L'on imagine bien les conséquences financières d'un tel revirement. Les entreprises ayant dorénavant l'obligation de payer des congés payés aux salariés en arrêt maladie, certaines se cachent derrière certains arguments ineptes pour ne pas payer l'indemnité de congés payés due. Elles ont tort et pourront se voir rapidement condamnées par les Conseils de prud'hommes.
Explications.
Le rappel de la Cour de cassation sur les règles en matière de congés payés pour les salariés en arrêt maladie
Le 13 septembre 2023, dans un arrêt largement commenté, la Cour de cassation a fermement rappelé les règles applicables en matière de congés payés au niveau de l’Union Européenne :
- En application de l'article 31§2 de la Charte des Droits Fondamentaux de l'Union Européenne, « tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale de travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés »
- Le droit de l'Union Européenne n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un arrêt maladie et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de la même période. Ainsi, l'absence d'un salarié en arrêt maladie non professionnelle ne doit avoir aucun impact sur l'acquisition de ses congés payés : il acquiert des congés payés au même titre que les salariés qui ont effectivement travaillé sur la période considérée.
- Selon la CJUE, le droit aux congés payés à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie (CJUE Schultz-Hoff, 20 janvier 2009, C-350/06, point 41 ; CJUE 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).
- Selon la CJUE (arrêt du 6 novembre 2018 - Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C- 570/16), lorsqu'une réglementation nationale ne permet pas de respecter l'article 31§2 de la Charte des Droits Fondamentaux de l'Union Européenne, cette réglementation doit être inappliquée.
Sur la base des éléments évoqués ci-dessus, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence et considère que la réglementation nationale subordonnant l'acquisition de congés payés à un travail effectif (article L. 3141-3 du code du travail) est contraire au droit de l'Union Européenne et qu'elle doit être écartée :
« Il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un travail effectif l'acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.
La cour d'appel, après avoir, à bon droit, écarté partiellement les dispositions de droit interne contraires à l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, a exactement décidé que les salariés avaient acquis des droits à congé payé pendant la suspension de leur contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle. »
Cass. Soc., 13 septembre 2023, n°22-17.340
Application du droit européen en France : vers une modification du code du Travail
Suite à cette décision, le gouvernement français a affiché son souhait de mettre en conformité le droit du travail français avec le droit de l’Union Européenne en matière d’acquisition de congés payés.
Un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole a été présenté.
Dans ce projet de loi figurait notamment une disposition sur l’acquisition des congés payés par les salariés en arrêt maladie (d’origine non professionnelle) pendant la durée de suspension de leur contrat de travail.
Le vendredi 15 mars 2024, le gouvernement a déposé un amendement n°44 qui a été adopté par l’Assemblée nationale le 18 mars 2024.
Selon l’Assemblée nationale :
« L’amendement assure donc la mise en conformité du droit du travail français avec le droit de l'Union européenne, en prévoyant que les salariés dont le contrat est suspendu par un arrêt de travail continuent d’acquérir des droits à congés quelle que soit l’origine de cet arrêt (professionnelle ou non professionnelle). Les salariés en arrêt de travail pour un accident ou une maladie d’origine non professionnelle pourront ainsi acquérir des congés payés, au rythme de deux jours ouvrables par mois, soit quatre semaines par an de congés payés garanties par l’article 7 de la directive 2003/88/CE. Les modalités de calcul de l’indemnité de congés payés sont également ajustées en conséquence. »
Si la loi n’est pas encore entrée en vigueur, il ne fait aucun doute que le code du travail va être très prochainement modifié pour intégrer l’acquisition de congés payés pendant la période de suspension du contrat de travail pour maladie d’origine non professionnelle.
Une nouvelle mal reçue par de nombreux employeurs
Dans une tentative désespérée de lutte juridique contre cette décision unique, nombreux sont les employeurs qui tentent de s'affranchir du paiement de cette indemnité de congés payés due aux salariés en arrêt maladie en avancant deux arguments qui n'ont pas plus de poids l'un que l'autre.
Le premier argument est de se réfugier derrière la décision du Conseil Constitutionnel du 8 février 2024 dans laquelle l'institution a jugé les dispositions du code du travail actuelles conformes à la Constitution. Or qui dit conforme à la Constitution ne dit pas nécessairement conforme au droit européen et c'est bien cela qui est reproché au texte.
Le deuxième argument est d'affirmer qu'il ne s'agit "que" d'un arrêt de la Cour de cassation et que la jurisprudence n'est pas normative. Cet argument, pas totalement faux mais néanmoins inapplicable en l'espèce sera en tout état de cause rapidement évincé par les nouvelles dispositions légales à venir mettant le droit interne en conformité avec le droit européen.
Salarié concerné par des congés non acquis en arrêt maladie ? Les actions à mettre en place
Dans ce contexte, chaque salarié concerné peut adresser un courrier recommandé à la société qui l'emploie ou mieux encore, une mise en demeure rédigée par un avocat en droit du travail, afin de lui demander de tenir compte de la jurisprudence de la Cour de cassation en régularisant son solde de congés payés afin d’y ajouter les jours acquis depuis le début de son arrêt maladie.
Sandrine PARIS
Avocat associé
Fondateur du cabinet ATALANTE AVOCATS
Dossier très complet et informatif