers, par succession ou libéralité. À la différence de la réduction des libéralités excessives, le rapport successoral n'est pas une institution d'ordre public. Les modifications apportées au rapport des libéralités par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 s'appliquent aux successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007, même si des libéralités ont été consenties par le défunt avant cette date.
En droit international privé, le règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, entré en vigueur le 17 août 2015, soumet le rapport des libéralités à la loi applicable à la succession, déterminée conformément aux articles 21 et 22 de ce règlement.
Selon l’article 758-6 du Code civil « Les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s'imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités ainsi reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint survivant peut en réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des biens supérieure à la quotité définie à l'article 1094-1 ».
Le conjoint survivant qui se trouve en concours avec des enfants tous issus des deux époux dispose d’une option entre l’usufruit de toute la succession et un quart en pleine propriété (C. civ., art. 757.
Il n’existe aucun délai pour prendre partie, mais tout héritier peut le mettre en demeure d’opter (C. civ., art. 758-3). Passé un délai de 3 mois en cas de mise en demeure (C. civ., art. 758-3) ou s’il décède sans avoir opté (C. civ., art. 758-4), il est réputé avoir opté pour l’usufruit.
Si le défunt laisse au moins un enfant qui n’est pas issu des deux époux, le conjoint n’a plus d’option : ses droits sont d’un quart en pleine propriété.
Le conjoint face aux descendants du défunt
Vocation principale en propriété ou en usufruit
La vocation en usufruit porte sur tous les biens existants de la succession y compris s’ils sont nécessaires pour composer ou compléter la réserve des enfants. Ceci ne signifie pas pour autant que le conjoint est lui-même, dans cette configuration, héritier réservataire (Code civil, article 912 à 914-1).
Il ne peut donc exercer son usufruit sur un bien légué en propriété par le défunt. Et dans l’hypothèse même où ce legs serait réduit pour atteinte à la réserve des enfants, le conjoint ne peut pas davantage prétendre en profiter en faisant porter son droit sur le produit de la réduction (Code civil, article 921).
L’usufruit légal (de même d’ailleurs que celui constitué par testament ou donation entre époux à cause de mort) peut faire l’objet d’une conversion en rente viagère, à la demande des héritiers nus-propriétaires ou du conjoint lui-même (Code civil, article 759).
À défaut d’accord, c’est au juge qu’il revient d’apprécier l’opportunité de la conversion et, s’il fait droit à la demande, de décider du montant de la rente, de son indexation, et des sûretés que devront fournir les débiteurs. Il ne peut toutefois imposer une conversion de l’usufruit du conjoint sur le logement qu’il occupe à tire principal (Code civil, article 760).
À noter que la conversion peut également avoir lieu en capital, mais il faut cette fois, nécessairement, un accord entre les parties (Code civil, article 761).
Cet accord doit être certain : il a été jugé récemment, pour refuser d’expulser le conjoint survivant du logement dépendant de la succession, que la simple valorisation judiciaire de ses droits en usufruit ne vaut pas conversion en capital de cet usufruit.
La vocation du « quart » en propriété se détermine selon des modalités particulières, par l’établissement de deux masses, l’idée générale étant de permettre au conjoint d’accroître ses droits sur les biens existants de la succession lorsque les enfants ont déjà reçu des libéralités rapportables, sans lui permettre pour autant d’exiger d’eux la moindre restitution (soit une sorte de rapport uniquement en moins prenant), et sans qu’il puisse par ailleurs porter atteinte aux autres libéralités consenties par le de cujus, ni à la réserve héréditaire (Code civil, article 758-5).
La première masse, dite « masse de calcul » (Code civil, article 758-5, al. 1), se compose des biens existants de la succession (non légués) auxquels on ajoute les libéralités rapportables (donations et legs rapportables) consenties aux enfants. La doctrine s’accorde à considérer que la masse de calcul doit aussi être augmentée des libéralités, même hors part, consenties au conjoint lui-même.
Elle est plus divisée en revanche sur le point de savoir si les donations-partages en avancement de part doivent aussi y être intégrées, ce que ne permet pas la lettre de l’article 758-5 du Code civil (puisque les donations-partages ne sont jamais rapportables), mais peut commander son esprit (puisque les donations-partages ont souvent vocation à composer à l’avance les parts héréditaires). Les droits théoriques du conjoint portent alors sur le quart de cette masse de calcul.
La seconde masse, dite « masse d’exercice » (Code civil, article 758-5, al. 2), sert à vérifier s’il existe suffisamment de biens disponibles pour servir concrètement au conjoint tout ou partie de ses droits théoriques.
Elle ne comporte que les biens existants de la succession, à l’exclusion de toutes les libéralités entre vifs ou à cause de mort, et encore à la condition que ces biens ne fassent pas l’objet d’un droit de retour, ni qu’ils soient nécessaires pour composer ou compléter (s’ils ont déjà reçu des libéralités en avance de part) la réserve des enfants.
