Un créancier, bénéficiant contre son débiteur en procédure de sauvegarde de justice, d’une sentence arbitrale étrangère, suisse en l’occurrence, doit-il engager une procédure d’exequatur pour faire valoir ses droits ? Ou bien sa demande d’exequatur s’oppose-t-elle au principe d’arrêt des poursuites individuelles, le créancier devant d’abord suivre l’étape de la vérification des créances devant le juge commissaire ?
Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui vient aborder l’imbrication particulière entre le droit de l’exequatur qui consiste à faire appliquer en France une décision de justice rendue par une juridiction étrangère afin de poursuivre un débiteur alors que ce dernier est placé sous le coup d’une procédure collective et bénéficie donc de l’arrêt des poursuites individuelles tel que le rappelle l’article L 622.21 du Code de Commerce
La question qui se posait dans cette jurisprudence était de savoir si un créancier dont la créance était fixée par une décision étrangère rendue sous sentence arbitrale pouvait en demander l’exequatur.
Quels sont les faits ?
Le 12 novembre 2014, la société V a engagé une procédure d’arbitrage pour régler un différend relatif au paiement des compléments de prix.
Le tribunal arbitral a rendu à Zurich, le 23 décembre 2016, une sentence condamnant la société I à payer à la société V une somme de 3 310 399,16 euros en principal et intérêts, outre intérêts ultérieurs, frais et dépens.
Or, dans le même laps de temps, le 9 janvier 2017, une juridiction française a ouvert la procédure de sauvegarde de la société I,
La société V a alors déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire,
Laquelle créance a été contestée.
Le 8 mars 2017, la société V, en liquidation amiable, a déposé une requête aux fins d'exequatur de la sentence arbitrale en demandant la délivrance d'une expédition revêtue de la formule exécutoire.
Il y a été fait droit par une ordonnance du président du Tribunal de Grande Instance de Paris du 10 mars 2017 qui a déclaré la sentence exécutoire.
Pour autant, la société I et le mandataire judiciaire ont fait appel de l'ordonnance.
Sur l’appel de l’ordonnance d’éxéquatur et le pourvoi
Ainsi, par une ordonnance du 22 mai 2018, le juge-commissaire, saisi de la demande d'admission de la créance de la société V a sursis à statuer dans l'attente de la décision de la Cour d’Appel statuant sur l'appel de l'ordonnance d'exequatur.
A hauteur de Cour de Cassation, il n’échappera au lecteur attentif que, dans cette décision, les deux parties faisaient grief à l’arrêt de la Cour d'Appel de Paris d’avoir rendu une décision insatisfaisante et chacune avait fait un pourvoi.
La société V faisait grief à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance d'exequatur en ce qu'elle rendait exécutoire une condamnation à paiement de sommes d'argent, alors que l'exequatur n'étant pas un acte d'exécution, l'ouverture en France d'une procédure collective à l'égard d'un débiteur condamné par un tribunal arbitral à l'étranger était sans incidence sur l'exequatur de la sentence arbitrale.
Quel sort pour l’exequatur ?
Or, la Cour d’appel avait considérée, pour infirmer l'ordonnance d'exequatur du 10 mars 2017 en ce qu'elle rendait exécutoire une condamnation en paiement de sommes d'argent, que l'exequatur ne pourrait avoir pour objet que la reconnaissance et l'opposabilité en France de la sentence,
De telle sorte que la procédure d’exequatur ne méconnaissait nullement le principe d'arrêt des poursuites individuelles,
Pour autant, la Cour de cassation ne partage pas cette analyse et considère que la procédure d’exequatur, qui consiste justement à rendre exécutoire une condamnation à paiement, est une mesure d'exécution forcée, par nature contraire au principe d'arrêt des poursuites individuelles.
L’exequatur, mesure d’exécution forcée ?
La société I, et le mandataire judiciaire faisaient en effet grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance d'exequatur en ce qu'elle emportait reconnaissance de la sentence,
Alors qu'il résultait des articles L. 622-21, L. 622-22 et L. 624-2 du Code de Commerce qu'en l'absence d'instance en cours à la date du jugement d'ouverture de la sauvegarde du débiteur, le créancier, après avoir déclaré sa créance, ne pouvait faire constater le principe de sa créance et fixer son montant qu'en suivant la procédure de vérification des créances.
Le respect de la procédure de vérification des créances
Seule une décision par laquelle le juge-commissaire se déclarait incompétent ou constatait son absence de pouvoir juridictionnel pour trancher une contestation relative à une créance déclarée pouvait inviter les parties à saisir la juridiction compétente.
Qu'il s'ensuit qu'après avoir déclaré sa créance, un créancier ne pouvait saisir directement le juge d'une demande d'exequatur ou de reconnaissance d'une sentence arbitrale.
Il devait attendre la décision du juge-commissaire l'invitant à saisir le juge compétent si besoin était, dans l’hypothèse ou la contestation ou la créance ne releverait pas, a priori, du pouvoir juridictionnel du juge-commissaire.
