Ces critères sont en revanche remplis pour le salarié contraint, sous peine de sanctions disciplinaires, de suivre un protocole contraignant dans un cours laps de temps pour rejoindre ses locaux de travail à partir de l’entrée du site d’une centrale nucléaire ; et ce quand bien même le règlement du site est imposé par le propriétaire de la centrale, et non par l’employeur lui-même.

Par deux arrêts du 7 juin 2023 (soc., n°21-12.841 et 21-22.445), la chambre sociale de la Cour de Cassation rappelle les critères fondamentaux du temps de travail effectif tirés de l’article L. 3121-1 du code du travail appliqués aux temps de trajet des salariés, pour ce qui concerne le trajet entre le domicile et le lieu de travail, dans des situations plus complexes qu’un classique déplacement entre le domicile habituel du salarié et un lieu de travail sans particularité.

Dans le premier arrêt, le salarié partant pour la semaine visiter en tant que « client mystère » des concessions d’experts en contrôle technique automobile était logé dans des hôtels désignés par l’employeur, loin de son domicile habituel. Dans le second, c’est l’arrivée sur le lieu d’exécution du contrat de travail qui posait la question de la requalification du temps de travail effectif, puisque le salarié devait suivre des directives de sécurité précises et contraignantes dès l’entrée du site de la centrale nucléaire au sein duquel les bureaux de la société l’employant sont situés.

 

Rappel des critères du temps de travail effectif

Pour mémoire, l’article L. 3121-1 prévoit trois critères cumulatifs et interdépendants :

  • Le temps de travail effectif est tout d’abord un temps à disposition de l’employeur, qui comprend donc les temps de présence contrainte, et même d’attente, sur un lieu de travail.
  • Il est aussi un temps de soumission aux ordres de l’employeur ; le temps à disposition doit donc être au moins implicitement demandé ou accepté par l’employeur.
  • Le temps de travail effectif est enfin un temps durant lequel le salarié est en impossibilité de vaquer librement à des occupations personnelles, ce qui s’entend généralement du temps durant lequel il doit se tenir prêt à répondre à toute demande d’intervention, à proximité de son lieu de travail.

En matière de temps de trajet classique entre le domicile du salarié et le lieu d’exécution de son contrat de travail, l’application de ces critères doit conduire à écarter le trajet du temps de travail effectif ; ce n’est pas un temps de disposition, le salarié n’étant pas tenu à un trajet précis ; il n’est d’ailleurs pas tenu de commencer son trajet depuis son domicile, puisque seul importe à l’employeur que le salarié soit à l’heure sur le lieu de travail. Ce n’est pas non plus un temps de soumission exigé par l’employeur ou implicitement accepté par ce dernier. Puisque le salarié n’est pas à disposition de l’employeur, il peut d’ailleurs vaquer à des occupations personnelles durant ce temps de trajet. En somme, le principe posé par l’article L. 3121-4 selon lequel « le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif » peut se déduire des critères posés par l’article L. 3121-1 C. Trav.

 

Indifférence du caractère imposé du lieu faisant office de domicile pour le salarié en déplacement

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a ainsi vu son arrêt du 2 juillet 2021 (n° 19/00173) cassé en ce qu’elle a condamné un employeur au paiement d’un rappel de salaire au titre d’heures supplémentaires comptabilisées sur la base des temps de trajets entre les hôtels dans lesquels le salarié – en déplacement pour des semaines entières afin de contrôler des concessions de l’entreprise – était tenu de séjourner, et les lieux d’exercice concret de son activité de contrôle des concessionnaires. Pourtant, il y a bien là une directive de l’employeur de séjourner à un endroit précis, dont les frais étaient d’ailleurs pris en charge par l’entreprise. Or la chambre sociale exige de différencier le trajet entre « domicile » et lieu de travail du trajet entre deux lieux de travail différents (Soc. 5 nov. 2003, n° 01-43.109 ; 31 mai 2006, n° 04-45.217). Plus explicitement, le trajet entre deux lieux de travail constitue un temps de travail effectif, selon une jurisprudence établie (Soc. 16 juin 2004, n° 02-43.685 ; 5 mai 2004, n° 01-43.918). Cela a probablement poussé la cour d’appel à raisonner en l’espèce sur la base d’un trajet qui s’initierait non pas depuis le domicile du salarié, mais depuis l’un des lieux de travail que lui a désigné l’employeur, vers un autre lieu d’exécution du contrat de travail.

