Je reçois beaucoup de salariés qui souffrent au travail. Ils sont victimes de surcharge de travail, sont en burn-out, parfois sont harcelés moralement. Alors qu’ils sont anciens au sein de l’entreprise et qu’ils ne sont jamais arrêtés, ces salariés en souffrance doivent s’arrêter pour la première fois de leur carrière, ou envisagent de s’arrêter, en culpabilisant bien entendu.
Ils n’ont plus la force de retourner travailler, ils appréhendent leur retour et au fur et à mesure que le temps passe savent très bien qu’ils ne pourront plus travailler dans ce milieu « toxique ».
Ces salariés ne souhaitent pas démissionner et perdre leurs droits, que peuvent- ils faire ?
1- Négocier une rupture conventionnelle.
Très souvent, le salarié qui souhaite partir pense à la rupture conventionnelle car il a entendu dire qu’avec cette rupture, il aura droit à son attestation Pôle emploi et son indemnité de licenciement. C’est le cas. Si un salarié est en souffrance et souhaite partir au plus vite sans renoncer à ses droits, négocier une rupture conventionnelle est sûrement une manière de partir d’un commun accord en pouvant s’inscrire « au chômage ».
Attention, la rupture conventionnelle n’est pas un droit comme beaucoup le pensent, votre employeur n’est pas obligé d’accepter cette forme de rupture. le salarié et l’employeur doivent être d’accord. En effet, votre employeur peut refuser la rupture conventionnelle et vous demander de démissionner.
Surtout qu’il arrive parfois que le salarié qui souhaite partir demande plus que l’indemnité de rupture conventionnelle. Il peut solliciter une indemnité supra légale pour le préjudice qu’il a subi. L’employeur qui considère que le salarié n’a aucun préjudice pourra refuser la rupture conventionnelle dans ces conditions.
2- L’inaptitude et l’obligation pour votre employeur de vous licencier pour inaptitude.
Si vous êtes en arrêt de travail et que vous ne pouvez pas reprendre votre poste, lors de la visite de reprise, le médecin du travail pourra constater votre inaptitude à tous postes au sein de l’entreprise. Votre employeur devra rechercher un reclassement, si aucun reclassement n’est possible, il devra vous licencier pour inaptitude passé le délai d’un mois suivant l’avis d’inaptitude. Pendant cette durée, vous ne serez pas payé ni par votre employeur, ni par la CPAM. Ce licenciement vous permettra de bénéficier de l’attestation Pôle emploi et votre employeur vous réglera votre indemnité de licenciement. Aucune indemnité de préavis ne sera due sauf si votre arrêt de travail est consécutif à un accident du travail.
3-La résiliation judiciaire.
Si vous avez des griefs à reprocher à votre employeur: harcèlement, discrimination, vous pouvez saisir le Conseil de Prud’hommes pour solliciter que ce dernier résilie votre contrat de travail aux torts de votre employeur.
L’avantage de cette procédure est que vous restez en poste. L’inconvénient est que cette procédure est longue, le Conseil de Prud’hommes n’ayant pas d’obligation de fixer dans un bref délai (1 mois) comme en matière de prise d’acte de la rupture du contrat de travail.
Les dossiers de demande de résiliation peuvent durer très longtemps surtout si un appel est interjeté. Il sera difficile pour le salarié de rester en poste, l’ambiance sera inévitablement délétère. Souvent, le salarié qui n’ai pas encore en arrêt maladie, ne le supportera pas, s’arrêtera pour maladie et sera finalement licencié pour inaptitude. La procédure deviendra alors complexe, il faudra déposer une nouvelle saisine du conseil de prud’hommes pour contester le licenciement pour inaptitude et joindre les deux dossiers (l’unicité d’instance ayant disparue depuis les ordonnances dite macron): celui de la résiliation et l’inaptitude, afin que le conseil de prud’hommes statue sur la résiliation et à titre subsidiaire sur l’inaptitude, le licenciement et sa nullité s’il est consécutif à un harcèlement moral.
4-Surtout pas l’abandon de poste.
