Définie par le premier alinéa de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la diffamation est incriminée en ses articles 30, 31 et 32.
Bien qu'il s'agisse d'une restriction à la liberté d'expression, elle semble parfaitement compatible, du moins dans son principe, avec les exigences constitutionnelles et conventionnelles.
À titre principal, la diffamation est une infraction susceptible d'engager la responsabilité pénale de son auteur. Sur cette base, une action civile est également souvent exercée. En revanche, la responsabilité civile de droit commun de l'article 1240 du Code civil est presque entièrement exclue du contentieux de la diffamation.
La diffamation suppose une expression, une communication. Celle-ci peut consister en une publication ou une reproduction des propos litigieux. Mais la diffamation reste punie, certes au titre d'une simple contravention, lorsque les propos ne sont pas publics, sauf à ce que ceux-ci soient considérés comme confidentiels.
La diffamation suppose encore que des allégations ou imputations soient formulées, articulant de manière précise des faits de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire.
Le fait précis doit porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé. Il peut s'agir de l'attribution d'un fait soit illégal, soit immoral, soit contraire aux diligences professionnelles.
I. La victime de la diffamation doit être identifiée ou identifiable
L'article 32, alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 incrimine la diffamation commise envers les particuliers – personnes physiques ou morales – tandis que ses alinéas 2 et 3 incriminent certaines diffamations à caractère discriminatoire.
L'article 34 de la loi prévoit le cas spécifique d'une diffamation commise contre la mémoire des morts, pour ne la réprimer que dans les cas où les auteurs auraient eu l'intention de porter atteinte à l'honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires universels vivants.
Les articles 30 et 31 incriminent les diffamations commises envers certains corps ou serviteurs de l'État, à condition qu'un lien soit établi entre les faits imputés et leurs fonctions ou qualités.
La diffamation est une infraction intentionnelle. Cette intention a cependant pour originalité d'être directement déduite des faits, ce qui a pour conséquence de créer une véritable présomption d'intention diffamatoire.
II. Comment identifier l’auteur d’un compte Facebook diffamant ?
Un de ses habitants est titulaire d’une page Facebook consacrée à cette ville. Il lui est reproché, en qualité de directeur de la publication, d’avoir diffusé des propos diffamatoires à l’encontre du maire. Or, il conteste avoir cette qualité.
Néanmoins, suite à une ordonnance sur requête, la société Facebook Ireland Limited a communiqué les données de création du compte, dont un numéro de téléphone vérifié qui correspond bien au titulaire du compte.
Pour valider la création d’un compte, il faut confirmer le numéro de mobile par un chiffre envoyé par SMS. Pour s’opposer à ces éléments, il prétend, sans le prouver, que quelqu’un lui aurait emprunté à son insu son portable pour effectuer cette opération.
Le tribunal a rejeté cet argument au motif suivant : « il résulte de ces éléments, qu’il est établi que M. Y. est à l’origine de la création de la page Facebook et à ce titre dispose de tous les éléments utiles à sa gestion et notamment les publications qui y figurent. Par conséquent, il y a lieu de le considérer comme directeur de publication ».
La diffamation étant établie, il est condamné, en sa qualité de directeur de la publication, à payer une amende de 500 ¤. Il est par ailleurs tenu de retirer le post litigieux sous astreinte de 1 000 ¤ et de publier le dispositif du jugement pendant trois mois.
Il doit de plus verser au maire de la ville 1 000 ¤ de dommages-intérêts au titre du préjudice moral et 1 500 ¤ au titre des frais engagés pour se défendre (TJ Fontainebleau, 6 déc. 2021, M. X. c./ M. Y., Legalis).
III. La création de la page Facebook
A) Directeur de publication
Rappelons la teneur de l’article 93-2 :
« Tout service de communication au public par voie électronique est tenu d’avoir un directeur de la publication. »
Lorsque le directeur de la publication jouit de l’immunité parlementaire dans les conditions prévues par l’article 26 de la Constitution et par les articles 9 et 10 du protocole du 8 avril 1965 sur les privilèges et immunités des communautés européennes, il désigne un codirecteur de la publication choisi parmi les personnes ne bénéficiant pas de l’immunité parlementaire et, lorsque le service de communication est assuré par une personne morale, parmi les membres de l’association, du conseil d’administration, du directoire ou les gérants, suivant la forme de ladite personne morale.