Au final, les droits effectifs du conjoint survivant sont donc égaux au plus faible des deux résultats après comparaison des droits théoriques et de la masse d’exercice.
Les droits légaux en propriété, comme d’ailleurs ceux en usufruit, pourront encore être « amputés » si le conjoint reçoit par ailleurs des libéralités, ou s’il bénéficie des droits viagers (V. n° 32 et 33).
Protection du cadre de vie du conjoint et droits alimentaires
Le conjoint bénéficie pendant un an d’un droit de jouissance gratuite sur le logement occupé effectivement à titre d’habitation principale, et sur le mobilier le garnissant. Il s’agit d’un effet du mariage, doté au surplus d’un caractère impératif, ce qui permet au conjoint d’en profiter même s’il renonce à la succession, et nonobstant toutes dispositions contraires du de cujus.
À noter que ce droit s’applique non seulement si le logement appartenait à l’époux prédécédé ou aux deux, mais encore s’il était en indivision entre le défunt et un tiers, ou faisait l’objet d’un bail à loyer. Dans ces deux dernières hypothèses, c’est à la succession qu’il incombe de prendre en charge, pendant un an, l’indemnité d’occupation ou les loyers
Le conjoint bénéficie aussi de droits viagers d’habitation sur le logement, et d’usage sur le mobilier le garnissant, droits qu’il doit réclamer dans un délai d’un an. Contrairement aux droits temporaires, les droits viagers sont de nature successorale. Ils ne sont pas impératifs, mais il faut toutefois une mention expresse dans un testament authentique pour en priver le conjoint (Code civil, article 764). Autre différence, le droit d’habitation ne peut s’appliquer que sur un bien qui appartenait aux époux, ou dépendant exclusivement de la succession (et non un immeuble indivis). Il ne confère aucun droit sur un logement loué, mais le conjoint bénéficie alors, dans cette hypothèse, d’un droit d’usage viager sur le mobilier le garnissant (Code civil, article 765-2).
Sur la notion d’occupation effective à titre d’habitation principale, : la veuve, qui habitait avec le défunt le studio situé au rez-de-chaussée de l’immeuble, ne peut prétendre bénéficier du droit viager de l’article 764 du Code civil sur un autre studio « indépendant et non attenant », situé au premier étage du même immeuble, lequel était occupé par la fille du défunt.
Lorsqu’il est dans le besoin, le conjoint, même privé par le de cujus, de ses autres droits légaux, peut réclamer une pension à la succession. Cette pension, qui doit être traitée comme un passif successoral, fait l’objet d’un prélèvement sur l’hérédité. Elle est supportée par tous les héritiers et, en cas d’insuffisance, par tous les légataires particuliers, à proportion de leurs droits, sauf si le testateur a déclaré que tel legs serait acquitté par préférence aux autres (Code civil, article 767).
Aucun texte spécifique ne vient, sur le modèle des autres règles d’imputation, empêcher le cumul entre la pension de l’article 767 du Code civil et les droits successoraux du conjoint. De fait, néanmoins, les droits pris dans la succession, de par la loi ou des libéralités, sont de nature à atténuer, voire à supprimer, l’état de besoin qui conditionne le versement de cette pension.
La loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 a prévu une règle d’imputation, en réalité d’amputation, afin que la valeur des droits viagers d’habitation et d’usage vienne en diminution de la vocation « principale » du conjoint (Code civil, article 765).
La loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, dans le but affiché de mieux préserver la réserve des enfants, a ajouté un mécanisme comparable, conduisant lui-aussi, à amputer ladite vocation, cette fois du montant des libéralités consenties par l’époux prédécédé au survivant (Code civil, article 758-6).
Si les conditions de mise en ½uvre de ces dispositifs, et leur conciliation, soulèvent des questions complexes qui dépassent le cadre d’un exposé synthétique, il demeure possible d’en dégager les principes.
Les notaires doivent connaître précisément les conséquences de ces différentes règles liquidatives. Il a été jugé récemment que le notaire qui n’informe pas suffisamment le conjoint survivant des règles du cumul des libéralités entre époux avec la vocation légale (succession ouverte avant le 1er janvier 2007) engage sa responsabilité.
Le conjoint ne peut pas cumuler sans limite les droits viagers, d’usage et d’habitation, avec la vocation du quart en propriété définie par l’article 757 du Code civil. La valeur des premiers doit alors s’imputer (ce qui suppose une conversion tenant compte de l’âge et de l’état de santé du conjoint), sur la valeur de la seconde.
Par suite, si cette « imputation-amputation » laisse subsister une partie de la vocation en pleine propriété, le conjoint peut prétendre au reliquat. Si, au contraire, la valeur des droits viagers s’avère supérieure, il ne conserve que ceux-là, mais sans avoir à récompenser la succession pour l’excédent (Code civil, article 765).
