En 2006, le Conseil d’Etat dans son arrêt n°296214 a prononcé la dissolution d'un groupement de fait incitant à la discrimination et à la haine raciale.
En effet, la « Tribu Ka », qui réunit au sein d'un groupe organisé des personnes en vue de leur expression collective, constitue un groupement de fait au sens de l'article 1er de la loi du 10 janvier 1936.
Par leurs déclarations, leurs communiqués de presse et les messages diffusés sur leur site internet, ainsi que par une action collective à caractère antisémite, concertée et organisée, commise le 28 mai 2006, rue des Rosiers, à Paris, les membres de la « Tribu Ka » ont provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence envers des personnes à raison de leur appartenance à une race ou une religion déterminée, et propagé des idées ou théories à caractère raciste et antisémite. Dès lors, sans que puisse y faire obstacle la circonstance que ses membres n'auraient pas fait, à la date du décret attaqué, l'objet de condamnations pénales pour les faits reprochés, le groupement de fait « Tribu Ka » était susceptible d'être dissous en application du 6° de l'article 1er de la loi du 10 janvier 1936.
Le décret prononçant la dissolution du groupement de fait « Tribu Ka », eu égard aux considérations de fait et de droit sur lesquelles il est fondé, n'a pas méconnu les stipulations de l'article 10 la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En particulier, si la dissolution critiquée a constitué une restriction à l'exercice de la liberté d'expression, cette restriction est justifiée par la gravité des dangers pour l'ordre public et la sécurité publique résultant des activités du groupement concerné.
Aux termes de l’article 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881, dans sa rédaction issue de la loi du 1er juillet 1972, dite Pleven, précitée, sont punissables : « Ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »
Les délits de provocation et d'injure prévus et réprimés par les articles 24, alinéa 8, devenu l'alinéa 7, et 33, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 sont caractérisés si les juges constatent que, tant par leur sens que par leur portée, les propos incriminés sont tenus à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
La provocation n’est caractérisée que dans l’hypothèse d’une incitation, d’une exhortation à la haine. Par exemple, un dessin représentant un singe sous les traits du ministre de la Justice est susceptible de caractériser une injure raciale mais ne contient pas d’exhortation à la discrimination, la haine ou la violence. Il en va de même dans le fait de qualifier l’homosexualité d’« abomination ».
Toutefois, apprécie exactement le sens et la portée des propos incriminés et justifie sa décision l’arrêt qui, pour confirmer la relaxe des prévenus du chef de provocation à la discrimination et à la haine raciale, après avoir rappelé que le délit visé est caractérisé à l'égard de ceux qui, notamment par leurs écrits, ont incité le public à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes, à raison de leur origine, ou leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, retient que les développements relatifs à la "culture du mensonge et de la dissimulation" telle que décrite par l’auteur dans les quatre pages visées aux poursuites et replacées dans le contexte de l'ouvrage, même si leur formulation peut légitimement heurter ceux qu'ils visent, ne contiennent néanmoins aucun appel ni aucune exhortation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'encontre des Tutsis.
Aussi, encourt la cassation l’arrêt qui retient la culpabilité du prévenu en sa qualité de directeur de publication, alors que les propos litigieux, portant sur une question d'intérêt public relative à la politique gouvernementale de naturalisation, ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression et que, même si leur formulation peut légitimement heurter les personnes de confession musulmane, ils ne contiennent néanmoins pas d'appel ou d'exhortation à la discrimination, à la haine ou à la violence à leur égard.
I. Illustration de propos provocants
Le racisme est une idéologie qui affirme la supériorité d'un groupe racial sur les autres et les infractions raciales sont le résultat de cette idéologie. Elles concernent plus largement les infractions fondées sur l'origine, l'appartenance ou la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée et le principe de répression a été étendu aux discriminations fondées sur le sexe, l'orientation sexuelle ou le handicap. Pour la facilité de l'exposé, on désignera ces infractions envisagées dans leur globalité sous les termes d'« infractions racistes, raciales ou discriminatoires ».
