Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue en avril dernier et qui vient aborder le sort de la compétence particulière du Juge de l’Exécution dans les pouvoirs qu’il a en matière de saisie immobilière alors qu’il a, au sens du droit de la saisie immobilière, une plénitude de compétences, afin de déterminer si celui-ci peut se prononcer sur une demande de condamnation à des dommages et intérêts contre le créancier saisissant.
Or, cette jurisprudence vient malheureusement limiter le pouvoir du Juge de l’Exécution, ce qui amène à une réflexion stratégique sur les moyens de contestation à soulever devant le Juge de l’Exécution et au besoin, à soulever également devant une autre juridiction.
La difficulté étant d’imbriquer l’ensemble des contestations et demandes afin de limiter autant que faire se peut le pouvoir du créancier saisissant à enclencher et à réaliser une saisie immobilière à l’encontre du débiteur malheureux.
La Cour de cassation, considérant qu’en application de l’article L.213-6 du Code de l’Organisation Judiciaire le Juge de l’Exécution est compétent pour connaitre de la contestation une mesure d’exécution forcée mais n’a pas le pouvoir de se prononcer sur une demande de condamnation à des dommages et intérêts contre le créancier saisissant dès lors que celle-ci n’est pas fondée sur l’exécution ou l’inexécution dommageable de la mesure.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire la banque avait agi en action paulienne contre Madame B. et obtenu l’inopposabilité d’un apport de l’immeuble lui appartenant à une SCI.
La demande de Madame B. dans le cadre de cette procédure de dommages et intérêts pour manquement de la banque à son devoir de bonne foi, de conseil, de mise en garde et d’information avait été rejetée comme étant prématurée.
Dans la même foulée, sur le fondement de deux actes notariés de cautionnement conclus en 1990 et 1991, la banque avait fait délivrer le 27 janvier 2010 à Madame B. un commandement valant saisie immobilière sur le bien réintégré dans le patrimoine de celle-ci par l’effet d’action paulienne.
Une saisie immobilière enclenchée après une action paulienne
Par jugement du 6 juillet 2010, le Juge de l’Exécution avait déclaré les demandes de la banque irrecevables au fond en raison de la prescription, jugement qui avait été infirmé par la Cour d’Appel, disant que la banque n’était pas prescrite.
Déboutant par là même Madame B. de sa demande de dommages et intérêts comme ayant été définitivement tranchée par une décision antérieure.
Dans la même foulée, le bien a été vendu dans le cadre de la procédure de saisie immobilière.
Par arrêt en date du 21 mars 2013, la Cour de cassation avait cassé cet arrêt sauf en ce qu’il avait infirmé en toutes ses dispositions le jugement rendu en juillet 2010, en disant que l’action en recouvrement forcé engagée par la banque au moyen du commandement de payer valant saisie immobilière en date du 27 janvier 2010 n’était prescrite.
Par un deuxième arrêt en date du 14 avril 2014, la Cour d’Appel de renvoi avait confirmé le jugement en ce qu’il avait dit irrecevables les demandes au fond et rejetait les autres demandes.
Dit arrêt de Cour d’appel cassé par la Cour de cassation par la suite, mais seulement en ce qu’il déclarait prescrite la demande en dommages et intérêts fondée sur la faute de la banque et la demande de compensation faite par Madame B. à l’encontre de la banque en question.
Pour autant, dans le cadre de cette procédure fleuve et par arrêt en date du 4 avril 2017, la Cour d’Appel de renvoi avait infirmé le jugement et déclarait irrecevables comme prescrites les demandes indemnitaires de Madame B.
Qu’en est-il des demandes indemnitaires du débiteur contre la banque ?
La question qui se posait alors était de savoir si dans le cadre de la procédure de saisie immobilière, Madame B. pouvait solliciter le Juge de l’Exécution dans le cadre de ses conclusions incidentes face aux demandes faites par la banque aux fins de saisie immobilière et de voir, si oui ou non, ledit Juge de l’Exécution pouvait trancher ces demandes indemnitaires.
Le juge de l’exécution ne jugerait-il qu’à sens unique ?
Il convient de rappeler que dès la signification du commandement de payer valant saisie immobilière, le Juge de l’Exécution a une plénitude de compétences.
Or, dans le cadre de cette plénitude de compétence, le débiteur est-il en droit d’opposer à la banque non seulement des manquements qu’il aurait pu commettre dans le cadre de la procédure de saisie immobilière à proprement dite, mais également des manquements que la banque aurait pu commettre tout simplement dans l’octroi de ce prêt ou dans le cadre des relations contractuelles ou précontractuelles ?
