Le Conseil d’Etat a rendu un arrêt un peu regrettable concernant la disponibilité du revenu, en retenant que l’associé dont le compte courant a été crédité ne peut renverser la présomption de disposition des sommes créditées, en se prévalant d’une convention de blocage qu’il a lui-même mise en place.
Aux termes de l'article 12 du CGI, l'impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année. Selon les disposition de l’article 156 du CGI, l'impôt sur le revenu est établi d'après le montant total du revenu net annuel dont dispose chaque foyer fiscal. L'impôt porte donc sur les revenus dont le contribuable a eu la disposition au cours de l'année d'imposition, quel que soit l'usage qu'il en fait, et même s'il ne les a pas effectivement perçus. Un revenu est ainsi disponible lorsque sa perception ne dépend que de la seule volonté du bénéficiaire (BOI-IR-BASE-10-10-10-40 n° 20, 12-9-2012).
Lorsqu'ils sont payables en espèces les revenus de capitaux mobiliers sont soumis à l'impôt sur le revenu au titre de l'année soit de leur paiement en espèces ou par chèques, soit de leur inscription au crédit d'un compte.
Selon le Conseil d’Etat, il résulte de ces dispositions que les sommes à retenir, au titre d'une année déterminée, pour l'assiette de l'impôt sur le revenu, sont celles qui, au cours de cette année, ont été mises à la disposition du contribuable, soit par voie de paiement, soit par voie d'inscription à un compte courant sur lequel l'intéressé a opéré, ou aurait pu, en droit ou en fait, opérer un prélèvement au plus tard le 31 décembre. Le Conseil d’Etat juge ainsi que l’associé dont le compte courant a été crédité ne peut renverser la présomption de disposition des sommes créditées en se prévalant d’une convention de blocage qu’il a lui-même mise en place.
Au cas particulier, des dividendes prioritaires ont été inscrits sur un compte courant d’associé, lequel compte courant est bloqué jusqu’au remboursement des dettes bancaires en vertu d’une convention de subordination conclue, plusieurs années auparavant, entre plusieurs banques, la société distributrice et les contribuables, eux-mêmes associés et dirigeants de la société distributrice.
A la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a constaté la distribution, en 2012, de ces dividendes inscrits au compte courant des associés pour un montant de 4 866 434 ¤. L'administration a en conséquence assujetti ces associés à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales à raison de ce revenu au titre de l'année 2012.
Les contribuables ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2012.
Le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande. Ils ont fait appel devant la cour administrative d'appel de Paris qui leur donne gain de cause en annulant le jugement rendu par le tribunal administratif de Paris, et a prononcé la décharge des impositions en litige. En effet, pour la Cour administrative d’appel de Paris, les dividendes en question, attribués en 2012 aux contribuables, en application des statuts de la société, ne pouvaient être regardés comme ayant été mis à leur disposition, car ces sommes avaient été inscrites sur un compte courant d'associés bloqué par l'effet des stipulations d'une convention de subordination conclue en 2007 entre, notamment, la société, les contribuables et plusieurs banques, ce qui faisait juridiquement obstacle au retrait de ces sommes au cours de l'année de leur attribution. L’administration se pourvoit alors en cassation devant le Conseil d’Etat contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel.
Le Conseil d’Etat accueille favorablement le pourvoi de l’administration fiscale, estimant qu’en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que les contribuables étaient eux-mêmes à l'origine de cette convention de subordination, ce dont il se déduisait, en dépit de l'antériorité de celle-ci, que l'indisponibilité des dividendes en litige procédait d'un acte de disposition de la part des contribuables eux-mêmes, la cour a commis une erreur de droit.
Ainsi pour le Conseil d’Etat, en dépit de l’antériorité de la convention signée, l’indisponibilité de tels dividendes procède en effet d’un acte de disposition de la part des contribuables. Le Conseil d’Etat a donc annulé l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Paris et a donné raison à l’administration fiscale.
Cette position du Conseil d’Etat est regrettable car, même si les contribuables étaient à l’origine de la convention, l’existence de cette convention rendait quand-même impossible la perception des dividendes en question. Il y avait, comme le disait à juste titre la Cour d’appel, un obstacle juridique au retarit de ces sommes.
Cette décision ne va pas dans le sens de certaines décisions antérieurs, certes, parfois à propos de dirigeant salariés ou de salariés. Il avait été jugé par exemple que lorsque le compte courant ouvert au nom d'un contribuable dans les écritures d'une société dont il est dirigeant salarié a été bloqué, les sommes représentatives de salaires, qui y ont été inscrites, ne peuvent être regardées comme mises à la disposition de l'intéressé (CE 24-2-1971 n° 78783, 7e et 8e). De même, une prime versée à un associé sur un compte courant bloqué n'est pas un revenu disponible (CAA Paris 10-5-2016 n° 15PA03420). Les salaires inscrits en fin d’exercice au compte courant du gérant d'une SARL ne peuvent être considérés comme ayant été réellement mis à sa disposition dès lors que l'intéressé n'a pas pu, en fait, opérer le prélèvement, (CE 3-7-1985 n° 47921, 7e et 8e s.-s). Il a été également jugé que si les sommes versées par une société à son associé et cogérant à la suite de son départ, qui ont été imposées au titre de l'année N par l'administration, pour partie dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, ont été réglées par chèques datés du 28 décembre de l'année N, il résulte des éléments concordants produits par le contribuable, que ne conteste pas utilement l'administration, notamment de l'attestation détaillée de l'avocat de celui-ci, qui a négocié l'accord avec la société, que la somme litigieuse a été remise à l'avocat le 9 février de l'année N + 1, et était, dès lors, imposable au titre de l'année N + 1 (CE 10e - 9e s.-s. 24-7-2006 n° 258726, et CE 10e - 9e s.-s. 24-7-2006 n° 258725).
La position prise par le Conseil d’Etat dans l’arrêt commenté est très sévère, car d’une manière générale, un revenu doit être considéré comme disponible du jour où, étant échu, il ne dépend que de l'intéressé d'en percevoir le montant. Or, en l’espèce, on voit bien que le retrait des dividendes litigieux ne dépendait pas que de la volonté des intéressés.
Même si l'article 158, 3-1° -2e al. du CGI prévoit que les revenus mobiliers doivent, lorsqu'ils sont payables en espèces, être soumis à l'impôt au titre de l'année soit de leur paiement en espèces ou par chèques, soit de leur inscription au crédit d'un compte, laquelle inscription au crédit d'un compte est à cet égard, assimilée à un encaissement, des circonstances particulières, telles que l’existence d’un contrat spécifique, devraient exclure l’imposition de ces revenus.
CE 21-12-2022 n° 462533.
Arnaud Soton
Avocat Fiscaliste
Professeur de droit fiscal
Dossier très complet et informatif