Dans un arrêt rendu 15 mai 2024 (n° 22-11.652), publié au bulletin, la chambre sociale de la Cour de cassation a examiné les conditions dans lesquelles le juge doit se prononcer lorsqu’il est saisi d’une action au titre de la discrimination en raison du handicap.

Cas d'une salariée victime d'un accident du travail

Une salariée engagée en qualité d’agent de nettoyage a été victime d’un accident du travail. Elle a repris le travail en mi-temps thérapeutique. Le médecin du travail a ensuite déclaré la salariée apte à reprendre le travail à temps plein.

Par la suite, elle a été placée en arrêt de travail. A l’issue de la seconde visite médicale, le médecin du travail a rendu un avis d’inaptitude au poste d’agent de service, avec possibilité d’occuper un poste à temps partiel en télétravail.

L’employeur lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Parallèlement, la salariée a été reconnue en qualité de travailleur handicapé par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH).

L’employeur a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel qui a déclaré nul le licenciement de la salariée et l’a condamné à lui payer une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.

Comment caractériser la discrimination liée au handicap ?

L’arrêt a retenu que la société, qui emploie plus de 5 000 salariés, n'a pas respecté l'obligation que l'article L. 5213-6 du code du travail met à sa charge, puisqu'elle n'a pas pris en compte le statut de travailleur handicapé de la salariée, et ne lui a proposé aucune mesure particulière dans le cadre de la recherche de reclassement.

L’article L. 5213-6 du code du travail prévoit l’obligation suivante :

« Afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, l'employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs mentionnés aux 1° à 4° et 9° à 11° de l'article L. 5212-13 d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer ou d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée ».

De son côté, l’employeur a invoqué le fait que seul le refus de l'employeur de prendre les mesures appropriées pour permettre au travailleur handicapé de conserver un emploi caractérise une discrimination à raison du handicap et rend nul le licenciement consécutif.

La Cour de cassation devait se prononcer sur la manière dont l’existence d’une discrimination en raison du handicap devait être caractérisée par le juge dans le cadre de son office.  

Après avoir rappelé les dispositions de l’article L. 5213-6 du code du travail, la Cour de cassation expose les termes de l’article L. 1133-3 du même code selon lesquels les différences de traitement fondées sur l'inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l'état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectives, nécessaires et appropriées.

La Cour de cassation poursuit sa démonstration en énonçant les termes de l’article 2 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, signée à New York le 30 mars 2007, selon lesquels on entend par « discrimination fondée sur le handicap » toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le handicap qui a pour objet ou pour effet de compromettre ou réduire à néant la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice, sur la base de l'égalité avec les autres, de tous les droits de l'homme et de toutes les libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel, civil ou autres. La discrimination fondée sur le handicap comprend toutes les formes de discrimination, y compris le refus d'aménagement raisonnable.

Selon l'article 5 de la directive du Conseil 2000/78/CE du 27 novembre 2000 :

« Afin de garantir le respect du principe de l'égalité de traitement à l'égard des personnes handicapées, des aménagements raisonnables sont prévus. Cela signifie que l'employeur prend les mesures appropriées, en fonction des besoins dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée d'accéder à un emploi, de l'exercer ou d'y progresser, ou pour qu'une formation lui soit dispensée, sauf si ces mesures imposent à l'employeur une charge disproportionnée. Cette charge n'est pas disproportionnée lorsqu'elle est compensée de façon suffisante par des mesures existant dans le cadre de la politique menée par l'Etat membre concerné en faveur des personnes handicapées ».

Discrimination indirecte : définition et charge de la preuve

Il résulte de l'article 2§2 de cette directive qu'une discrimination indirecte se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes d'une religion ou de convictions, d'un handicap, d'un âge ou d'une orientation sexuelle donnés, par rapport à d'autres personnes, à moins que, dans le cas des personnes d'un handicap donné, l'employeur ou toute personne ou organisation auxquels s'applique la présente directive ne soit obligé, en vertu de la législation nationale, de prendre des mesures appropriées afin d'éliminer les désavantages qu'entraîne cette disposition, ce critère ou cette pratique.

Dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, l'article L. 1134-1 du code du travail prévoyait que lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

La Cour de cassation juge que, si le manquement de l'employeur à son obligation de reclassement a pour conséquence de priver de cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé pour inaptitude et impossibilité de reclassement, l'article L. 5213-6 du code du travail dispose qu'afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, l'employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour leur permettre d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer ou d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée, que ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en œuvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l'aide prévue à l'article L. 5213-10 qui peut compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur, et que le refus de prendre ces mesures peut être constitutif d'une discrimination au sens de l'article L. 1133-3 ( Cass. Soc., 3 juin 2020, pourvoi n° 18-21.993, publié au bulletin).

Faisant suite à ces développements, la Cour de cassation vient fixer la méthode à adopter par les juges du fond confrontés à la résolution d’une problématique liée à une action au titre de la discrimination en raison du handicap :

« Il en résulte que le juge, saisi d'une action au titre de la discrimination en raison du handicap, doit, en premier lieu, rechercher si le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une telle discrimination, tels que le refus, même implicite, de l'employeur de prendre des mesures concrètes et appropriées d'aménagements raisonnables, le cas échéant sollicitées par le salarié ou préconisées par le médecin du travail ou le comité social et économique en application des dispositions des articles L. 1226-10 et L. 2312-9 du code du travail, ou son refus d'accéder à la demande du salarié de saisir un organisme d'aide à l'emploi des travailleurs handicapés pour la recherche de telles mesures.

Il appartient, en second lieu, au juge de rechercher si l'employeur démontre que son refus de prendre ces mesures est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison du handicap, tenant à l'impossibilité matérielle de prendre les mesures sollicitées ou préconisées ou au caractère disproportionné pour l'entreprise des charges consécutives à leur mise en œuvre ».

La Cour de cassation en conclut par la censure de l’arrêt d’appel compte tenu de ce qu’il appartenait au juge de faire application des dispositions de l’article L. 1134-1 du code du travail en tenant compte de la méthode préalablement fixée.

La décision rendue, à travers ses longs développements, à la fois d’ordre textuel et jurisprudentiel, révèle l’importance accordée par les hauts magistrats au traitement judiciaire de l’action au titre de la discrimination en raison du handicap et invite à la vigilance des juges du fond lorsqu’ils doivent se saisir de cette problématique.   

Jérémy DUCLOS
Avocat au barreau de Versailles
Spécialiste en droit du travail