Des doutes sérieux quant à la légalité de la décision
Des risques par rapport à sa situation financière et un risque de précarisation
La plaignante soutient que la décision, dont la suspension est demandée, la place dans une situation irrégulière et de précarité administrative :
- elle compromet son insertion professionnelle,
- elle risque d’être licenciée faute de justifier d’un titre de séjour régulier sur le territoire français l’autorisant à travailler.
Une méconnaissance de l'accord franco-algérien
Il existe, dans cette situation, un doute sérieux quant à la légalité de la décision dont la suspension est demandée car elle n’est pas motivée et elle méconnaît les stipulations de l'article 6 de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relative au droit au séjour en France en raison des liens familiaux.
La violation de l'article 8 de la CEDH
Les États parties à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont des obligations positives en matière de respect effectif de la vie privée et familiale pour permettre aux intérêts de mener une vie privée et familiale normale mais aussi faire primer l’intérêt supérieur de l’enfant, elle n’a pas été précédée d’un examen de sa situation ;
- la décision implicite en cause méconnaît les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d’une erreur manifeste dans l’appréciation de sa situation personnelle.
Le déroulé de l'affaire impliquant la préfecture de Seine-Saint-Denis
Par un mémoire en défense, enregistré en novembre 2024, le préfet de la Seine-Saint-Denis, conclut au rejet de la requête. Il soutient que la requête a perdu son objet dès lors que Mme MJ a été mise en possession d’un récépissé valable de septembre 2024 jusqu’à décembre 2024.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Après avoir, au cours de l’audience du 6 novembre 2024, entendu les observations de son Conseil, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens que ses écritures et fait valoir que l’exception de non-lieu à statuer soulevée en défense par le préfet de la Seine-Saint-Denis doit être écartée dès lors que le délai d’instruction de 4 mois est expiré et qu’une décision implicite de rejet est effectivement acquise du fait du silence conservée sur la demande de sa cliente et que l’insécurité qui résulte du délai depuis le dépôt de sa demande entraîne chez celle-ci un état anxieux.
Mme MJ, ressortissante algérienne, née en 1993, soutient être entrée régulièrement en France au début de l’année 2020. Elle a, en 2023, épousé en France, M. KL, ressortissant français. Elle a sollicité son admission en qualité de conjointe d’un ressortissant français suite à un rendez-vous dans les locaux de la sous-préfecture du Raincy en novembre 2023. Par une requête enregistrée le 3 avril 2024 sous le n°2404393, Mme MJ a demandé au tribunal l’annulation de la décision implicite née du silence conservé par le préfet de la Seine-Saint-Denis sur sa demande. Par la présente requête, elle demande au juge des référés de suspendre l’exécution de cette décision implicite sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative.
Sur l’exception de non-lieu à statuer opposée par le préfet de la Seine-Saint-Denis
Aux termes de l'article R* 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « Le silence gardé par l'autorité administrative sur les demandes de titres de séjour vaut décision implicite de rejet. ». Et aux termes de l'article R. 432-2 de ce code : « La décision implicite de rejet mentionnée à l'article R.* 432-1 naît au terme d'un délai de quatre mois. (…) ».
Le silence gardé par le préfet sur une demande de titre de séjour fait en principe naître, au terme du délai prévu à l’article R. 432-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, une décision implicite de rejet de cette demande.
Le préfet de la Seine-Saint-Denis fait valoir que la requête serait privée d’objet par la délivrance à Mme MJ d’un récépissé valable de septembre 2024 à décembre 2024. À supposer même qu’un tel document ait été effectivement remis à la requérante, il ne constitue pas un titre de séjour et n’a ni pour objet ni pour effet d’abroger le refus implicite de délivrance d’un certificat de résidence algérien à la requérante suite à l’écoulement d’un délai de quatre mois depuis le 28 novembre 2023.
