Le salarié évolue dans un univers de communication de plus en plus rapide et ouvert vers le monde.

Facebook, SMS, courriels, communication verbale, écrite, quelles sont les limites de la liberté d'expression du salarié ?

L'année 2012 marque-t-elle un tournant ?

Le principe : la liberté d'expression dont le salarié bénéficie dans la vie personnelle comme dans la vie professionnelle ne doit pas dégénérer en abus.

Les limites : elles doivent être justifiées par la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.

 

1/Le principe de la liberté d'expression du salarié dans l'entreprise :  une appréciation in concreto des comportements abusifs.

L'appréciation des juges est nuancée : le comportement du salarié est évalué concrètement en fonction des rapports entretenus par l'employeur et le salarié.

Dans un 1er arrêt du 6 mars 2012 (pourvoi n° 10 - 27. 256), la chambre sociale de la Cour de Cassation relève l'abus de la liberté d'expression du salarié qui qualifie son lieu de travail de camps de concentration au cours d'un entretien avec son employeur.

 Ce n'est pas l'expression en elle-même qui est jugée abusive mais le fait que le salarié a sciemment employé l'expression « camps de concentration » à l'égard de son chef d'entreprise dont il connaissait la nationalité allemande.

 La cour en conclu au regard de l'analyse concrète des relations entre le salarié son employeur que cela « caractérisait un abus de la liberté d'expression du salarié à l'aide de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs ».

 Dans une seconde décision du 29 février 2012 (pourvoi n° 10 – 15.043) la cour considère que les relations antérieures entre les parties vont en partie excuser le comportement du salarié.

Il s'agissait d'un cadre licencié pour faute grave pour avoir dénigré son employeur et pour avoir manifesté une agressivité persistante envers une salariée d'entreprise.

Le salarié avait notamment adressé à son employeur « un courriel accessible à tous les salariés sur la messagerie de la société dans lequel il dénonçait son incompétence et lui conseillait de changer de métier ».

Si le comportement est jugé fautif, la cour constate qu'il ne justifiait pas la rupture immédiate du contrat de travail (le licenciement serait sans cause réelle et sérieuse mais non constitutif d'une faute grave) :

« Mais attendu qu'ayant relevé la familiarité de ton qui existait entre l'intéressé et son employeur et l'absence d'avertissements antérieurs en raison de ses excès de langage, la cour d'appel a pu en déduire que l'abus réitéré du salarié de sa liberté d'expression, s'il était constitutif d'une faute, ne justifiait pas la rupture immédiate du contrat de travail ».

 

2/Les moyens d'expression de la liberté d'expression du salarié dans l'entreprise : la messagerie électronique et Facebook

a/La messagerie électronique : la distinction entre messagerie personnelle et professionnelle est maintenue

La messagerie personnelle: La protection renforcée du salarié

Le message adressé sur sa messagerie personnelle par le salarié en dehors de son temps et de son lieu de travail est privé.

Il est reproché un salarié licencié pour faute grave avec mise à pied conservatoire d'avoir dénigré sa supérieure hiérarchique dans un courriel adressé un collègue.

L'employeur considérait que le salarié avait par l'outrance des propos tenus manqué à son attitude de discrétion et de loyauté.

Privilégiant le principe de la liberté d'expression et affinant sa précédente jurisprudence (15 décembre 2010 pourvoi n° 08-42.486 et 5 juillet 2011 pourvoi n° 10-17.284) la chambre sociale de la Cour de Cassation (arrêt du 26 janvier 2012 pourvoi n° 11 – 10.189) est d'un avis différent :

« Attendu cependant qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire que s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ;

… l'envoi du courriel litigieux par le salarié, de sa messagerie personnelle et en dehors du temps et du lieu de travail, à l'adresse électronique personnelle d'un collègue de travail, ce qui conférait à ce message un caractère purement privé, ne constituait pas un manquement à son obligation de loyauté envers son employeur ».

La messagerie professionnelle : la protection relative du salarié

La jurisprudence 2011 est maintenue :

Est personnel le fichier utilisé par le salarié dans son activité professionnelle qui est identifié expressément comme un fichier personnel (1er arrêt conforme à l'arrêt du 15 décembre 2010 n° 08-42486).

Peut être consulté mais non utilisé dans une procédure judiciaire le fichier non identifié comme personnel mais dont le contenu relève de la vie privée (2ème arrêt conforme à l'arrêt du 5 juillet 2011 n° 10-17284).

1er arrêt 10 mai 2012 pourvoi n° 11 - 13. 884 :

L'employeur a accès au fichier non identifié comme personnel.

Le licenciement du salarié licencié pour faute grave pour avoir fait une utilisation détournée de son ordinateur professionnel en enregistrant des photos à caractère pornographique et des vidéos de salariés prises contre leur volonté est justifié :

« les fichiers créés par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l'employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l'intéressé, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels ;

… La seule dénomination « Mes documents » donnée à un fichier ne lui confère pas un caractère personnel ».

En conclusion :

- les fichiers créés par le salarié dans le cadre de son travail sont présumés professionnels

- pour être jugés personnels les documents du salarié doivent être intégrés dans un fichier identifié comme personnel (la seule dénomination d’un document comme « Mes documents » dans un fichier non identifié comme personnel ne permet pas de qualifier le document de personnel).