Le racisme en tant que tel n'est pas directement réprimé par la loi française. La répression du racisme n'intervient que si les propos en cause sont accompagnés de termes injurieux, d'imputations diffamatoires envers une personne ou un groupe de personnes, ou d'incitations à la haine à la violence ou à la discrimination (Dreyer E., Le fondement de la prohibition des discours racistes en France, Légipresse 2003, no 199, p. 19).
Selon l’article 24, al. 8 de la loi du 29 juillet 1881 sur liberté de la presse : « Ceux qui par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 45 000 ¤ ou de l'une de ces deux peines seulement ».
En ce qui concerne l’article 24, al. 9 de la loi du 29 juillet 1881 sur liberté de la presse : « Seront punis des peines prévues à l'alinéa précédent ceux qui, par ces mêmes moyens, auront provoqué à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap ou auront provoqué, à l'égard des mêmes personnes aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du Code pénal ».
Par ailleurs, l’article 24, al. 10 de la loi du 29 juillet 1881 sur liberté de la presse : « En cas de condamnation pour l'un des faits prévus par les deux alinéas précédents, le tribunal pourra en outre ordonner :
1) sauf lorsque la responsabilité de l'auteur de l'infraction est retenue sur le fondement de l'article 42 et du premier alinéa de l'article 43 de la présente loi ou des trois premiers alinéas de l'article 93-3 de la loi no 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, la privation des droits énumérés aux 2o et 3o de l'article 131-26 du Code pénal pour une durée de cinq ans au plus ;
2) L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du Code pénal ».
La partie de phrase « si je n'avais qu'à presser sur un bouton pour l'exterminer toute entière (la communauté juive), je le ferais sur le champ » est « une provocation à la discrimination et à la haine raciale en ce qu'elle incite sans détour et sans ambiguïté au génocide » ; est également constitutive du même délit la présentation de l'antisémitisme comme correspondant à une nécessité de légitime défense ou encore d'évoquer un génocide qui atteindrait tous les non-juifs si l'action du « train sioniste maçonnique » n'était pas arrêtée.
Les propos présentant l'ensemble des membres d'une communauté comme des envahisseurs et des égorgeurs, ne peuvent que provoquer une réaction de haine à l'égard de cette communauté.
En donnant au lecteur l'impression qu'il est le jouet d'une manipulation par une catégorie représentant deux pour cent de la population française qui agit tel un chef d'orchestre clandestin, l'auteur ne peut que faire naître un sentiment de rejet et de haine à l'égard de cette faction, en l'espèce la communauté juive.
Des propos qui laissent croire à un projet concerté de guerre civile préparé par « les musulmans » ou « les islamistes » et au caractère inéluctable et imminent du déclenchement de telles hostilités, visent à provoquer chez les lecteurs un sentiment de rejet et d'antagonisme à l'égard de l'ensemble des musulmans lequel est globalement présenté comme l'ennemi contre lequel il faudrait, d'urgence, se défendre.
Le délit de provocation à la discrimination raciale est constitué par la publication d'un article intitulé « Société plurielle », qui, après avoir rapporté en exergue une déclaration du Président de la République, faite le 8 mars 1989, à Alger, selon laquelle « la nation française ressent profondément l'utilité de la présence d'immigrés chez nous », où « ils travaillent et ils travaillent bien », a relaté différents faits divers mettant en cause des personnes originaires d'Afrique du Nord, d'Afrique noire, ou appartenant à la communauté tzigane, visées en raison de leur appartenance à une ethnie, une race ou une religion déterminée ; même dépourvue de commentaire, cette présentation tendancieuse a été de nature à susciter chez le lecteur des réactions de rejet.
Les expressions « envahisseurs », « occupants de notre sol », « étrangers irrespectueux et nuisibles », induisent une notion d'agression, et tendent à susciter un sentiment de haine ou des actes de discrimination envers les immigrés, considérés comme un groupe de personnes, et visés à raison de leur non-appartenance à la communauté française.
Le rapprochement entre les termes de « musulmane » et de « voler de supermarché en supermarché » tend à susciter l'idée qu'un groupe racial ou religieux s'adonne habituellement à la commission de vols ; ce rapprochement est de nature, par l'affirmation brutale et outrancière d'une situation de délinquance, à susciter une discrimination au détriment d'un groupe racial ou religieux et à faire naître un sentiment de rejet.
