La Cour d’appel fit droit à sa demande en relevant que la donatrice avait consenti au frère concerné, avec intention libérale, l’usage gratuit de la maison dont elle avait conservé l’usufruit et dont celui-ci était nu-propriétaire avec son frère.
Elle a ensuite retenu à bon droit que le donataire en ce qu’il cumulait les devoirs d’un locataire, auquel sa position d’occupant l’assimilait, et les obligations issues de la nue-propriété de l’immeuble, ne pouvait réclamer à l’usufruitière le remboursement des travaux qui, tout en constituant des réparations autres que locatives mises à la charge du bailleur par l’article 1720 du Code civil, relevant du domaine des grosses réparations imputées au nu-propriétaire par l’article 605 du même Code.
Pour en déduire exactement que celui-ci était tenu d’une indemnité de rapport égale aux loyers qui auraient dû être payés si les lieux avaient été loués, après déduction du seul montant des réparations et frais d’entretien incombant normalement à l’usufruitière.
L’existence d’une dette de rapport
La reconnaissance d’une dette de rapport
Selon l’article 843 du Code civil, tout héritier dit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement, sauf dispense de rapport. L’institution du rapport permet de préserver la vocation légale des héritiers. Pendant longtemps, la Cour de cassation soumettait au rapport le successible ayant bénéficié d’avantages qui ne constituaient pas des libéralités, faute d’intention libérale ou de déséquilibre économique. Tel était le cas lorsqu’il occupait gratuitement un bien mis à disposition par le de cujus. Par une série de quatre arrêts rendus le 18 janvier 2012, la Cour de cassation avait opéré un retour salutaire à l’orthodoxe juridique en énonçant en attendu de principe que « seule une libéralité, qui, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l’intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession ».
En l’espèce, c’est un bien d’un avantage indirect par occupation gratuite dont il était question.
Les juges du fond ayant souverainement estimé que de la de cujus était animée d’une intention libérale, c’est le critère matériel que le premier moyen du pourvoi tentait de conster. La de cujus ne se serait pas appauvrie car l’occupant avait pris à sa charge d’importants travaux au moment au moment de son entrée dans les lieux, ce qui avait permis à l’usufruitière de réaliser une économie substantielle, notamment en s’épargnant le coût d’un emprunt. Selon le pourvoi, il aurait fallu s’assurer, pour caractériser un appauvrissement, que les loyers que l’usufruitière n’a pas pu percevoir auraient excédé le montant des dépenses qui lui ont été évitées.
La Cour de cassation estime que la Cour d’appel n’était pas tenue de procéder à une telle recherche. Il lui suffisait de constater l’occupation gratuite d’une maison en état d’être mise en location même sans travaux. En d’autres termes, puisque les travaux n’étaient pas nécessaires pour louer, l’usufruitière a bien subi une perte de loyers, donc elle s’est appauvrie par manque à gagner. En réalité, la question des travaux n’influe pas tant sur l’existence de la dette de rapport que sur son montant.
Le montant de la dette de rapport
Les principales difficultés portaient sur l’évaluation du montant de la dette de rapport. Fort logiquement, celle-ci est constituée du manque à gagner global, donc de l’ensemble des loyers qui auraient pu être perçus si le bien avait été mis en location. Ce point n’est pas contesté.
Les débats portaient sur les sommes susceptibles de venir en déduction du total des loyers perdus. Le deuxième moyen du pourvoi soutenait fort justement que le montant dû au titre du rapport ne pouvait excéder l’appauvrissement de la de cujus, donc qu’il convenait de tenir compte des sommes qu’elle a économisées et de déduire l’ensemble des réparations qui lui auraient incombé en sa qualité de bailleresse, ce qui incluait les grosses réparations et le coût de l’emprunt nécessaire pour financer une partie des travaux.
La Cour de cassation rejette l’argument. Après avoir rappelé la teneur de l’article 843 du Code civil, elle rappelle celle de l’alinéa 2 de l’article 1720 du même code selon lequel le bailleur est tenu de faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que locatives. La Cour rappelle également que, selon l’article 605 du Code civil, l’usufruitier n’est tenu qu’aux réparations d’entretien et que les grosses réparations demeurent en principe à la charge du propriétaire.
La Cour estime ensuite que les juges du fond ont, à bon droit, considéré que l’occupant cumulait les devoirs d’un locataire, « auxquels sa position d’occupant l’assimilait », et les obligations issues de la nue-propriété de l’immeuble. Il ne pouvait donc réclamer le remboursement des travaux qui, « tout en constituant des réparations autres que locatives mises à la charge du bailleur par l’article 1720 du Code civil, relevaient du domine des grosses réparations imputées au nu-propriétaire par l’article 605 du même Code ». La Cour en conclut que le montant de l’indemnité de rapport est égal aux loyers qui auraient dû être payés si les lieux avaient été loués, après déduction du seul montant des réparations et frais d’entretien incombant normalement à l’usufruitière.
En d’autres termes, pour déterminer le montant des déductions applicables, il ne suffit pas de raisonner sur la base des obligations qui auraient résulté d’un bail. Il faut aussi tenir compte de la réparation légale des charges entre le nu-propriétaire et l’usufruitier.
