Le fait que l'administration fiscale puisse procéder, dans le délai de reprise, à de nouvelles rectifications portant sur les mêmes impôts et périodes que ceux couverts par une vérification de comptabilité achevée, lorsque les nouvelles rectifications résultent de l'examen du dossier du contribuable, dans le cadre d'un contrôle sur pièces, par exemple, n’est pas nouveau. Mais le Conseil d’Etat va plus loin avec cette solution dans le cadre d’une transaction, en retenant qu’après une première procédure ayant abouti à une transaction, un second contrôle peut porter sur les mêmes impôts et la même période, dès lors que les chefs de rectification sont distincts.
Rectifications comptables par l'administration
En principe, les doubles vérifications de comptabilité sont interdites, car aux termes de l'article L. 51 du LPF, lorsque la vérification de comptabilité, pour une période déterminée, au regard d'un impôt ou taxe ou d'un groupe d'impôts ou de taxes est achevée, l'administration ne peut procéder à une nouvelle vérification de ces écritures au regard des mêmes impôts ou taxes et pour la même période. On sait, cependant, que cette interdiction ne fait pas obstacle à ce que, à la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale corrige dans le délai de reprise les insuffisances ou erreurs dont la découverte résulte de l'examen du dossier du contribuable, dans le cadre d'un contrôle sur pièces au titre du même impôt et de la même période. L’administration peut donc procéder, dans le délai de reprise, à de nouvelles rectifications portant sur les mêmes impôts et périodes que ceux couverts par une vérification de comptabilité achevée, si elles résultent de l'examen du dossier du contribuable, dans le cadre d'un contrôle sur pièces. L'interdiction édictée par l'article L 51 du LPF ne s'applique donc que si les deux interventions successives de l'administration ont le caractère d'une vérification de comptabilité et que la seconde vérification porte sur les mêmes impôts que la première, et sur les mêmes périodes.
Le cas d'une entreprise d'informatique
Au cas particulier, la société Cella Informatique a fait l'objet, en 2015, d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos de 2012 à 2014, à l’issue de laquelle des rectifications lui ont été proposées au titre de l'exercice clos en 2014, d'une part, en matière de de TVA avec application de la majoration pour manquement délibéré, et d'autre part, en matière d'IS, consistant en la réintégration d'un passif injustifié.
La société avait alors demandé une transaction, transaction acceptée par l’administration fiscale et conclue le 21 mars 2016, prévoyant la réduction de la pénalité, en contrepartie de l'acceptation des rectifications et du paiement des impositions supplémentaires correspondantes.
Or, le 11 mars 2016, dans le cadre d'une procédure de contrôle sur pièces, l'administration fiscale a adressé à la société une proposition de rectification du résultat imposable à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2014, à raison, cette fois-ci, de la remise en cause de la déduction d'un mali de fusion.
La société Cella Informatique, aux droits de laquelle sont venues la société Umanis puis la société CGI France, a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des impositions supplémentaires, comme étant intervenues en méconnaissance de la garantie du non renouvellement d’une vérification.
Jugement du tribunal administratif
Sensible à cet argument, le tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés résultant de cette seconde procédure. Sur la même longueur d’onde que le tribunal administratif de Paris, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l’appel formé contre le jugement par l’administration fiscale, laquelle administration fiscale se pourvoit en cassation devant le Conseil d’Etat.
Le Conseil d'Etat rejette cette argumentation
Contrairement aux juges du fond, le Conseil d’Etat considère que la conclusion d'une transaction à l'issue d'une première procédure de contrôle ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que, sans préjudice des dispositions de l'article L. 51 du LPF, l'administration fiscale rectifie, dans le cadre d'une seconde procédure, même concomitante, les bases imposables du contribuable au titre des mêmes impôts et de la même période que ceux couverts par la transaction, à raison de chefs de rectification distincts.
Le Conseil d’Etat a ainsi rejeté l’argument des premiers juges consistant à dire que l'administration fiscale avait contrevenu au principe de loyauté qui lui incombe, d'une part, en procédant, pour le même impôt et le même exercice, à une rectification dans le cadre d'un contrôle sur pièces en même temps qu'elle concluait une transaction à l'issue d'une vérification de comptabilité, et d'autre part, en poursuivant le recouvrement des suppléments d'imposition consécutifs au contrôle sur pièces simultanément à l'exécution de la transaction.
Pour le Conseil d’Etat, les premiers juges ont commis une erreur de droit en jugeant ainsi, alors même qu'ils avaient relevé que le chef de rectification était distinct dans les deux procédures. L’arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Paris est annulé par le Conseil d’Eta sur ce chef.
La garantie du contribuable sur le non renouvellement d’une vérification de comptabilité est quand même mise à mal par le Conseil d’Etat dans cette arrêt, lorsqu’il estime que dans la mesure où toutes les garanties prévues par le législateur au profit du contribuable vérifié sont respectées, le devoir de loyauté auquel est tenu l'Administration n'est pas méconnu. C’est ce qu’il en reste donc de cette garantie du non renouvellement d’une vérification de comptabilité.
Rappelons que les dispositions de l'article L 51 du LPF ne concernent que les contribuables astreints à tenir une comptabilité, de sorte que le contribuable qui n'a fait l'objet d'aucune vérification de comptabilité ne peut invoquer une méconnaissance de cet l'article. De même, lorsque le contrôle de la situation fiscale d’un dirigeant, par exemple, constitue un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, celui-ci bénéficie de la garantie prévue à l'article L 50 du LPF qui interdit, en principe, à l'administration de procéder à des rectifications pour la même période et pour le même impôt. Et bien sûr, les dispositions de l'article L 51 du LPF ne font pas obstacle à ce que l'administration, après avoir vérifié la comptabilité d'une société, engage une procédure de rectification contre les dirigeants, distincte de celle engagée contre la structure elle-même.
Il faut noter que l’article L 51 du LPF prévoit lui-même plusieurs exceptions à l'interdiction de renouveler une vérification. C’est le cas notamment lorsque la vérification a été limitée à des opérations déterminées (cas d’une vérification n'ayant porté que sur une partie de l'activité du redevable), en cas d'agissements frauduleux donnant lieu à des poursuites judiciaires, ou encore, en cas de vérification des sociétés mères ayant opté pour le régime d'intégration fiscale.
C’est ainsi que l'interdiction de renouveler une vérification de comptabilité déjà effectuée ne s'applique pas lorsque c’est une partie seulement de l'activité ou un aspect de cette activité qui a été vérifié. C’est le cas par exemple lorsqu’un contribuable exerce concurremment plusieurs activités économiques différentes.
De même, en matière de TVA, il est possible d’inclure dans une nouvelle vérification une fraction de période d'imposition ayant déjà fait l'objet d'une vérification.
En cas d’agissements frauduleux aussi, une nouvelle vérification de comptabilité peut s'étendre à des années excédant le délai normal de reprise, même si ces années ont déjà fait l'objet d'un précédent contrôle.
La mise en œuvre de la procédure de flagrance fiscale au titre d'une période postérieure à celle vérifiée autorise également le renouvellement d'une vérification de comptabilité pour un même impôt et une même période.
En dehors de ces exceptions, le principe est quand-même le non renouvellement d’une vérification de comptabilité, même si la position prise par le Conseil d’Etat dans l’arrêt commenté est une position relativement sévère en termes de protection des garanties accordées au contribuable vérifié.
Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 05/02/2024, 470616.
Arnaud Soton
Avocat fiscaliste
Professeur de droit fiscal
Dossier très complet et informatif