2ème arrêt 10 mai 2012 pourvoi n° 11 – 11.252 :

Si l'employeur a accès à la messagerie non identifiée comme personnelle, le contenu relevant de la vie privée ne peut être utilisé par l'employeur ni pour légitimer une sanction (cf précédent arrêt du 5 juillet 2011 n° 10-17284) ni dans le présent arrêt pour être produit dans une procédure judiciaire :

« Vu les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du Code civil,…

…si l'employeur peut toujours consulter les fichiers qui n'ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut toutefois les produire dans une procédure judiciaire, si leur contenu relève de la vie privée sans l'accord de ce dernier ;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'il lui appartenait de vérifier si des courriels produits concernaient des faits de la vie privée de la salariée, la cour d'appel à violé les textes susvisés ».

b/ La liberté d’expression du salarié sur Facebook : une liberté relative

Désormais familiarisés avec Facebook, les juges apprécient l'abus de liberté d'expression du salarié de manière technique et pragmatique :

- Si les juges conviennent que le salarié peut paramétrer son espace Facebook de manière à limiter le partage d'information (et donc à conserver un caractère privé aux échanges sur Facebook)...

« Le réseau (Facebook) peut constituer soit un espace privé, soit un espace public, en fonction des paramétrages effectués par son utilisateur » (chambre sociale de la cour d'appel de Rouen arrêt du 15 novembre 2011).

 « les échanges s'effectuent librement via « le mur » de chacun des membres auxquels tout un chacun peut accéder si son titulaire n'a pas apporté de restrictions ; … Il appartient en conséquence à celui qui souhaite conserver la confidentialité de ses propos tenus sur Facebook, soit d'adopter des fonctionnalités idoines offertes par ce site, soit de s'assurer préalablement auprès de son interlocuteur qu'il a limité l'accès à son « mur » (chambre sociale de la cour d'appel de Besançon arrêt du 15 novembre 2011).

- ...Ils se divisent sur l'appréciation du comportement du salarié

Selon la cour d'appel de Rouen c’est à celui qui l’invoque (en l'espèce l’employeur) d'établir que le salarié n'a pas limité le partage des informations sur son compte Facebook :

«… Aucun élément ne permet de dire que le compte Facebook tels que paramétré par Mademoiselle X. ou par les autres personnes ayant participé aux échanges autorisait le partage avec les « amis » de « ses amis » ou tout autres forme de partage des personnes indéterminées, de nature à faire perdre aux échanges litigieux leur caractère de correspondance privée.

L'existence d'un tel paramétrage ne résulte ni des mentions figurant sur la copie de la page Facebook litigieuse, ni de la seule circonstance que cinq autres salariés ont participé aux échanges. Elle ne peut davantage être déduite de la manière dont l'employeur a pris connaissance des propos échangés, ce dernier n'ayant pas précisé les conditions dans lesquelles il s'en était procuré la reproduction, de telle sorte qu'il ne peut être exclu qu'elles proviennent de l'une des personnes ayant seul participé aux échanges

La liberté d'expression du salarié est renforcée.

Tel n'est pas l'avis de la cour d'appel de Besançon (arrêt du 15 novembre 2011 précité) qui considère qu'il appartient au salarié d'établir qu'il a conservé un caractère privé à ses échanges :

- « (le salarié) ne peut ignorer le fonctionnement du site Facebook »,

- si la salariée n'a pas nommément désigné son employeur,  « il n'en demeure pas moins que ses propos sont demeurés inscrits sur « le mur » du profil de son interlocuteur… Ils ont été par la suite complétés par un autre contact qui a expressément mentionné la société X…

- « ses propos sont tout de même demeurés accessibles et son employeur parfaitement identifiable ; que l'absence d'intention de la part de la salariée se trouve dès lors sans effet  dès lors que son comportement imprudent a conduit à un résultat similaire ».

- qu'il appartient en conséquence à celui qui souhaite conserver la confidentialité de ses propos tenus sur Facebook, soit d'adopter des fonctionnalités idoines offertes par ceux-ci, soit de s'assurer préalablement auprès de son interlocuteur qu'il a limité l'accès à son mur.

La liberté d'expression du salarié est limitée.

3/ La liberté d'expression du salarié est restreinte au regard de l'obligation de discrétion à laquelle il est contractuellement tenu

La Cour de Cassation maintient sa jurisprudence de 2011 (chambre sociale 6 avril 2011 n°09-72520 et 2 mars 2011 n° 09-68890) :

La cour interprète strictement l'obligation de discrétion imposée au salarié dans son contrat de travail : c'est l'accord des parties et le consentement exprès du salarié à la restriction de sa liberté d'expression qui prévaut (chambre sociale arrêt du 29 février 2012 pourvoi n° 10 - 26. 275) :

"Mais attendu qu'ayant relevé que le contrat de travail imposait à la salariée une obligation de discrétion, la cour d'appel qui a retenu qu'elle avait manqué à cette obligation en répondant à l'interview d'un journaliste sur la fréquentation du cinéma sans en aviser préalablement son employeur, a légalement justifié sa décision ».