Lorsque la Cour énonce que la position d’occupant assimilait l’intéressé à un locataire, elle paraît presque considérer l’occupation comme un quasi-contrat qui soumettrait l’occupant aux obligations d’un locataire, un peu comme une gestion d’affaires assimile le gérant à un mandataire (Code civil, article 1301). Il n’en est rien et la Cour n’a nullement voulu ici créer un nouveau quasi-contrat. Il s’agit plutôt de raisonner par abstraction. Il faut comparer la situation réelle avec la situation fictive qui aurait été celle résultant d’un bail. C’est ce qui explique que doivent être pris en compte les loyers perdus ; c’est aussi ce qui explique que soient prises en compte les obligations incombant à un locataire.
La particularité de l’espèce, c’est qu’il y avait une constante dans la situation réelle comme dans la situation fictive : l’intéressé était nu-propriétaire, avec ou sans bail. Dans la situation fictive, la qualité de locataire se serait donc cumulée avec celle de nu-propriétaire, de sorte que certaines dépenses qui n’auraient pas été à la charge du locataire mais du bailleur lui auraient incombé en tout état de cause en sa qualité nu-propriétaire.
L’absence de créance de gestion
L’absence de mandat tacite
Le frère de l’occupant avait été reconnu par la Cour d’appel créancier d’une somme de 92600¤ au titre de sa gestion de l’indivision. La Cour de cassation fait droit au troisième moyen du pourvoi et censure partiellement l’arrêt entrepris.
Il est vrai que, selon l’article 815-12 du Code civil, l’indivision qui gère un ou plusieurs biens indivis a droit à la rémunération de son activité. Mais encore faut-il, d’une part, qu’il accomplisse des actes de gestion relatifs à l’indivision et, d’autre part, qu’il dispose d’un titre de gérant.
Dans cette affaire, les deux questions étaient intimement liées. Le nu-propriétaire non occupant se considérait gérant de l’indivision parce qu’il avait réalisé, au su de tous, des travaux d’entretien sur des biens à la fois indivis et démembrés. Il estimait ainsi avoir accompli des actes de gestion (des travaux) en vertu d’un titre de gérant (mandat tacite).
C’était oublier la réparation des charges entre l’usufruitier et les nus-propriétaires. En application de l’article 605 du Code civil, c’est à l’usufruitier qu’incombe la charge des réparations d’entretien. En les assumant, l’indivisaire n’avait donc pas réalisé un acte de gestion de l’indivision. Il avait plutôt, malgré sa qualité de nu-propriétaire, supporté des dépenses relevant de l’usufruit.
Par ailleurs, le solvens n’avait pas pu bénéficier d’un mandat tacite au sens de l’article 815-3 du Code civil. Selon ce texte, « si un indivisaire prend en main la gestion des biens indivis, au su des autres et néanmoins sans opposition de leur part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, couvrant les actes d’administration ». Certes, l’indivisaire avait réalisé au su de tous et sans opposition de leur part plusieurs travaux d’entretien. Néanmoins, il n’avait pu recevoir mandat tacite ni de son frère indivisaire, puisque ces travaux ne relevaient pas de l’indivision, ni de sa mère usufruitière, puisque celle-ci n’était pas concernée par l’indivision. C’est donc justement que la Cour de cassation énonce qu’« il n’existe pas d’indivision entre l’usufruiter et le nu-propriétaire dont les droits sont de nature différente », de sorte que le solvens « ne pouvait avoir reçu mandat de son coïndivisaire en nue-propriété d’accomplir des travaux d’entretien incombant à l’usufruitière ».
La demande aurait eu plus de chances d’aboutir si elle fondée sur l’article 806 du Code civil (selon les réparations d’entretien sont à la charge de l’usufruitier) que sur l’article 815-12 (selon gérant a droit à rémunération). En réalité, les deux frères indivisaires se trouvaient dans une situation semblable, chacun ayant exposé des dépenses pour l’entretien d’un bien dont il n’avait que la nue-propriété. Si l’un a pu obtenir compensation, remboursement de ces dépenses, l’autre le pouvait tout autant.
L’absence d’acte de gestion
Une dernière question concernait la rémunération de l’indivisaire non-occupant que se prétendant gérant de l’indivision. La cour d’appel l’avait reconnu créancier d’une indemnité de gestion du montant de 200¤ par mois à compter de l’ouverture de la succession et jusqu’au partage. En 2019, le montant cumulé de ces sommes se chiffrait déjà à 11600¤.
Le quatrième moyen du pourvoi contestait ce droit à rémunération et la Cour de cassation accueille favorablement l’argument. Elle censure l’arrêt d’appel sur ce point, faute pour les juges du fond d’avoir caractérisé des actes de gestion des biens indivis postérieurement à l’ouverture de la succession.
Il s’agit de la suite logique de la solution précédente : puisque l’héritier n’était pas gérant avant l’ouverture de la succession, faute de mandat tacite, il n’avait pu prolonger ce rôle après le décès de l’usufruitière. Il fallait donc caractériser un mandat tacite après l’ouverture de la succession, alors que la pleine propriété des biens indivis était reconstituée. A compter de ce jour, les dépenses d’entretien incombaient à l’indivision et il était possible, cette fois, de caractériser un mandat tacite pour ce type de dépenses. Il était néanmoins nécessaire d’établir l’existence d’actes de gestion réalisés sans opposition du coïndivisaire, ce que la Cour d’appel n’a pas pris la peine de faire, persuadée que le rôle de gérant avait débuté avant l’ouverture de la succession et s’était prolongé après. Il s’agit donc ici d’une simple question de preuve. Le gérant peut encore espérer obtenir rémunération, s’il prouve des actes de gestion accomplis dans le cadre d’un mandat tacite.
Sources :
Dossier complet répondant à mes questions