Une entreprise en sauvegarde de justice qui voit son projet de plan sauvegarde rejeté par le Tribunal de commerce, peut-il présenter un nouveau plan de sauvegarde ou bien se diriger inévitablement vers un redressement ou une liquidation judiciaire ? Lorsque le Droit de l’entreprise en difficulté se retrouve à avoir horreur du « vide ». Exemple jurisprudentiel du Tribunal de Commerce de Fréjus.

Il convient de s’intéresser à une procédure collective qui a eu lieu devant le Tribunal de Commerce de Fréjus et qui vient aborder la question spécifique d’une procédure de sauvegarde dans laquelle le dirigeant de l’entreprise présente un plan de sauvegarde qui a été rejeté par le tribunal de commerce, sans que pour autant sa procédure soit transformée en redressement judiciaire ou liquidation judiciaire.

 

Procédure de sauvegarde

Dans cette affaire, et par jugement en date du 27 janvier 2020, le Tribunal de Commerce de FREJUS a prononcé la sauvegarde de justice de la société N à la demande de son dirigeant.

Une période d’observation a été ordonnée telle que prévue par les dispositions du Code de Commerce.

Par jugement en date du 28 septembre 2020, le Tribunal de Commerce a autorisé le renouvellement de la période d’observation jusqu’au 27 janvier 2021.

Par jugement en date du 15 mars 2021, le Tribunal de Commerce a autorisé la prolongation exceptionnelle sur réquisition du Procureur de la République de la période d’observation jusqu’au 27 mars 2021.

 

La présentation du plan de sauvegarde

C’est dans ces circonstances que le dirigeant qui avait les plus grandes difficultés à communiquer avec son ancien expert-comptable a présenté un projet de plan de sauvegarde qui était par ailleurs fort ambitieux puisqu’il reposait sur la pertinence et les chances de succés d’une contestation de redressement fiscal.

Par ailleurs le dirigeant avait proposé un plan de sauvegarde sur la base de trois options à savoir 

  • Option 1 : 100% sur 10 ans, à raison de 10% par an, pour les créanciers acceptants.
  • Option 2 : 30% sur 2 ans, valant pour solde de tout compte pour les créanciers souhaitant être plus rapidement désintéressés 
  • Option 3 : 10% sur 1 an pour tous les créanciers ne répondant pas, conformément à l’article L626-5 du Code du commerce.

La difficulté rencontrée par le dirigeant de la société N était l’absence d’éléments comptables pertinents et suffisants tant le contentieux entre ce dernier et son expert-comptable avait pris des proportions importantes.

 

Les documents comptables nécessaires au plan de sauvegarde

Faute d’éléments comptables, le Tribunal de Commerce a rejeté le projet de sauvegarde, sans pour autant se prononcer sur la procédure de sauvegarde.

Par la suite, des discussions se sont enchainées entre le dirigeant de la société N et le mandataire judiciaire Maître C qui lui avait indiqué qu’il n’y avait pas de sanction au hors délai dans le cadre d’une procédure de sauvegarde et qu’il lui appartenait de faire appel du plan de sauvegarde en procédant au changement d’expert-comptable. 

 

L’appel du rejet du plan de sauvegarde

Le dirigeant de la société N, devait avec son nouvel expert-comptable convaincre la Cour d'Appel que son plan était parfaitement viable.

Les chances d’appel étaient donc réelles car le temps de la procédure de sauvegarde il était procédé à l’établissement du comptabilité conforme aux prescriptions en la matière.

Pendant ce temps, le dirigeant se proposait de fournir au mandataire judiciaire tous les mois une situation comptable, un justificatif de paiement de créances postérieures, un justificatif de paiement des salaires des employés de l’entreprise et un justificatif d’évolution du chiffre d’affaires.

 

Les éléments comptables remis au mandataire judiciaire

Cependant, se posait la question du sort de la procédure de sauvegarde alors que le plan avait été rejeté et que le jugement avait été frappé d’appel.

La difficulté est que Maître C, es-qualité, a cru bon présenter une requête le 21 juin 2021 afin de voir convertir la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire compte tenu de la cessation des paiements de la société.

 

Quelle sort pour la procédure de sauvegarde après le rejet du plan ? 

La question qui se posait était de savoir si La société N ayant vu son plan de sauvegarde rejeté pouvait rester en procédure de sauvegarde ou si elle devait partir en redressement judiciaire.

Le dirigeant N et son conseil avaient pourtant sollicité à hauteur de Cour d’appel un calendrier court de procédure et un arrêt devait être rendu dans les 8 mois suivant le jugement de rejet de plan.