Les pouvoirs du juge commissaire en vérification des créances
Ainsi, la société I et le mandataire judiciaire faisaient grief à la Cour d'Appel d’avoir constaté que la société I avait été placée en sauvegarde par un jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 9 janvier 2017, que la société V avait déclaré sa créance au passif de la société I le 16 février 2017 et ensuite déposé une requête aux fins d'exequatur de la sentence le 8 mars 2017, sans attendre la décision du juge-commissaire qui avait seul le pouvoir de statuer sur la régularité de la déclaration de créance, lequel ne s'était prononcé que par une ordonnance du 22 mai 2018 ordonnant un sursis à statuer.
Ils considéraient que l'objet du litige était déterminé par les prétentions respectives des parties et que le juge devait se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui était demandé.
Dès lors en confirmant l'ordonnance du 10 mars 2017 rendue par le président du Tribunal de Grande Instance de Paris, en ce qu'elle emportait reconnaissance de la sentence rendue le 23 décembre 2016, la société V sollicitant pourtant uniquement, dans ses dernières conclusions, la confirmation de cette ordonnance en ce qu'elle avait conféré l'exequatur à la sentence arbitrale, sans en demander la reconnaissance, la cour d'appel avait violé les articles 4 et 5 du Code de Procédure Civile.
Enfin, la société I et le mandataire judiciaire rappelaient que le juge devait observer et faire observer le principe de la contradiction et qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que dans les circonstances de l'espèce, l'exequatur ne pouvait avoir pour objet que la reconnaissance et l'opposabilité en France de la sentence, sans préalablement inviter les parties à s'expliquer sur ce moyen, la Cour d’Appel avait violé l'article 16 du Code de Procédure Civile.
Ils venaient également reprocher le bien-fondé de la décision du tribunal Suisse.
Les critères d’exequatur contestés
Ils faisaient valoir que la méconnaissance du principe de la contradiction par le tribunal arbitral résultait de ce que sa décision relative aux postes de dépenses, dans la seconde partie de sa sentence arbitrale, avait été prise en considération de critères qu'ils avaient définis dans la première partie de cette sentence, qui ne correspondaient ni à la position du demandeur à l'arbitrage, la société V, pour laquelle toutes les charges devaient être traitées de la même manière, sans distinction, ni à celle du défendeur à l'arbitrage, la société I ,
Cette dernière estimait que toutes les dépenses exceptionnelles relatives à la gestion de la société avant le closing devaient être exclues du calcul du plafond de dépenses, puisque le tribunal arbitral avait au contraire jugé que ces dépenses ne devaient être exclues du calcul du plafond des dépenses que si elles résultaient de violation des déclarations et garanties prévues au contrat,
Ainsi, la société I reprochait au tribunal arbitral, de ne pas l'avoir mise en mesure de fournir sa propre argumentation poste par poste s'agissant de ces dépenses, au regard des critères préalablement retenus dans la sentence ne correspondant pas à ceux proposés par les parties.
A bien y comprendre la société I et le mandataire judiciaire considéraient que la demande d’exequatur pouvait être contestée au motif pris du non-respect du contradictoire dans le cadre de la procédure initiée devant le tribunal suisse.
Sur l’ensemble de ces points, la Cour de Cassation apporte un certain nombre de réponses.
La consécration principe de l’arrêt des poursuites individuelles
L'arrêt énonce que le principe de l'arrêt des poursuites individuelles des créanciers est à la fois d'ordre public interne et international et, après avoir relevé que la sentence litigieuse du 23 décembre 2016, revêtue dès sa reddition, de l'autorité de chose jugée, avait condamné la société I à payer diverses sommes à la société A, et que le tribunal avait ouvert la procédure de sauvegarde de la société I le 9 janvier 2017, la Cour d'Appel avait exactement retenu que l'exequatur ne saurait, sans méconnaître le principe susvisé, rendre exécutoire une condamnation du débiteur à paiement de sommes d'argent.
La sentence ne pouvant être contestée, conformément aux dispositions de l'article 1525 du Code de Procédure Civile, que par la voie de l'appel de l'ordonnance d'exequatur et pour les motifs limitativement énumérés par ce texte.
Dès lors, il appartenait au créancier de solliciter l'exequatur lorsque la vérification des créances faisait apparaître une contestation à l'égard de laquelle le juge-commissaire n'était pas compétent, et l'exequatur prononcé dans de telles circonstances ne pouvait avoir pour objet que la reconnaissance et l'opposabilité en France de la sentence.
L’ordonnance d'exequatur rendue le 10 mars 2017, postérieurement à la déclaration de la créance résultant de la sentence, échappait au grief de violation du principe d'ordre public international de l'arrêt des poursuites individuelles du débiteur par les créanciers en ce qui concernait ce seul effet de reconnaissance.
Cette jurisprudence est intéressante et elle rappelle que les principes de l'arrêt des poursuites individuelles des créanciers, du dessaisissement du débiteur et de l'interruption de l'instance en cas de procédure d'insolvabilité, sont à la fois d'ordre public interne et international.
Pour autant elle reconnait que c’est le seul moyen efficace pour le créancier en cas de contestation de la créance d’obtenir la reconnaissance d’une décision de justice étrangère et le bien-fondé de la créance en droit français.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE
Avocat, Docteur en Droit
Dossier complet répondant à mes questions