En d'autres termes, les bénéficiaires de contrats d'assurance-vie liquidés au moment du décès bénéficient d'une exonération des droits de succession. D'un côté, le notaire chargé de la succession doit donc faire preuve de vigilance afin de respecter son devoir de conseil. De l'autre côté, l'assureur doit effectuer certaines démarches qui ont été instaurées par la loi afin de prévenir les risques de contrats en déshérence.

À travers un arrêt récent, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Civ. 1re, 13 avr. 2023, F-B, n° 21-20.272) s'est penchée sur la question de la collaboration entre l'assureur et le notaire en ce qui concerne la communication des bénéficiaires d'un contrat d'assurance-vie. Cette question a permis de déterminer les conséquences de la responsabilité du notaire dans son devoir de recherche et de conseil envers ses clients.

I. L’absence de responsabilité de l’assureur

A. L’absence de coopération entre l’assureur et le notaire

En premier lieu, l'assureur soutient que même s'il est informé du décès du souscripteur d'un contrat d'assurance-vie, il n'est pas tenu d'informer le notaire chargé de la succession de l'existence de ce contrat, à moins d'une demande expresse de ce dernier dans le cadre de ses démarches visant au règlement de la succession.

L'assureur ajoute qu'il n'avait légalement aucune autre obligation que celle de rechercher les bénéficiaires des contrats souscrits par Madame M. et de les informer de la stipulation effectuée en leur faveur. Il estime donc que la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil, dans sa rédaction applicable en l'espèce (nouvel article 1240 du Code civil), ainsi que l'article L. 132-8 du Code des assurances et l'article 292 A de l'annexe II du Code général des impôts.

La loi Eckert n° 2014-617 du 13 juin 2014 a renforcé les obligations pour les assureurs et notamment la recherche des bénéficiaires des contrats d’assurance-vie. Depuis décembre 2007, les assureurs devaient déjà vérifier chaque année que les assurés n’étaient pas décédés. La loi Eckert a permis de renforcer un cadre déjà existant et vise à réduire les cas de déshérence des contrats.

Comme le relève la Cour de cassation dans sa décision, l’assureur n’était pas tenu de porter à la connaissance du notaire, qui ne lui en avait pas fait la demande expresse, l’existence des contrats d’assurance sur la vie souscrits par la de cujus.

En effet, aucun texte législatif n’impose à l’assureur une obligation de communication au notaire. Dès lors que ce dernier a effectivement rempli ces obligations, sa responsabilité ne peut être engagée.

B. L’obligation d’informer le bénéficiaire du contrat d’assurance vie

L’assureur rapporte qu’il avait par courriers adressés à l’ensemble des héritiers de Mme. M, bénéficiaires des contrats d’assurance-vie souscrits par cette dernière, un dossier complet comportant notamment la demande de règlement des capitaux-décès à compléter par le bénéficiaire, ainsi que le certificat à adresser à l’administration fiscale afin de s’acquitter des droits de succession dus, en informant les héritiers de ce qu’ils étaient bénéficiaires « d’un contrat d’assurance sur lequel des versements ont été effectués à compter du soixante-dixième anniversaire de l’assurée ».

L’assureur appuie alors son argumentaire sur la lettre adressée par l’association Ariane, chargée de la curatelle de M. E, à l’administration fiscale pour solliciter une remise gracieuse des intérêts de retard, « qu’il n’avait pas connaissance du fait qu’il était bénéficiaire de ces contrats d’assurance-vie, puisque, du fait de sa pathologie il n’avait pas ouvert les courriers qui ont été envoyés par la Sogecap ».

La Cour souligne que l’assureur a bel et bien remplis ses obligations qui résultent des articles L. 132-8, dernier alinéa, du code des assurances et L. 292 A, alinéa 2, de l’annexe II du code général des impôts (dans sa rédaction issue du décret n° 92-468 du 21 mai 1992)

De surcroît, elle relève que la curatrice de M. E attestait que celui-ci n’avait pas ouvert les courriers que lui avait adressés l’assureur, ce qui constitue une négligence de sa part.

La responsabilité civile de l’assureur ne pouvait donc être engagée. Cette décision peut se fonder sur deux raisonnements.

  • Soit les juges ont identifié une négligence de la victime, donc une faute qui devient exonératoire de responsabilité pour l’assureur ;
  • soit ils ont tout simplement considéré qu’il n’y avait pas de faute de l’assureur, dès lors que ce dernier a accompli les diligences nécessaires pour informer le bénéficiaire de l’assurance-vie de ses droits.

II. La responsabilité du notaire

A. Le manquement au devoir de conseil du notaire

Tout d’abord le notaire fondait son appel en garantie de l’assureur sur l’article L. 132-8 du code des assurances, dont le dernier alinéa prévoit que « lorsque l’assureur est informé du décès de l’assuré, l’assureur est tenu de rechercher le bénéficiaire du contrat d’assurance-vie en cas de décès, et, si cette recherche aboutit, de l’aviser de la stipulation effectuée à son profit ».

Malheureusement cet argument est inopérant puisque comme précisé ci-dessus, l’assureur a bel et bien recherché les bénéficiaires du contrat d’assurance-vie puis a, conformément à ses obligations légales, adressé un courriel à ces derniers. Malheureusement l’intéressé n’avait pas ouvert ces derniers.