La particularité de ce jugement est que si celui-ci rejetait le plan, il ne pouvait échapper au lecteur attentif qu’il ne tranchait pas le sort de la période d’observation de la procédure de sauvegarde.

Les choses se sont alors compliquées car Maître C, es qualité, qui s’était engagé à attendre la décision de la Cour d'Appel a cru bon déposer une requête en liquidation judiciaire sur la base d’une créance postérieure.

Cette requête était parfaitement contestable car le mandataire judiciaire n’a pas pris soin d’interroger le débiteur quant au sort d’une éventuelle créance postérieure, n’a pas cru bon communiquer la requête ni à son administré ni même à son conseil.

La société N avait réglé immédiatement la créance postérieure qui avait été mise en paiement mais qui avait l’objet d’un rejet informatique.

De telle sorte qu’il n’existait pas de créance postérieure, 

Il est vrai que le mandataire judiciaire doit rendre des comptes au Tribunal de Commerce qui le désigné mais ce ne doit pas être sa seule préoccupation.

Celui-ci doit communiquer avec son administré.

Pour autant, Maître C, es-qualité, transformait sa demande de liquidation judiciaire en redressement judiciaire.

Il importe de préciser qu’il n’y avait aucune créance postérieure et la société N poursuivait son activité avec une augmentation du chiffre d’affaires et des bénéfices.

 

L’absence de créance postérieure

Par ailleurs, le passif antérieur était constitué d’une créance fiscale qui avait l’objet d’un recours qui permettait d’espérer une réduction substantielle.

Il convient de rappeler que l’article R626-22 stipule que : 

« Lorsque la décision rejetant le plan est devenue définitive et qu'il n'a pas été fait application des dispositions du deuxième ou du troisième alinéa de l'article L. 622-10, le tribunal se saisit d'office aux fins de clôture de la procédure. 

Il statue dans les conditions de l'article L. 626-9. »

Dans la mesure où appel avait été interjeté, il n’y avait pas de raison de pousser l’entreprise en redressement judiciaire.

La société N souhaitant quant à elle rester en procédure de sauvegarde et présenter un nouveau plan sur la base d’éléments comptables fiables permettant ainsi de proposer un échéancier ventilé pour arriver à 100 % sur 10 ans permettant par là même de payer l’ensemble des créanciers.

 

Un deuxième plan de sauvegarde ? 

Enfin le dirigeant de la société N sollicitait que si par extraordinaire le Tribunal de Commerce décidait de prononcer un redressement judiciaire, il est bien évident qu’il faudrait fixer un nouveau délai de 6 mois afin qu’il puisse présenter un plan de redressement qui serait semblable au plan de sauvegarde.

Dès lors, placer la société en redressement judiciaire sans lui permettre de garder cette opportunité pour plus tard est à mon sens regrettable.

En effet, rien n’empêchait le chef d’entreprise qui s’était heurté à un rejet de plan de sauvegarde, dans la mesure ou la procédure de sauvegarde était toujours en cours au visé des textes susvisés, de finalement présenter un deuxième projet de sauvegarde plutôt que de basculer sur un redressement judiciaire et de présenter un plan de redressement. 

Rien dans le texte n’empêche, en cas de rejet d’un plan de sauvegarde d’en présenter un deuxième, car s’il est bien évident qu’en cas de redressement judiciaire, le rejet du plan porte automatiquement le prononcé de la liquidation judiciaire et la cessation d’activité de l’entreprise, il n’en demeure pas moins qu’en sauvegarde, le rejet du plan n’a pas forcément de conséquence.

Il n’interdit en rien le dirigeant de présenter un autre plan de sauvegarde. 

Le dirigeant a cru à cette approche, et a fait diligence pour présenter ce nouveau plan.

Il a enfin établi sa comptabilité et qu’il présente un nouveau projet de plan sur la base d’éléments comptables probants qui montrent bien que la société n’est pas en cessation de paiement, qu’elle ne génère pas de créance postérieure et qu’elle est mesure de faire face à son passif exigé sur les 10 prochaines années et de présenter un nouveau plan. 

Il est bien évident que le rédacteur du projet de plan le modifie un tant soit peu afin qu’il n’y soit pas justement une problématique d’autorité de la chose jugée par rapport au premier jugement.

Or, dans cette affaire, l’acharnement du mandataire judiciaire à ne pas vouloir valider ce deuxième plan de sauvegarde peut sembler curieux. 

