Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’appel d’Aix en Provence ce 29 novembre 2023 N°2023/479 et qui vient répondre à la question spécifique du sort d’une servitude éternelle de stationnement lorsque ladite place de stationnement a été finalement aménagée en terrasse par son propriétaire, lequel est propriétaire d’un lot commercial jouxté à cette dite place.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, la SCI P était propriétaire de plusieurs lots d’un ensemble immobilier soumis au statut de la copropriété.
Le lot 22 étant un local à usage commercial, les lots 58, 59 étant des aires de stationnement situés juste devant ledit local 22 à usage commercial, les lots 58 et 59 étant alors finalement transformés et exploités à usage de terrasse.
Lorsque la SCI P avait acquis l’ensemble de ses lots, les places de parking étaient déjà transformées en terrasse.
Lors d’une Assemblée Générale du 13 avril 2011 ladite SCI P avait été autorisé à couvrir cette terrasse mais rien dans cette jurisprudence ne laissait à penser qu’une première autorisation par Assemblée Générale avait autorisé la transformation de ces deux places de stationnement en terrasse.
C’est dans ces circonstances que dans le cadre d’une Assemblée Générale qui s’est déroulée le 24 mars 2016, il a été apporté à l’ordre du jour une autorisation à postériori de transformation des parties privatives des lots 58, 59 en terrasse dans le cadre d’une résolution 13 et si cette résolution était rejetée, l’autorisation du syndicat des copropriétaires à ester en justice aux fins de remise en état, résolution 14, de telle sorte que lors de cette Assemblée Générale du 24 mars 2016 la résolution N°13 avait été rejetée et par voie de conséquence, la résolution 14 avait quant à elle été adoptée.
Autorisation a postériori de transformation des places de parking
C’est dans ces circonstances que, suivant acte en date d’issus en date du 23 mai 2016, la SCI P avait fait assigner le syndicat des copropriétaires de l’ensemble immobilier devant le Tribunal judiciaire en annulation des résolutions 13 et 14 votées dans ladite Assemblée Générale.
Par jugement rendu par le Tribunal judiciaire du 17 décembre 2019, ladite juridiction avait rejeté les demandes d’annulation des résolutions 13 et 14, déclaré irrecevable la demande d’indemnisation et la demande de modification du règlement de copropriété sous astreinte formée par le syndicat des copropriétaires et condamné la SCI P aux entiers dépens.
C’est dans ces circonstances qu’appel avait été interjeté, la SCI P souhaitant impérativement pouvoir jouir de ces deux lots de stationnement qu’elle avait transformé en terrasse pour son local commercial.
Transformation ou remise en état des places de parking ?
À hauteur de Cour, la SCI P considérait que la nouvelle affectation des lots 58, 59 étaient conformes à la destination de l’immeuble qui est mixte puisque, comportant huit lots à usage commercial, aucune autorisation n’était nécessaire pour transformer ces dites places de stationnement en usage de terrasse.
De telle sorte que la SCI soutenait être parfaitement fondée à utiliser ces airs de stationnement comme terrasse, considérant même qu’il n’y avait pas besoin de procéder à une quelconque modification du règlement de copropriété pour modifier ladite destination des lots 58 et 59.
Le syndicat des copropriétaires, prise en la personne de son syndic, quant à lui soutenait que les lots 58 et 59 étaient définis aux termes de l’acte authentique de vente du 21 janvier 2010 et du règlement de la copropriété du 17 septembre 1985 comme des airs de stationnement pour véhicule automobile.
Affectation à perpétuité des places de parking
Ledit règlement de copropriété indiquant en page 30 que les airs de stationnements et de garages prévus sur les plans annexés au permis de construire et approuvés devaient être affectés à perpétuité à cette destination.
De telle sorte que, tant bien même ces plans n’étaient pas versés au débat, l’article exposant les conditions particulières relatives aux airs de stationnement n’étant pas libellées de manière restrictive, de telle sorte que celles-ci visaient bien l’ensemble des airs de stationnement listées dans le règlement de copropriété dont celles occupants les lots 58 et 59.
Or, s’il est vrai que par Assemblée Générale du 28 mars 2011 l’appelant avait été autorisé à couvrir la terrasse, et que le changement d’affectation de ces deux lots avait effectivement préexisté, il n’en demeurait pas moins que cela n’était pas mentionné à l’acte d’acquisition du 21janvier 2010, qu’il n’avait pas fait l’objet d’une modification de règlement de copropriété comme l’exige la Loi puisque, le changement de place de stationnement en terrasse couverte modifie immanquablement la destination de ces deux lots.
A bien y comprendre, il était bien évident que l’autorisation de couverture de la terrasse n’emportait pas acceptation tacite de ladite transformation et que, quand bien même il y avait un changement de destination, celui-ci ne pourrait être validé que par un vote à l’unanimité.