Le codirecteur de la publication doit être nommé dans le délai d’un mois à compter de la date à partir de laquelle le directeur de la publication bénéficie de l’immunité mentionnée à l’alinéa précédent.
Le directeur et, éventuellement, le codirecteur de la publication doivent être majeurs, avoir la jouissance de leurs droits civils et n’être privés de leurs droits civiques par aucune condamnation judiciaire. Par dérogation, un mineur âgé de seize ans révolus peut être nommé directeur ou codirecteur de la publication réalisée bénévolement. La responsabilité des parents d’un mineur âgé de seize ans révolus nommé directeur ou codirecteur de publication ne peut être engagée, sur le fondement de l’article 1242 du Code civil, que si celui-ci a commis un fait de nature à engager sa propre responsabilité civile dans les conditions prévues par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Toutes les obligations légales imposées au directeur de la publication sont applicables au codirecteur de la publication.
Lorsque le service est fourni par une personne morale, le directeur de la publication est le président du directoire ou du conseil d’administration, le gérant ou le représentant légal, suivant la forme de la personne morale.
Lorsque le service est fourni par une personne physique, le directeur de la publication est cette personne physique » (L. no 82-652, 29 juill. 1982, JO 30 juill., art. 93.2).
Quant à l’article 93-3 qui organise la « cascade », dans sa rédaction actuelle, il se présente ainsi :
« Au cas où l’une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est commise par un moyen de communication au public par voie électronique, le directeur de la publication ou, dans le cas prévu au deuxième alinéa de l’article 93-2 de la présente loi, le codirecteur de la publication sera poursuivi comme auteur principal, lorsque le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public.
À défaut, l’auteur, et à défaut de l’auteur, le producteur sera poursuivi comme auteur principal. Lorsque le directeur ou le codirecteur de la publication sera mis en cause, l’auteur sera poursuivi comme complice.
Pourra également être poursuivi comme complice toute personne à laquelle l’article 121-7 du Code pénal sera applicable.
Lorsque l’infraction résulte du contenu d’un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, le directeur ou le codirecteur de publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s’il est établi qu’il n’avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message »
B) Mise en ½uvre
Plusieurs « acteurs » sont donc concernés par les textes cités.
1º) Le directeur de publication, comme en droit de la presse traditionnel, est le responsable de premier rang
La jurisprudence en donne de bien simples illustrations. C’est par exemple la Cour de Montpellier jugeant qu’un directeur de publication ou un administrateur de blog peut voir sa responsabilité pénale recherchée dès lors que, tenu à un devoir de vérification et de surveillance, il se doit de contrôler les articles publiés sur son site et qu’il peut les filtrer et les retirer du site s’il estime qu’ils sont susceptibles de tomber sous le coup de la loi pénale (CA Montpellier, 3e ch. corr., 23 nov. 2015, Juris-Data no 2015-031812).
Ou celle de Paris qui, rappelant que « les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire, mais (qu’) elles peuvent être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi », condamne, comme tel, le directeur de publication d’un site internet (appartenant au demeurant à un organe de presse connu) pour des affirmations figurant sur ledit site (CA Paris, pôle 2, 7e ch., 26 mai 2021, no 20/01994, LexisNexis).
A même été considéré comme directeur de publication le propriétaire d’un téléphone portable utilisé pour créer un compte Facebook à partir duquel était diffusé des propos diffamatoires à l’encontre du maire d’une commune (TJ Fontainebleau, ch. corr., 3 janv. 2022, ).
On ajoutera que ce directeur ne doit pas être un directeur fantoche et qu’il faut chercher la réalité derrière l’apparence. L’article 6 VI 2 de la loi no 82-652 du 29 juillet 1982 prévoit d’ailleurs qu’« est puni d’un an d’emprisonnement et de 75 000 ¤ d’amende le fait, pour une personne physique ou le dirigeant de droit ou de fait d’une personne morale exerçant l’activité définie au III. de ne pas avoir respecté les prescriptions de ce même article », les personnes morales pouvant également faire l’objet de sanctions pénales.