II. Propos jugés non provocants
Les propos incriminés sont, le plus souvent, jugés non provocants, au motif que, quelle que soit le caractère plus ou moins ignoble des allégations, elles ne comportent pas d'incitation ou d'exhortation à la haine ou à la violence.
Exemples :
La publication de caricatures et bandes dessinées tournant en dérision des religieuses (arrêt no 1), ou la publication d'un reportage tournant en dérision la confession en usage dans l'Eglise catholique (arrêt no 2), n'est pas de nature à inciter à la haine, à la violence ou à la discrimination envers des citoyens de religion catholique, l'incitation au mépris n'entrant pas dans les prévisions de l'article 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881 (1er arrêt), qui ne trouve pas non plus à s'appliquer faute d'incitation manifeste, d'instigation ou d'exhortation à ces sentiments (2e arrêt).
Le fait de s'opposer à l'attribution du droit de vote à des étrangers ne peut être considéré comme un appel à la haine, dès lors que ce droit est réservé par la loi et la Constitution aux seuls nationaux.
Les propos qualifiant le mode d'extermination utilisé dans les camps, où étaient détenus des juifs et des tziganes, de « point de détail », ne sont pas constitutifs du délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison de l'origine ou de l'appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, mais s'agissant d'une expression choquante et intolérable, elle est constitutive d'une faute.
Les propos d'un commandant de bord, qui, à l'occasion d'une altercation avec un agent de sécurité aéroportuaire, a déclaré à cette personne que « s'il l'avait connu il y a 60 ans, à Vichy, il l'aurait cramée », n'incitent pas le public à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes déterminées, en l'absence de volonté de pousser autrui à une telle action.
Il n'appartient pas non plus au juge des référés de qualifier le propos constitutif d'une fausse nouvelle (article 27 de la loi du 29 juillet 1881), le propos négationniste (article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 ou le propos provoquant à la discrimination (article 24 de la loi du 29 juillet 1881).
On peut encore illustrer ce propos par une affaire qui a beaucoup agité les esprits dans le landerneau de l’antiracisme, concernant l’humoriste Siné, raillant l’opportunisme du fils de Nicolas Sarkozy, supposé s’être converti au judaïsme pour épouser une riche héritière de confession juive. Le tribunal de Lyon saisi par la Licra n’y a vu qu’un « propos peut-être choquant sans être provocant au sens d’une provocation à un passage à l’acte ou à un rejet sentimental », n’outrepassant pas les limites de la liberté d’expression. Et pour écarter la qualification en cause, la Cour de cassation a récemment relevé, au détour d’une motivation, qu’il était insuffisant que les propos poursuivis soient empreints de « sentiments racistes ».
Pour établir l’infraction, il faut donc caractériser une provocation à la discrimination ou à la haine raciale, élément matériel propre à constituer le délit. En revanche, et par application du principe d’interprétation stricte de la loi pénale, des manifestations d’opinions certes racistes, mais se bornant à s’exprimer dans le cadre d’un débat de fond sur l’immigration, par exemple, ne tomberont pas nécessairement sous le coup de la loi.
La Cour de cassation a ainsi rappelé clairement que les restrictions à la liberté d’expression prévues par l’article 24, alinéa 7, étaient d’interprétation stricte et ne pouvaient être utilisées pour condamner un propos « portant sur une question d’intérêt public relative aux difficultés d’intégration de la communauté rom ».
La Chambre criminelle a adopté la même position dans un arrêt du 7 juin 2017(20), en faisant à nouveau référence à une « question d’intérêt public » s’agissant de la Une d’un magazine montrant une Marianne à moitié voilée, avec la référence à une « invasion », alors même que le tribunal puis la cour d’appel de Paris, avaient jugé à l’inverse que cette couverture était de nature à susciter un sentiment d’hostilité et de rejet à l’égard de la communauté musulmane, et ne constituait pas une simple opinion.
Sources :
Dossier complet répondant à mes questions