La notaire alléguait ensuite avoir interrogé l’établissement bancaire du de cujus afin de se procurer la liste des contrats d’assurance-vie souscrits, la banque ayant, pour ces derniers, renvoyés vers une de ses filiales. La filiale avait informé de l’existence de contrats d’assurance-vie mais n’avait pas précisé l’identité des bénéficiaires (étant précisé que la notaire affirmait avoir formulé une demande expresse en ce sens, la filiale quant à elle déclarait n’avoir jamais reçu le courrier en cause…).

En somme, la Cour d’appel note que la notaire n’a pas correctement mené ses investigations ce qui a conduit le majeur protégé a ignoré les incidences fiscales de l’omission de l’assurance-vie dans la déclaration de succession à l’administration fiscale. La Cour d’appel engage donc la responsabilité du notaire pour manquement au devoir de conseil.

En effet, le devoir de conseil correspond à la mission des notaires visant à éclairer leurs clients sur le contenu et les effets des engagements qu'ils ont pris. Il s'agit de les informer sur la meilleure façon d'exercer leurs droits et sur les conséquences de cet exercice. Bien que le devoir de conseil ne soit pas défini de manière précise par un texte de loi, il fait partie intégrante du rôle du notaire.

La jurisprudence a progressivement établi les contours du devoir de conseil du notaire. Il est important de souligner que le notaire n'est pas exonéré de sa responsabilité découlant de cette obligation, même si le client est accompagné d'un conseiller personnel tel qu'un avocat, un fiscaliste, un architecte ou un autre notaire. En effet, le devoir de conseil est absolu et le notaire doit le remplir envers ses clients, quelles que soient leurs compétences juridiques et personnelles.

La Cour de cassation confirme le raisonnement suivi par la Cour d’appel pour engager la responsabilité du notaire, en revanche elle rejette la partie de l’arrêt qui confirmait l’appel en garantie de l’assureur.

B. Limites et questionnements relatifs à la décision

La solution donne lieu à diverses interrogations.

Il est vrai que la notaire a commis une faute et par conséquent n’a pas rempli correctement son devoir de conseil ce qui a eu de nombreuses conséquences en cascades pour son client. Les juridictions se sont donc montrées fermes sur ce point afin de favoriser la protection des clients.

Cependant, il est possible de regarder la décision sous un angle critique. N’est-elle pas extrême sachant que l’assurance-vie est hors succession et que la communication sur cette dernière doit être faite par l’assureur aux héritiers ?

Par ailleurs, peut-on réellement reprocher au notaire de ne pas s’être informé sur l’assurance-vie, dès lors qu’il a demandé expressément communication des informations à la société mère (l’établissement bancaire), et que la filiale (l’assureur) a ultérieurement été tenue au courant de l’existence de la succession, sans avoir communiqué d’informations supplémentaires au notaire ?

Effectivement, il est légitime de se demander si le notaire peut être considéré comme fautif lorsqu'il ne s'est pas renseigné sur un contrat d'assurance-vie qui échappe à la succession dont il est saisi. Dans ce cas, ne devrait-il pas être exigé de l'assureur de lui fournir les informations nécessaires pour lui permettre d'exécuter correctement son devoir de conseil ? De plus, bien que l'assureur ne soit pas légalement tenu de le faire, ne devrait-il pas communiquer les informations au notaire afin de faciliter l'identification des bénéficiaires ?

Il est pertinent de se demander si, à l'avenir, il ne faudrait pas envisager l'adoption d'un texte législatif favorisant une collaboration entre le notaire et l'assureur. Une telle mesure pourrait permettre d'établir des règles claires et d'encourager une meilleure coopération entre les deux parties, dans l'intérêt des bénéficiaires et du bon déroulement des opérations successorales.

Sources :

  • Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 avril 2023, 21-20.272 : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000047454841?isSuggest=true
  • Commentaire par Antoine Touzain, L’assureur n’a pas à prendre l’initiative de communiquer au notaire l’existence de contrats d’assurance-vie, Civ. 1re, 13 avr. 2023, F-B, n° 21-20.272, le 11 mai 2023 (Dalloz Actualités)
  • Article L. 132-12 du Code des assurances :

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006793004/2020-12-02

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042855030

  • Loi du 13 juin 2014 dite loi Eckert :

https://www.gouvernement.fr/argumentaire/loi-sur-les-comptes-bancaires-inactifs-comment-ca-marche

CA Rouen, 1re ch. civ., 26 janv. 2022, n° 20/01484 (Perte de chance)

Cass. 1re civ., 28 nov. 1995, n° 93-15.659 (Revirement de jurisprudence – Compétences personnelles du client)

Cass. 1re civ., 10 juill. 1995 : Bull. civ. I, n° 312, arrêt n° 2 ; Resp. civ. et assur. 1995, comm. 332 (Présence d’un conseiller)

  • Jeanne de Poulpiquet - Actualisé par Philippe Pierre- « Art. 1240 à 1245-17 - Fasc. 420-30 : Notaire – Devoir de conseil » - Date de la dernière mise à jour : 1er Juillet 2022 (Lexis)