Un changement de destination voté à l’unanimité
Observation étant d’ailleurs ici faite, que la terrasse en question est située non seulement sur les deux places de stationnement mais également sur une partie des parties communes sans qu’aucun vote n’ait été effectué sur ce point pour valider à l’unanimité encore cette appropriation des parties communes.
Par voie de conséquence, la question se posait de savoir si effectivement la SCI P était bien fondée à transformer ces deux aires de stationnement en terrasse aux abords de son local commercial et ce nonobstant la servitude éternelle de stationnement pourtant prévue dans le règlement de copropriété.
La Cour d’appel rappelle, au visa de l’article 8 de la loi du 10 juillet 1965, qu’un règlement conventionnel de copropriété incluant ou non l’état descriptif de division détermine la destination des parties tant privatives que communes ainsi que les conditions de leur jouissant.
Fixe également, sous réserves des dispositions de la présente loi, les règles relatives à l’administration des parties communes.
Le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celle qui serait justifiée par la destination de l’immeuble, telle qu’elle est définie aux actes par ses caractères ou sa situation.
L’article 9 de la même Loi énonce que chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot, il use et joui librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble.
L’affectation spécifique des parties communes
En l’espèce, aux termes de l’acte authentique d’acquisition notamment des lots 58 et 59 par la SCI P en date du 21 janvier 2010 et du règlement de copropriété du 17 septembre 1985, ces deux lots privatifs étaient définis comme des aires de stationnement pour véhicule automobile.
En outre, le règlement de copropriété précisait clairement en page 30 que les aires de stationnement et garages prévus sur les plans annexés au permis de construire et approuvés devront être affectés à perpétuité à cette destination, de telle sorte qu’ils ne peuvent donc être utilisés que pour garer des véhicules automobiles ou autre véhicule, à l’exclusion de tout autre usage tel que le dépôt d’objet ou encore l’installation d’une terrasse.
Servitude éternelle de stationnement
Comme aucune des parties ne versent au débat le plan annexé, la Cour souligne que comme aucune des parties ne versent au débat les plans annexés au permis de construire, il n’est pas établi que les lots 58 et 59 ne seraient pas prévus à ces plans et seraient donc exclus de l’affectation perpétuelle prévue au règlement.
D’autant que cette disposition n’est pas restrictive et vise toutes les aires de stationnement listées dans ledit règlement et donc des lots 58 et 59.
Or, il n’est pas contesté que les lots 58 et 59 ont vu leur affectation perpétuelle modifiée par leur utilisation sous forme de terrasse couverte, modification qui porte nécessairement atteinte à leur destination puisque de parking privatif, elles sont passées à une terrasse couverte commercialement exploitable.
Il importe peu que la Commune, qui n’a pas connaissance des dispositions du règlement de copropriété, ait validé les autorisations de travaux sollicités.
Si le changement d’affectation préexisté aux travaux de couverture de la terrasse autorisée par la résolution N°12 de l’Assemblée Générale du 28 mars 2011, cette circonstance n’est pas mentionnée à l’acte authentique d’acquisition du 21 janvier 2010 et rien au dossier ne permet de déterminer qu’en 2004 et 2006 la terrasse existait déjà.
Servitude éternelle et impossible prescription acquisitive de modification
De telle sorte que c’est à juste titre que le premier Juge a écarté l’application de la prescription décennale.
En outre, la Cour souligne que cette autorisation donnée pour couvrir la terrasse lors de l’Assemblée Générale du 28 mars 2011, qu’aurait mieux fait pour le syndicat d’avoir accepté de manière informelle l’usage des lots 58 et 59 en terrasse sans que l’appelante établisse quelle résolution l’aurait autorisé à changer la destination des places de stationnement ne confère à l’appelant, la SCI P, aucun droit acquis.
Ainsi, la Cour d’appel déboute la SCI qui échoue à établir en cours les résolutions 13 et 14 auraient pour objet de remettre en question une résolution antérieure, de sorte que c’est à juste titre que le premier Juge a rejeté la demande en annulation de la résolution 13 et de son pendant la résolution N°14 de l’Assemblée Générale du 24 mars 2016, nul besoin d’indiquer à l’ordre du jour sur la convocation que cette résolution avait pour objet de remettre en cause une résolution antérieure puisque tel n’était pas le cas.
Cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle vient rappeler que dans l’hypothèse où une servitude éternelle de stationnement a été affectée pour des places de parking par ailleurs privatives, il est bien évident que le propriétaire de ladite place ne peut la modifier, y ajouter des objets ou encore la transformer en terrasse.
Cette jurisprudence venant ainsi rappeler la force de la servitude éternelle de stationnement, qu’importe le temps acquis par l’un des copropriétaires à user de cette dite place en terrasse.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit
Dossier complet répondant à mes questions