La question qui se posait alors était clairement de savoir, si oui ou non, le Juge de l’Exécution pouvait trancher ces demandes indemnitaires et, dans la négative, la vraie question qui se pose est de savoir dans quelles conditions on peut organiser la défense du débiteur sur l’ensemble des moyens qu’il peut évoquer contre l’établissement bancaire.
Si par extraordinaire, le Juge de l’Exécution n’était pas compétent : est-ce qu’il y a des moyens pour empêcher le Juge de l’Exécution d’ordonner la saisie nonobstant la procédure en cours dont il n’aurait pas à connaitre et dont il se manquerait, et ce en l’état de l’insistance du créancier de poursuivre la saisie qu’importe la procédure en cours sur une autre juridiction au fond ?
Or, dans cette affaire, Madame B, à titre reconventionnel formulait des demandes en responsabilité contre la banque.
Des demandes reconventionnelles concernant la responsabilité de la banque
En effet, elle fondait ses demandes indemnitaires sur la base de manquements de la banque à son devoir de conseil et de mise en garde avec un comportement dolosif de celle-ci auquel s’ajoutait une disproportion de ses engagements de caution.
Ce qui permettait tantôt, d’obtenir des dommages et intérêts au titre de la perte de chance de ne pas contracter l’engagement initial, créance qui viendrait se compenser avec la créance qui est réclamée par la banque, et de l’autre côté, d’obtenir la nullité de l’engagement de cautionnement et, par la même, l’absence de titre exécutoire justifiant la saisie immobilière à proprement dite.
La demande de Madame B. était importante, en effet celle-ci sollicitait des dommages et intérêts d’un montant d’un million d’euros et subsidiairement de 15 825 149,64 ¤ en reprochant à la banque d’avoir manqué à son devoir de conseil précontractuel ne l’ayant pas informée sur les actionnaires des SCI emprunteuses et sur les raisons de l’octroi des prêts et ne lui ayant pas fait savoir que les intérêts des trois prêts précédemment consentis aux SCI en question n’étaient pas payés, ni alertée des difficultés financières d’une des SCI dont la situation était irrémédiablement compromise dès le mois de juillet 1990.
Alors que la banque savait, lors de l’octroi du second crédit, que ladite SCI en question était dans l’incapacité de remboursement du prêt.
Ce qui permettait de caractériser un comportement dolosif de la banque, celle-ci n’ayant pas informé la caution des conditions exactes dans lesquelles la banque avait octroyée ces prêts importants aux SCI malgré l’absence de fonds propres et en dépit de la situation obérée de ladite SCI en question.
Ce qui n’était quand même pas rien,
Madame B. faisait également grief d’avoir exigé à quatre reprises son engagement de caution à hauteur de 35,6 millions de francs (à l’époque) en moins d’un an, sans rechercher si les cautionnements successifs n’étaient pas disproportionnés à ses capacités financières sans jamais la rencontrer et sans jamais l’informer des difficultés financières que rencontraient les SCI manquant ainsi à son devoir de loyauté.
Le manquement de la banque au titre du devoir de mise en garde
Madame B. reprochait enfin à la banque d’avoir manqué à son devoir de mise en garde n’ayant pas pris soin de renseigner sur la consistance de son patrimoine et n’ayant pas attiré son attention sur les risques de l’endettement qu’elle garantissait et ce, alors même qu’elle était une caution profane faisant valoir que les engagements de caution étaient disproportionnels à ses revenus, celle-ci n’ayant aucun salaire et n’ayant jamais travaillé à l’époque de la souscription des cautionnements et disposant pour tout patrimoine d’une maison d’habitation d’une valeur de 700 000 francs.
Dès lors, cette action en responsabilité formée à titre reconventionnel était un moyen d’obtenir une compensation de la dette au titre de dommages et intérêts réclamés sur la perte de chance de ne pas contracter l’engagement ou, à défaut, d’obtenir la nullité dudit engagement disproportionné, de telle sorte que ses arguments étaient particulièrement pertinents et étaient un véritable barrage dans le cadre de la procédure de saisie immobilière.
Quelle compétence pour le juge de l’exécution immobilier ?
La question qui se posait était de savoir, si oui ou non, le Juge de l’Exécution avait vocation à trancher ces demandes indemnitaires qui n’étaient pas en lien direct avec la procédure de saisie immobilière ?
