Les faits : la liquidation de la succesion
Un notaire est saisi des opérations de liquidation de la succession de Madame W, décédée le 6 mars 2014. Monsieur E, légataire universel (c'est-à-dire la personne que Madame W a désignée pour recevoir ses biens), reçoit de l'administration fiscale une proposition de rectification au titre de trois contrats d'assurance-vie dont Madame W l'avait désigné comme bénéficiaire. Assisté de sa curatrice, il assigne le notaire en responsabilité et indemnisation de son préjudice consécutif à cette rectification. Celui-ci assigne à son tour en garantie la société d'assurance.
La société d'assurance est condamnée par la cour d'appel qui considère que, informée par le notaire en charge de la succession du décès, elle s'est en toute connaissance de cause abstenue d'informer ce dernier de l'existence de contrats d'assurance-vie et de capitalisation, laissant ainsi le notaire, le bénéficiaire et sa curatrice dans cette ignorance pendant toute la durée du délai légal de déclaration fiscale.
Le pourvoi en cassation de l'assureur
L'assureur se pourvoit alors en cassation.
Réponse de la Cour de cassation :
Il résulte de l'article L. 132-8, dernier alinéa, du code des assurances, que lorsqu'il est informé du décès de l'assuré, l'assureur est tenu de rechercher le bénéficiaire d'un contrat d'assurance sur la vie et, si cette recherche aboutit, de l'aviser de la stipulation effectuée à son profit.
Il résulte de l'article L. 292 A, alinéa 2, de l'annexe II du code général des impôts, que l'assureur est tenu, sur la demande des bénéficiaires, de leur communiquer la date de souscription de tels contrats et le montant des primes versées après le soixante-dixième anniversaire de l'assuré.
Pour condamner l'assureur, la cour d'appel a retenu, qu'informé par le notaire du décès, il s'est abstenu de porter à sa connaissance l'existence des contrats d'assurance-vie souscrits par la défunte. Or, la Cour de cassation rappelle que l'assureur n'était pas tenu de porter à la connaissance du notaire, qui ne lui en avait pas fait la demande, l'existence des contrats d'assurance sur la vie souscrits par la défunte.
L'assureur affirme avoir envoyé par courriers du 6 mars adressé à l'ensemble des héritiers de Madame M, bénéficiaires des contrats d'assurance-vie souscrits par cette dernière, un dossier complet comportant notamment la demande de règlement des capitaux-décès à compléter par le bénéficiaire, ainsi que le certificat à adresser à l'administration fiscale afin de s'acquitter des droits de succession dus, en informant les héritiers de ce qu'ils étaient bénéficiaires d'un contrat d'assurance sur lequel des versements ont été effectués à compter du soixante-dixième anniversaire de l'assurée.
Par ailleurs, dans la lettre adressée par la curatrice de Monsieur E à l'administration fiscale pour solliciter une remise gracieuse des intérêts de retard, celle-ci indique qu'il n'avait pas connaissance du fait qu'il était bénéficiaire de ces contrats d'assurance-vie, puisque, du fait de sa pathologie il n'avait pas ouvert les courriers qui ont été envoyés par l'assureur.
Bien que la cour d'appel ait elle-même constaté que la curatrice de Monsieur E attestait que celui-ci n'avait pas ouvert les courriers que lui avait adressés l'assureur, elle a retenu que l'assureur ne rapportait pas la preuve d'avoir envoyé le moindre courrier au bénéficiaire ou à sa curatrice avant le 16 août 2016, de sorte que ceux-ci, ainsi que le notaire, sont restés, pendant toute la durée du délai légal de déclaration fiscale, dans l'ignorance de ce qu'une partie des primes d'assurance était assujettie aux droits de succession.
La Cour de cassation a considéré qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, que l'assureur n'était pas tenu de porter à la connaissance du notaire (qui ne lui en avait pas fait la demande) l'existence des contrats d'assurance sur la vie souscrits par la défunte, d'autre part, qu'il résultait de ses constatations que la curatrice de Monsieur E attestait que celui-ci n'avait pas ouvert les courriers que lui avait adressés l'assureur, la cour d'appel, qui a n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés. Par ces motifs, la Cour de cassation casse et annule le jugement e la cour d'appel.
1. Sur la responsabilité civile du Notaire
Pour pouvoir être exercée, l’action dirigée contre un notaire doit obéir aux conditions classiques qui régissent la mise en œuvre de toute action en responsabilité : il faut une faute, un dommage, un lien de causalité entre la faute et le dommage.
Pour ce qui est de la faute du Notaire
Toute faute de négligence ou d’imprudence, même très légère, est donc susceptible de mettre en œuvre la responsabilité « notariale ». Les notaires sont tenus de « toutes leurs négligences et imprudences, dans les conditions du droit commun des articles 1382 et 1383 du Code civil », devenus 1240 et 1241 (Cass. 1re civ., 8 déc. 1947 : JCP N 1948, II, 4081).
La preuve de la faute notariale se présente tout d’abord comme une illustration de la flexibilité des règles de preuve. Conformément au droit commun, la charge de la preuve repose, en principe, sur le client demandeur (CPC, art. 9. – C. civ., art. 1353 nouveau). Puis, le notaire va se défendre en établissant soit l’absence de faute soit la présence d’un élément exclusif de sa responsabilité.