Lorsque le conjoint a opté pour la totalité de l’usufruit des biens de la succession (en présence d’enfants communs uniquement), il semble raisonnable de considérer, avec une doctrine majoritaire, et alors même que l’article 765 du Code civil ne distingue pas, que l’imputation demeure sans effet, dans la mesure où le droit d’usufruit englobe les droits d’usage et d’habitation.
Le conjoint face aux autres parents du défunt
Le conjoint face aux père et mère du défunt
Le conjoint a vocation à la moitié de la succession lorsqu’il est en concours avec les deux parents du défunt, qui se partagent alors le reste. Il en recueille les trois quarts, lorsque l’un des père et mère est décédé (Code civil, article 757-1).
Comme en cas de concours avec les descendants, ces droits se calculent suivant la double masse prévue par l’article 758-5 du Code civil, si ce n’est que la réserve n’est pas à déduire de la masse d’exercice pour la bonne raison qu’il s’agit de celle du conjoint lui-même.
S’agissant des « imputations-amputations » prévues par les articles 765 et 758-6 du Code civil, elles semblent devoir s’appliquer, en tout cas si l’on s’en tient à la lettre des textes. Pour la seconde, la chose est sans doute contestable si l’on se souvient que la règle est d’abord un outil de protection de la réserve des enfants.
Elle l’est un peu moins si l’on y voit aussi une forme particulière de rapport successoral, lequel a pour objet de reconstituer les parts héréditaires, indépendamment de tout enjeu de réserve.
L’article 738-2 du Code civil reconnaît au père et mère, en l’absence de descendant, un droit de retour légal, sur les biens qu’ils ont eux-mêmes donnés au de cujus, à concurrence des quotes-parts fixées à l’article 738 du Code civil.
Ce texte, pour le moins énigmatique, indique aussi que le retour peut jouer en nature ou en valeur, dans la limite de l’actif successoral, et qu’il doit s’imputer sur la vocation « ordinaire » des père et mère. Il suscite des discussions et laisses-en suspens plusieurs questions qui seront traitées dans une autre synthèse).
Disons simplement que la doctrine s’accorde généralement à y voir un droit de nature successorale (au contraire du retour conventionnel), et impératif en ce qu’il constitue un substitut à la réserve des parents supprimée en 2006. Cette analyse, dans sa première partie au moins, a été assez récemment confortée par la Cour de cassation.
Au visa de l’article 722 du Code civil, la Cour de cassation estime que le droit de retour de l’article 738-2 du Code civil est un droit de nature successorale auquel il ne peut être renoncé avant l’ouverture de la succession.
La question de l’assiette du retour légal demeure en revanche entière. En l’absence de jurisprudence, la doctrine est partagée, certains auteurs considérant qu’il doit porter sur le quart des biens donnés, d’autres estimant qu’il s’applique sur la totalité de ces biens, mais dans la limite de la vocation ordinaire du quart reconnue à chacun des père et mère.
Le conjoint face aux collatéraux (ordinaires ou privilégiés) ou aux ascendants ordinaires
En l’absence de descendant et des père et mère du défunt, le conjoint recueille l’intégralité de la succession (Code civil, article 757-2). Cette règle connaît toutefois deux tempéraments :
Lorsque se retrouvent en nature dans la succession des « biens de famille », c’est-à-dire des biens recueillis par le de cujus, par donation ou dans la succession d’un ou plusieurs de ses ascendants, et qu’il n’existe ni descendant, ni père et mère du défunt, les collatéraux privilégiés, ou certains d’entre eux, peuvent retrouver une vocation.
Sur la moitié desdits « biens de famille » s’ouvre en effet une succession anomale, dévolue aux frères et s½urs (ou leurs descendants), qui seraient eux-mêmes descendants du ou des parents prédécédés à l’origine de la transmission. Contrairement au retour des père et mère, ce droit, qui n’est pas d’ordre public, peut être écarté par le défunt. Lorsque tel n’est pas le cas, il suscite des difficultés qui méritent, elles aussi, d’être abordées dans une étude particulière.
On notera qu’un arrêt récent vient d’apporter d’utiles éclairages. Alors que la question était discutée en doctrine, la Cour de cassation décide que les frères et s½urs ne sont pas tenus d’indemniser la succession ordinaire pour les améliorations apportées par le défunt au bien de famille, pas plus que pour la soulte de partage qu’il avait dû acquitter pour l’obtenir ;
Les ascendants ordinaires qui sont dans le besoin bénéficient d’une créance alimentaire contre la succession lorsqu’elle est appréhendée par le conjoint seul, ou par celui-ci et un seul des père et mère (Code civil, article 758).
Sources :
Dossier très complet et informatif