Dans l’hypothèse où le juge de l’exécution immobilier n’est pas compétent, a-t-il vocation à déclarer irrecevables les demandes indemnitaires présentées par Madame B. à l’encontre de la banque ?
Madame B., à hauteur de Cour de Cassation, considérait que les exceptions de procédure, telle que l’exception d’incompétence des juridictions saisies devaient être soulevées avant tout débat au fond à peine d’irrecevabilité,
De telle sorte qu’en déclarant les demandes de Madame B. irrecevables pour avoir été présentées devant le Juge de l’Exécution alors que celui-ci n’aurait pas compétence pour se prononcer sur les demandes indemnitaires formées à l’encontre de la banque et en faisant ainsi droit à une exception d’incompétence soulevée en cause d’appel dans une instance ayant déjà fait l’objet précédemment de trois arrêts de cassation et par suite, après les débats au fond, la Cour d’Appel avait violé les articles 73 et 74 du Code de Procédure Civile rendant ainsi l’exception de procédure, réclamée et opposée tardivement par la banque, comme étant irrecevable.
Cette irrecevabilité prononcée par la Cour d’appel amenait à écarter d’office les demandes reconventionnelles formées comme rempart dans la procédure de saisie immobilière par Madame B contre la banque,
Était-il question d’une exception d’incompétence qui devait être soulevée devant toute défense au fond ? Ou d’une fin de non-recevoir pouvant être soulevée en tout état de cause ?
Or, Madame B. considérant qu’en jugeant au contraire que la contestation d’incompétence du Juge de l’Exécution peut se prononcer sur les demandes de Madame B. qui avaient été invoquées pour la première fois par la banque devant la Cour d’Appel constitue une fin de non-recevoir pouvant être soulevée, en tout état de cause aurait dû être soulevée initialement.
La réponse de la Cour de cassation
La Cour de cassation ne partage malheureusement pas cette analyse et c’est l’intérêt de cette jurisprudence qui a été largement publiée et dont il convient d’en tirer les conséquences dans le cadre des contestations à venir dans le cadre des prochaines saisies immobilières.
En effet, la Cour de cassation rappelle qu’en application de l’article L.213-6 du Code de l’Organisation Judiciaire, si le Juge de l’Exécution est compétent pour connaitre de la contestation d’une mesure d’exécution forcée, il n’entre pas dans ses attributions de se prononcer sur une demande de condamnation des dommages et intérêts contre le créancier saisissant qui n’est pas fondé sur l’exécution ou l’inexécution dommageable de la mesure.
Les limites de la plénitude de compétence du juge de l’exécution
Dès lors qu’une telle demande ne constitue pas une contestation de la mesure d’exécution au sens du texte précité, le Juge de l’Exécution ne dispose pas du pouvoir juridictionnel de statuer sur celle-ci.
Or, la Cour de cassation souligne que le défaut de pouvoir juridictionnel d’un Juge constitue une fin de non-recevoir qui peut dès lors être proposée en tout état de cause en application de l’article 123 du Code de Procédure Civile.
Ainsi, la Cour de cassation relève bien que l’action en responsabilité formée à titre reconventionnel par Madame B. contre la banque était fondée sur un manquement de la banque à son devoir de conseil et de mise en garde, un comportement dolosif de celle-ci épris d’une disproportion de ses engagements de caution.
De telle sorte que Madame B. ne contestait pas la procédure de saisie immobilière à proprement dite, lesdites demandes reconventionnelles de Madame B. ne constituaient dès lors pas une contestation se rapportant à la procédure de saisie immobilière ou à une demande s’y rapportant directement.
Fort de ce raisonnement, la Cour de cassation considère que la juridiction du second degré en a exactement déduit, après avoir justement rappelé que les fins de non-recevoir peuvent être opposées en tout état de cause et que le moyen tiré du défaut de pouvoir juridictionnel de la juridiction saisie constituait une fin de non-recevoir.
De telle sorte que le jugement entrepris et déboutant Madame B. de ses demandes comme étant irrecevables devaient être confirmé en ce qu’il avait déclaré irrecevable les demandes au fond de Madame B. devant le Juge de l’Exécution.
Quelles sont les conséquences et comment se défendre contre la banque ?
Tel est ainsi l’apport de cette jurisprudence qu’il convient d’analyser et de critiquer en suite de cette analyse.