C’est donc sans surprise que, dans une affaire intéressant le site d’une association tournée vers des discours racistes et de haine, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi contre l’arrêt qui avait condamné à une peine de trois mois de prison avec sursis et de 5 000 ¤ d’amende le président de l’association en cause (Cass. crim., 22 janv. 2019, RLDI 2019/157 no 5363, Juris-Data no 2019-000642 ; et l’article Legris-Dupeux C., Soral directeur du site Egalité et Réconciliation : suite et fin de la saga judiciaire, RLDI 2019/159, no 5390).
Celui-ci n’avait rien trouvé de mieux que de désigner comme directeur et directeur adjoint de la publication du site, deux délinquants « non seulement incarcérés, mais [dont] l’enquête [avait] permis d’établir qu’ils n’étaient pas en contact avec l’extérieur de la maison centrale où ils purgent leur peine, n’ayant pas accès à internet et ne recevant pas ou plus de visites depuis longtemps » (pour reprendre les motifs de l’arrêt d’appel) !
Le fait est que, si à la qualité de directeur de publication répond à un statut propre, la détermination de qui est directeur est pour une large part factuelle.
2º) L’auteur vient ensuite
A cet égard, un arrêt de la Cour de cassation de janvier 2020 insiste sur le pouvoir d’appréciation des juges du fond qui peuvent relaxer le directeur de publication et sanctionner « l’auteur » au sens du texte (Cass. crim., 7 janv.r 2020, Juris-Data no 2020-000154) :
« L’arrêt, après avoir rappelé que l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle dispose que le directeur de la publication sera poursuivi comme auteur principal lorsque le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public et, qu’à défaut, l’auteur des propos sera poursuivi comme auteur principal, énonce que le directeur de la publication a été relaxé, de sorte que le tribunal a pu condamner en qualité d’auteur principal de l’infraction de diffamation M. B., initialement poursuivi comme complice en qualité d’auteur dudit message ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, et dès lors que, d’une part, la juridiction correctionnelle a le pouvoir d’apprécier le mode de participation du prévenu aux faits spécifiés et qualifiés dans l’acte de poursuite, les restrictions que la loi sur la presse impose aux pouvoirs de cette juridiction étant relatives uniquement à la qualification du fait incriminé, d’autre part, l’auteur du propos poursuivi, non pas comme complice de droit commun au sens de l’alinéa 4 de l’article 93- 3 précité et des articles 121-6 et 121-7 du Code pénal, mais en qualité de complice au sens de l’alinéa 3 du premier de ces articles, aux côtés du directeur de la publication poursuivi en qualité d’auteur principal, est, en cas de relaxe de ce dernier, susceptible d’être condamné en qualité d’auteur principal de l’infraction, la cour d’appel a fait une exacte application des textes susvisés ».
Diffamation
Élément matériel
La diffamation exige la réunion de quatre éléments : une allégation ou une imputation ; un fait déterminé ; une atteinte à l’honneur ou à la considération ; une personne ou un corps identifié ; la publicité.
l’allégation consiste à reprendre, répéter ou reproduire des propos ou des écrits attribués à un tiers contenant des imputations diffamatoires ; l’imputation s’entend de l’affirmation personnelle d’un fait dont son auteur endosse la responsabilité ;
l’imputation ou l’allégation doit porter sur un fait déterminé, susceptible de preuve ;
l’atteinte à l’honneur consiste à toucher à l’intimité d’une personne, en lui imputant des manquements à la probité ou un comportement moralement inadmissible ; l’atteinte à la considération consiste à troubler sa position sociale ou professionnelle, attenter à l’idée que les autres ont pu s’en faire ;
la diffamation doit viser une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours ou écrits ;
la publicité résulte de l’utilisation de l’un des moyens énoncés par l’article 23 ; elle suppose une diffusion dans des lieux ou réunions publics.
Élément moral et sanction
Il consiste en l’intention de porter atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps diffamé et il est classiquement présumé.
Diffamation envers les corps ou personnes désignés par les articles 30 et 31 : amende de 45 000 ¤.
Diffamation envers les particuliers : amende de 12 000 ¤ (un an d’emprisonnement et 45 000 ¤ d’amende si la diffamation a un caractère racial, ethnique ou religieux, ou a été commise à raison du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre ou du handicap, le tribunal pouvant ordonner l’affichage ou la diffusion de la décision et la peine de stage de citoyenneté).
Diffamation non publique : amende de 38 ¤ (750 ¤ si elle est raciste ou discriminatoire).
Sources :
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000030381677
Dossier complet répondant à mes questions