Les tribunaux adoptent ainsi une véritable théorie de la « faute virtuelle » : tout acte notarié qui n’atteint pas le but recherché fait présumer la faute du notaire, c’est-à-dire le plus souvent son défaut de compétence ou sa négligence. C’est donc à celui-ci d’établir qu’il n’a pas commis de faute s’il veut se décharger d’une éventuelle responsabilité.
Le manque de nouvelles du Notaire chargé de la succession du De cujus pourrait caractériser la preuve d’une négligence dans le traitement du dossier de la part du Notaire.
Quant au dommage
Le préjudice futur est également un préjudice certain, lorsqu’il apparaît qu’il doit nécessairement se produire, certes dans l’avenir, mais selon des modalités qui sont déjà vérifiables.
Dans le domaine de l’activité notariale, la perte d’une chance est souvent celle de n’avoir pu réaliser un acte à la date et aux conditions prévues : perte de chance d’obtenir des avantages fiscaux).
La perte d’une chance résulte en effet très fréquemment du manquement par le notaire à son obligation de conseil et d’information.
En matière de responsabilité notariale, comme dans le droit commun de la responsabilité, la chance perdue, pour ouvrir droit à réparation, doit être réelle et sérieuse et, fût-elle minime, à tout le moins raisonnable.
Les héritiers n’ayant plus de nouvelles de la part du Notaire manque de conseils et d’informations pour la suite dans la gestion de la succession.
En outre, par ce comportement du Notaire, les héritiers pourraient craindre d’éventuelles forclusions en ce qui concerne certains délais relatifs aux déclarations successorales (Vous êtes tenu de déposer une déclaration de succession (imprimés 2705, 2705-S et 2706) dans les 6 mois à compter de la date du décès s’il intervient en France). Un délai de 12 mois est prévu pour les décès intervenus hors de France (sauf cas particulier pour Mayotte et La Réunion).
Par conséquent, un préjudice de retard pourrait être caractérisé condamnant les héritiers présomptifs au paiement d’intérêts de retard.
Lien de causalité
Le notaire qui omet d’informer les héritiers de la nécessité de souscrire une déclaration de succession, fût-elle provisoire, et de verser un acompte sur les droits, commet une faute en relation causale avec le dommage subi par les héritiers, condamnés au versement de pénalités de retard (Cass. 1re civ., 6 mars 1984).
On ne saurait en effet obliger les notaires à réparer n’importe quels dommages, mais seulement ceux qui découlent directement de l’omission réelle ou supposée de leurs devoirs professionnels.
Le procès en responsabilité notariale est le plus souvent engagé par les clients de l’officier public.
La prescription de droit commun est désormais de cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (Code civil, article 2224, réd. L. n° 2008-561, 17 juin 2008).
2. Sur la responsabilité pénale du Notaire
A. Volet pénal
À l’opposé des infractions commises, par exemple, par des médecins, les crimes ou les délits reprochés aux notaires exigent, pour être constitués, la présence d’une faute intentionnelle. Il est question ici d’escroquerie, d’abus de confiance, de détournements de fonds, de violation du secret professionnel, de faux et d’usage de faux. Chacun de ces délits ou de ces crimes oblige à rechercher l’intention coupable.
Dès lors, pour pallier les inconvénients résultant de l’unité de la faute civile et pénale et faire échec à la primauté du criminel sur le civil, laquelle perdure pour les actions civiles en réparation du dommage causé par l’infraction (CPP, art. 4, mod. par L. n° 2007-291, 5 mars 2007), l’existence d’une faute non intentionnelle suffit.
La responsabilité pénale du notaire peut être engagée lorsque les fonds remis ont une origine frauduleuse et qu’il en a connaissance (Cass. crim., 4 nov. 1991 : Journ. not. 1992, art. 60583, note J. de Poulpiquet).
En outre, la responsabilité pénale du notaire et celle du clerc sont susceptibles d’être engagées s’il est établi que l’acte reçu par le clerc est constitutif d’un faux en écritures authentiques sanctionné par l’article 441-4 du Code pénal.
En l’espèce, si les héritiers veulent porter plainte pour les délits évoqués ci-dessus, ils devraient prouver le caractère intentionnel du Notaire. Alors qu’en ce qui concerne le volet civil, une faute non intentionnelle suffirait pour engager la responsabilité civile du Notaire.
B. Prescription civile et prescription pénale
Lorsque la faute revêt un caractère pénal, le juge civil n’est plus lié par les délais de prescription de l’action publique : en effet, la loi n° 80-1042 du 23 décembre 1980 (JO 24 déc. 1980), modifiant l’article 10 du Code de procédure pénale, a dissocié la prescription de l’action civile de celle de l’action publique.
Désormais, lorsqu’un même fait constitue à la fois une faute civile et une faute pénale, l’action civile exercée devant un tribunal civil se prescrit selon les règles du Code civil. En revanche, l’unité des prescriptions demeure, lorsque l’action en responsabilité est engagée devant une juridiction répressive.
Sources :
- Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 avril 2023, 21-20.272, Publié au bulletin - Légifrance (legifrance.gouv.fr)
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000025565880?init=true&page=1&query=11-10.935&searchField=ALL&tab_selection=all
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Dossier très complet et informatif