Il convient de se référer à la chronique qui a été faite par le Professeur R.LAHER, professeur à l’Université de Limoges, qui, dans le cadre de sa publication dans la Semaine juridique du 21 juin 2021, critiquait finalement la portée de cette jurisprudence, qui amène forcément à une réflexion complémentaire, globale et stratégique dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière et pour lequel il convient d’orchestrer les contestations du débiteur saisi.
En effet, à bien y comprendre cette jurisprudence, le Juge de l’Exécution n’a pas le pouvoir de statuer sur ces demandes indemnitaires qui ne sont pas directement liées avec la saisie immobilière.
Dans l’hypothèse où le créancier saisissant oppose cette irrecevabilité pour pouvoir poursuivre la saisie immobilière sans rencontrer d’obstacle sérieux de la part de débiteur saisi, la question donc se pose de savoir dans quelle mesure il y a matière à s’opposer aux prétentions de la banque.
Or, si le Juge de l’Exécution se déclare incompétent et la conséquence immédiate est que le débiteur est en droit d’aller devant le Juge du Fond pour pouvoir engager une action en responsabilité contre l’établissement bancaire, en opposant les classiques moyens de manquement aux obligations de conseil et de mise en garde ou encore des disproportions ou de comportement dolosif,
Pour autant, il est fort à parier que ni la banque, ni le juge de l’exécution ne vont, dans le cadre de la procédure de saisie immobilière, patienter le sort de cette procédure de responsabilité.
Cela peut sembler paradoxal lorsque l’on sait que les règles propres à pour la saisie immobilière amène le débiteur à soulever l’ensemble des moyens de contestation possibles et inimaginables devant le Juge de l’Orientation, sans quoi passé l’audience d’orientation l’ensemble de ces moyens sont irrecevables.
Il faudrait soulever devant le juge de l’orientation, qui a une plénitude de compétences, l’ensemble des moyens de faits et de droits à sa portée en défense contre l’établissement bancaire, dits moyens de fait et de droit qui ne devront avoir qu’un lien direct avec la procédure de saisie immobilière proprement dite, et en sus, engager une action en responsabilité devant les juges du fond, contre l’établissement bancaire.
Sachant qu’il est fort à parier que le créancier saisissant poursuive sa saisie immobilière sans se préoccuper de l’action au fond faite par le débiteur.
Vidant de tout intérêt ladite action indemnitaire qui n’empêcherait pas la saisie immobilière.
Pour autant, le débiteur saisi est-il dans l’impasse ?
La question qui se pose est alors de savoir, si oui ou non le débiteur est légitime à solliciter devant le Juge de l’Orientation un sursis à statuer de la mesure d’exécution forcée réclamée par le créancier au motif pris qu’une action en responsabilité est engagée par le fond.
Le sursis à statuer de la saisie immobilière en cas de responsabilité de la banque ?
Telle est à mon sens toute la difficulté de cette jurisprudence car il est fort à parier que le Juge de l’Orientation qui se déclare incompétent, comme n’ayant pas le pouvoir de trancher ces problématiques indemnitaires, se garde bien de sursoir à statuer en considérant que dans la mesure ou la procédure de saisie immobilière repose sur un titre exécutoire et une créance exigible, celle-ci ne peut être suspendue au motif pris d’une « vague » action en responsabilité.
Ainsi, qu’importe la procédure en cours au fond pourtant indemnitaire ou pourtant entrainant l’annulation de l’acte de cautionnement pour lequel le créancier se fonde pour engager la saisie immobilière, le juge de l’orientation permettrait au créancier saisissant d’obtenir la vente forcée du bien immobilier du débiteur saisi.
En conclusion, et pour mieux se défendre contre la banque
Dès lors, il est important d’organiser intelligemment un parcours judiciaire et procédural qui permettrait à la fois de manifester des éléments de contestation devant le Juge de l’Orientation mais à la fois d’amener le Juge de l’Orientation à patienter et à sursoir à statuer le temps que les demandes faites au fond sur les demandes indemnitaires qui ne sont pas directement liées à la procédure de saisie immobilière à proprement dite soient tranchées par les Juges du fond.
Telle est à mon sens la principale difficulté de cette jurisprudence car il est fort à parier que le créancier saisissant pousse à l’exécution forcée qu’importe une action fond qui sera par nature beaucoup plus longue et en contradiction beaucoup plus longue dans un procédure au fond, longue par nature en parfaite contradiction avec l’esprit même de la saisie immobilière qui se veut rapide et immanquablement favorable au créancier.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE
Avocat, Docteur en Droit
Dossier très complet et informatif