Il peut d’ailleurs sembler tout aussi curieux pour le même Mandataire judiciaire de déposer une requête visant à transformer la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire au motif pris qu’il se serait rendu compte, au bout d’un an et demi de procédure, que finalement l’entreprise aurait bien une cessation des paiements depuis 45 jours. 

Alors que ce dernier n’a jamais fait état de cela ni à l’ouverture de la procédure collective ni en sus du rendez-vous avec son administré ni à l’audience des deux mois de poursuite d’activité ni à l’audience des six mois de poursuite d’activité ni à l’audience de présentation du premier plan de sauvegarde ni lors de la phase de vérification des créances. 

Cela n’est pas sérieux de la part du mandataire judiciaire.

Surtout cela est dangereux pour l’entreprise en sauvegarde qui se trouve à « flirter » avec la liquidation judiciaire…

 

Redressement judiciaire ou deuxième plan de sauvegarde ? 

Qu’il est assez curieux, alors que la loi ne vient pas sanctionner le rejet du plan par une transformation quelconque de la procédure que finalement « ce vide juridique » soit suffisamment déstabilisant pour amener le Mandataire judiciaire à déposer une requête en redressement judiciaire alors qu’il pouvait opter entre deux choix pourtant simples.

Soit, premièrement, le mandataire attend que la Cour d’appel s’exprime dans le cadre d’une fixation prioritaire sur le sort du premier plan de sauvegarde.

Soit, deuxièmement, le mandataire pouvait parfaitement accompagner le chef d’entreprise dans l’homologation du deuxième plan de sauvegarde qui reposait sur des éléments comptables probants avec un prévisionnel sérieux et une situation de trésorerie confortable.

 

Plan de redressement ou plan de sauvegarde ? 

Dès lors, précipiter l’entreprise en redressement judiciaire n’est pas forcément une bonne chose car le chef d’entreprise avait tout intérêt à conserver cette chance car dans l’hypothèse où ce dernier aurait obtenu son plan de sauvegarde et dans l’hypothèse où celui-ci aurait rencontré de nouvelles difficultés économiques, rien ne l’empêchait par la suite de bénéficier d’un plan de redressement, de quitter le plan de sauvegarde et de voir ouvrir une procédure de redressement judiciaire, ce qui est parfaitement possible. 

Ce qui aurait permis, à ce moment-là, à l’entreprise de présenter un autre plan à une autre période, ou celle-ci aurait rencontrée de nouvelles difficultés.  

 

La protection du chef d’entreprise en plan de sauvegarde

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la procédure de sauvegarde est également extrêmement protectrice du sort des cautions puisque la caution est protégée tant par le temps de l’année de sauvegarde et d’activité mais également tout le temps de la durée d’exécution du plan. 

Alors que dans le cadre d’un plan de redressement judiciaire, comme chacun le sait, la caution n’est protégée que le temps de l’année de redressement judiciaire et que passé l’homologation du plan de redressement la caution peut être poursuivie tout au long du plan à l’exception des deux premières années si celui-ci a eu la présence d’esprit de demander une protection supplémentaire lors de l’homologation du plan.  

 

En conclusion

Cette jurisprudence, de première instance, du Tribunal de Commerce de Fréjus, est intéressante car elle vient mettre en exergue que si la nature a horreur du vide il semblerait que la même analyse puisse se faire en droit car le rejet du plan de sauvegarde crée, dans cette affaire, un imbroglio juridique qui laisse à penser que si le rejet du plan de sauvegarde n’entraîne pas de manière automatique la fin ou la transformation de la procédure de sauvegarde proprement dite, force est de constater que les organes de la procédure collective n’ont pas su appréhender ce vide juridique et ont immédiatement réagis pour placer sinon l’entreprise en  liquidation judiciaire à tout moment en redressement judiciaire. 

Le déroulement de l’histoire a voulu qu’effectivement le Tribunal de commerce de Fréjus a prononcé un redressement judiciaire, lequel redressement a permis à l’entreprise de présenter un plan de redressement, lequel plan a été homologué et ce sur la base des mêmes éléments comptables et des mêmes propositions de plan que celles qui avaient été proposées dans l’enquête du deuxième plan de sauvegarde. 

Ce qui peut sembler quand même curieux. 

Ainsi, le déroulement d’un plan de sauvegarde peut avoir un certain nombre d’incidences qui peuvent être facilement anticipés par le dirigeant qui force est de constater qu’il a tout intérêt d’être accompagné au plus près par son expert-comptable et son avocat tant les vices procédurales et les spécificités de la matière peuvent révéler autant de pièges qui exposent l’entreprise à une invitation prématurée et non souhaitée à une liquidation judiciaire. 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE

Avocat, Docteur en Droit