Longtemps, certains syndicats, beaucoup de DRH conseillaient aux salariés d’abandonner leur poste pour être licencié et pour bénéficier du chômage. Lorsque l’abandon de poste était négocié, cela avait un avantage pour l’employeur, celui de ne pas régler une indemnité de licenciement ou de rupture conventionnelle car le licenciement était notifié pour faute grave. Pour le salarié, cette solution négociée lui permettait de partir avec l’attestation Pôle Emploi, il pouvait percevoir le chômage.
La loi portant mesures d’urgence relative au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi a été publiée le 21 décembre 2022. Elle a introduit la notion aberrante de présomption de démission (notion validée par le conseil constitutionnel). Aussi, le salarié qui abandonnera son poste sera présumé avoir démissionné et ne pourra pas bénéficier du chômage. Cette présomption est simple, elle pourra être renversée par la preuve contraire mais seulement en justice.
Pour l’instant, il manque un décret (qui doit préciser le nombre de jours dont pourra bénéficier le salarié pour regagner son poste après mise en demeure) pour que la loi s’applique, il ne tardera pas à être publié.
L’abandon de poste est donc vivement déconseillé.
5- La prise d’acte de la rupture du contrat de travail.
La prise d’acte de la rupture ou démission forcée est aujourd’hui peu utilisée par les salariés car elle présente beaucoup d’inconvénients surtout si le salarié n’a pas retrouvé de travail ailleurs et qu’il souhaite bénéficier du Pôle emploi en attendant de trouver un nouvel emploi.
Elle se formalise par l’envoi d’une lettre recommandée à l’employeur indiquant des griefs graves qui poussent le salarié à une prise d’acte de la rupture du contrat de travail, une sorte de démission forcée.
Cette lettre ne permettra pas au salarié d’obtenir ses allocations chômage. Il faudra qu’il saisisse le Conseil de Prud’hommes afin que ce dernier requalifie la prise d’acte en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le Conseil de prud’hommes pourra aussi considérer que les griefs ne sont pas suffisamment graves et considérer que la rupture doit être qualifiée de démission. Dans cette hypothèse le salarié aura tout perdu: il n’aura pas droit à son indemnité de licenciement, ni des dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, ni non à des allocations Pôle emploi puisque la démission n’ouvre aucun droit au chômage (sauf cas spécifiques).
Cette prise d’acte est très dangereuse, elle est déconseillée. Mais peut-être qu’elle sera à nouveau au goût du jour lorsque la loi sur l’abandon de poste sera en vigueur. La juridiction doit statuer rapidement en matière de prise d’acte, l’article L1451-1 du code du travail dispose en effet: « Lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de qualification de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine. ». Dans les faits, l’affaire n’est jamais plaidée dans le mois suivant la saisine surtout devant les juridictions parisiennes. Toutefois, l’examen est un peu plus rapide car il n’y a pas d’audience devant le bureau de conciliation et d’orientation.
CONCLUSION.
Existe-t-il un moyen magique et miracle de quitter son poste sans démissionner et en ne perdant pas ses droits au chômage ?
La réponse vous l’aurez compris est non pas vraiment. A part la rupture conventionnelle quand votre employeur l’accepte, les possibilités de quitter son poste sans perdre ses droits sont peu nombreuses et toutes un peu risquées.
Si vous souhaitez quitter votre poste dans le cadre de la résiliation ou de la prise d’acte, il faudra réunir des preuves des griefs que vous reprochez à votre employeur car ce sera sur vous, salarié, que reposera la charge de la preuve des griefs. Si vous reprochez une rétrogradation ou une modification abusives de votre contrat, il faudra le démontrer à l’aide d’attestations, de mails qui démontrent le changement des tâches qui vous sont confiées. Si vous reprochez du harcèlement moral, il faudra démontrer non seulement la dégradation de votre santé mais surtout les agissements répétés que vous reprocher à votre employeur et cette preuve est souvent difficile à apporter. Le plus souvent, le salarié démontrera que ses conditions de travail l’ont rendu malade mais ne parviendra pas à démontrer les agissements répétés: ses collègues de travail toujours en poste ne voudront pas témoigner, le supérieur qui agira de manière répétés le fera sans témoins ou sans laisser de traces écrites hélas… Pensez à prévenir le CSE ,s’il y en a un, lorsque vous rencontrez des difficultés dans le cadre de l’exercice de votre emploi et l’inspection du travail.
Dossier complet répondant à mes questions