L’arnaque aux sentiments : séduire une victime afin de lui soutirer son argent

Dénommée également « roman scam », l’arnaque aux sentiments vise à séduire une personne, créer avec elle une relation de confiance à distance, avant de lui soutirer une somme d’argent. Aussi vieille qu’Internet, la pratique évolue et les victimes sont convaincues de pouvoir gagner de l’argent en investissant dans les cryptomonnaies. Ce type d’arnaques aux crypto-monnaies commence généralement sur des applications de rencontre.

A titre d’illustration, le quotidien New York Times a recueilli en février dernier les témoignages d’Américaines prises au piège. Les récits font à chaque fois état de la rencontre d’un homme sur une application de dating puis de longs échanges pendant plusieurs semaines. L’escroc promet ensuite à la victime de lui présenter sa famille, développe une complicité à distance et se présente comme un investisseur avisé sur les cryptomonnaies. Au bout de quelques mois, l’arnaqueur persuade sa proie d’acheter des cryptomonnaies sur des plateformes de trading, à première vue très fiables et convaincantes. Au fur et à mesure de ses investissements, la proie observe le montant de ses avoirs fluctuer en fonction des cours des crypto-actifs, avant de s’apercevoir qu’elle ne peut plus retirer son argent[1]

Selon la Federal Trade Commission (FTC), les arnaques à l’amour ne se déploient pas seulement sur les applications de rencontre : un tiers des victimes déclarées aux Etats-Unis ont également été contactées sur Facebook ou Instagram[2] .

L’arnaque aux sentiments, une escroquerie sanctionnée civilement et pénalement

Les cryptomonnaies se rattachent à la famille des actifs numériques, catégorie juridique créée par la loi Pacte. La définition donnée par le Code monétaire et financier est large et englobe tous les crypto-actifs servant de paiement ou d’échange. Il ne s’agit pas d’une monnaie au sens strict du droit car ces biens meubles incorporels ne dépendent d’aucune institution[3].

Sous l’angle du droit pénal, la vente de cryptomonnaie assortie d’une promesse de rendement imaginaire constitue un délit d’escroquerie. L’élément matériel de cette infraction est le suivant : le fait « […] soit par l’usage d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de man½uvres frauduleuses, de tromper une personne... » en la déterminant à remettre une somme d’argent à son préjudice[4]. L’escroquerie est passible de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende[5]. Par ailleurs, tant qu’il n’a pas obtenu d’agrément de l’AMF, le prestataire de services d’actifs numériques (PSAN) ne pourra mener des activités de proposition d’achat / de vente de cryptomonnaie. L’exercice d’une activité de démarchage bancaire et financier sans agrément de l’AMF expose son auteur aux mêmes peines que celles prévues pour le délit d’escroquerie (voir ci-dessus)[6].

Sous l’angle du droit civil, lorsqu’une plateforme empêche l’investisseur de retirer son argent, elle n’exécute pas son obligation contractuelle. Or, l’inexécution d’une obligation contractuelle est sanctionnée par divers mécanismes mentionnés à l’article 1217 du Code civil. Parmi ces sanctions, la possibilité de résoudre le contrat, c’est-à-dire d’en demander l’annulation avec restitution des sommes versées au titre de son exécution. De surcroît, la victime peut demander des dommages et intérêts si elle a subi un préjudice. 

En outre, l’article L 561-6 du Code monétaire et financier fait peser sur les banques une obligation générale de surveillance des mouvements de fonds. Ainsi, la responsabilité civile des banques pour manquement à leur devoir de vigilance pourra être engagée dans le cadre d’escroqueries sur des cryptomonnaies dans les situations suivantes. Premièrement, si des anormalités liées au bénéficiaire du virement avaient pu être décelées car les comptes destinataires figuraient sur la liste noire de l’AMF. Deuxièmement, si la transaction a un caractère anormal (comptes situés à l’étranger, montants disproportionnés au vu des revenus …)[7].

Les recours offerts à la personne arnaquée 

La victime d’une escroquerie sous la forme d’une arnaque aux sentiments liée à des cryptomonnaies, dispose de plusieurs recours.  

Le premier réflexe est de tenter de régler le litige à l’amiable en envoyant une lettre de mise en demeure à la fausse société d’investissements destinataire des fonds, lui demandant de rendre l’argent investi. 

Faute d’arrangement, il faut ensuite envisager l’action civile devant le tribunal judiciaire afin que celui-ci prononce l’annulation du contrat d’investissement et la restitution des sommes versées au titre de l’investissement. Outre la restitution des sommes, la personne arnaquée peut également demander des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi. Alternativement, il est possible d’introduire la demande de dédommagements en se constituant partie civile après avoir déposé une plainte devant le procureur de la République du tribunal judiciaire où a eu lieu l’arnaque. 

Au cas où l’appareil judiciaire ne parvient pas à poursuivre les fausses sociétés concernées (notamment en raison de l’anonymat sur la blockchain), la responsabilité civile des banques françaises des victimes peut être engagée si elles ont contrevenu à leur devoir de vigilance. Après avoir tenté au préalable une phase de résolution du litige à l’amiable, il faudra saisir le tribunal judiciaire afin de faire condamner les établissements bancaires au remboursement des sommes perdues ainsi qu’à des dommages et intérêts réparant le préjudice économique. À noter que cette action peut être initiée dans le cadre d’une action collective si la fausse société d’investissement a lésé plusieurs personnes.


[1] Aurore Gayte, Numerama « Les arnaques aux sentiments exploitent maintenant les crypto-monnaies », 22 février 2022,

[3] Ziegler & Associés, Livre blanc sur les cryptomonnaies et les NFT, 23 mars 2022, .

[4] Code pénal, article 313-1. 

[5] Idem. 

[6] L’article L. 572-26 du Code monétaire et financier prévoit des peines identiques que celles associées au délit d’escroquerie à l’article 313-1 du Code pénal. 

[7] Pour verdict, « Arnaques aux cryptomonnaies : les victimes peuvent agir », 31 janvier 2020