Au surplus, l’autorité préfectorale n’allègue pas ni n’établit que le dossier déposé lors de la réception de Mme MJ dans les locaux de la sous-préfecture du Raincy aurait été incomplet, alors que la capture d’écran de l’applicatif AGDREF produit retient, en date du 4 novembre 2024, une demande complète. La délivrance d’un récépissé, si elle régularise temporairement la situation administrative de la requérante, n’a, par suite, pas privé d’objet ses conclusions aux fins de suspension et d’injonction.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative
En ce qui concerne la condition de l’urgence
L’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue. L’urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, à la date à laquelle le juge des référés se prononce. Cette condition d'urgence sera en principe constatée dans le cas d'un refus de renouvellement du titre de séjour, comme d'ailleurs d'un retrait de celui-ci.
Il ressort des pièces du dossier que Mme MJ n’avait pas bénéficié d’un premier titre de séjour dont elle aurait sollicité le renouvellement. Il est toutefois constant que malgré son mariage en France avec un ressortissant français, l’absence de toute remise en cause de la continuité de leur communauté de vie ou de la naissance du premier enfant du couple survenu en décembre 2023, la requérante est maintenue dans une situation de précarité administrative depuis près d’une année à la date de la présente ordonnance. Il n’est également pas contesté que l’autorité administrative peut, dans ces conditions, prononcer à son encontre une mesure d’éloignement sans que lui ait été opposé au préalable un refus explicite de titre de séjour (Cf. CE, 13 février 2013, n°363533).
Par ailleurs, les efforts d’intégration de Mme MJ qui a obtenu son embauche comme aide-vendeuse dans une boulangerie seront compromis alors qu’elle estimait pouvoir bénéficier d’une régularisation en qualité de conjointe de français et d’ascendante d’un enfant français. Elle se trouve, enfin, dans l’incapacité de participer financièrement aux dépens de sa famille. Par suite, la condition d’urgence exigée par les dispositions précitées doit être regardée comme remplie.
En ce qui ce qui concerne le doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée
Aux termes de l'article 6 de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié : « Les dispositions du présent article ainsi que celles des deux articles suivants, fixent les conditions de délivrance et de renouvellement du certificat de résidence aux ressortissants algériens établis en France ainsi qu'à ceux qui s'y établissent, sous réserve que leur situation matrimoniale soit conforme à la législation française.
Le certificat de résidence d'un an portant la mention « vie privée et familiale » est délivré de plein droit : (…) 2) au ressortissant algérien, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ; (…) 4) au ressortissant algérien ascendant direct d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il exerce même partiellement l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins. (…) ».
En l’état de l’instruction, et compte-tenu de ce qui a été indiqué aux points 1 et 6 que les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations du 2 et du 4 de l'article 6 de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision dont la suspension est demandée.
Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de suspendre la décision implicite par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté la demande de délivrance d’un certificat de résidence algérien d’un an à Mme MJ.
Sur les conclusions à fin d’injonction
Aux termes de l’article L. 511-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire (…) ». Il appartient au juge des référés d’assortir sa décision de suspension des seules obligations provisoires qui en découlent pour l’administration.
La présente ordonnance, eu égard à ses motifs, implique nécessairement que le préfet de la Seine-Saint-Denis réexamine la situation de Mme MJ au regard des stipulations précitées des 2 et 4 de l'article 6 de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et lui délivre le temps de cet examen une autorisation provisoire de séjour l’autorisant à travailler. Il y a lieu de lui enjoindre de procéder à ce réexamen dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente ordonnance et, dans l’attente de cet examen, de la munir d’une autorisation provisoire au séjour l’autorisant à travailler dans le délai de dix jours à compter de la notification de la présente ordonnance. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu d’assortir ces injonctions d’une astreinte.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a ordonné la suspension de l’exécution de la décision par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté la demande de délivrance d’un certificat de résidence algérien d’un an à Mme MJ et il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de réexaminer la situation de Mme MJ au regard des stipulations précitées des 2 et 4 de l'article 6 de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente ordonnance et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l’autorisant à travailler dans un délai de dix jours à compter de la notification de la présente ordonnance.
Par Me Fayçal Megherbi, avocat
- Ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montreuil du 6 décembre 2024, n° 2415263 2
- Article 6 de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968
- Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales
- Article R* 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile
- Article R*432-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile
- Article L. 511-1 du code de justice administrative
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