Cependant, même en considérant que le salarié se voit imposé un lieu de domicile et suit pour cela les directives de l’employeur, cela ne peut transformer le lieu de séjour en lieu de travail au sens de la requalification du temps de travail effectif des trajets professionnels. Le critère de disposition n’est pas clairement rempli ; la présence dans l’hôtel n’est pas réellement contrainte, l’employé n’ayant pas de directive de présence effective liée à des horaires précis. Le critère d’impossibilité de vaquer à des occupations personnelles n’est pas plus validé que celui de disposition, le salarié pouvant disposer de son temps comme il le souhaitait, non seulement dans l’hôtel, mais surtout durant le trajet pour s’y rendre. La cour d’appel a ainsi privé sa décision de base légale en qualifiant ce temps de déplacement professionnel de temps de travail effectif, alors même qu’elle avait constaté que le salarié n’effectuait qu’une visite de concession par jour (il n’y avait donc pas de déplacement entre deux lieux de travail) et qu’il n’avait pas de directive de l’employeur qui l’empêchait de vaquer à des occupations personnelles au cours des trajets.

 

Requalification du temps de travail : importance des contraintes de déplacement sur les sites sécurisés

La Cour d’appel d’Orléans, pour rendre son arrêt du 29 octobre 2020 (n° 17/02488), avait au contraire entendu trop strictement les critères de requalification temps de travail effectif pour refuser cette qualification au temps de trajet du salarié depuis l’entrée du site de la centrale nucléaire jusqu’aux bureaux de l’employeur au sein de ce site, où se trouvaient les pointeuses. Il faut dire que dans cette optique, elle pouvait en apparence s’appuyer sur la jurisprudence, pour laquelle ni le port d’une tenue de travail particulière (Soc. 31 oct. 2007, n° 06-13.232), ni le fait de devoir se déplacer en navette vers le lieu effectif de travail à l’intérieur d’une enceinte sécurisée d’une infrastructure aéroportuaire (Soc. 9 mai 2019, n° 17-20.740) ne suffisait à considérer les trajets concernés pour la requalification du temps de travail effectif.

Pour rendre sa décision, la cour d’appel s’appuyait surtout sur le fait que le règlement intérieur du site de la centrale, qui déterminait des modalités de déplacements nécessairement strictes, était imposé par le propriétaire du site, et non par l’employeur qui n’occupait que des locaux dans l’enceinte. Si directives il y avait, elles ne provenaient donc pas de l’employeur lui-même. Ne pouvait-il point d’ailleurs vaquer à sa guise entre le poste d’accès principal et son propre bureau ?

Mais la chambre sociale qualifie expressément cet argument d’un règlement intérieur imposé par un autre que l’employeur comme source de motifs inopérants de la part de la cour d’appel, qui aurait dû prendre en compte les éléments fournis par le salarié :

  • celui-ci disposait de quinze minutes seulement pour « pointer au poste d’accès principal,
  • […] se soumettre à des contrôles de pratiques,
  • […] respecter toutes les consignes de sécurité en présence de brigades d’intervention,
  • […] respecter un protocole long et minutieux de sécurité pour arriver à son poste de travail », processus du fait duquel la possibilité de vaquer à ses occupations personnelles fait défaut.

Au demeurant, l’argument d’un règlement imposé par une personne extérieure à l’entreprise n’était pas opérant en lui-même, dès lors que le non-respect des consignes de ce règlement par le salarié était susceptible d’entraîner des sanctions disciplinaires infligées par l’employeur.

Plutôt que de se contenter de rapprocher le cas à une jurisprudence antérieure en apparence similaire, il demeure donc bien de l’office du juge d’appliquer les critères du travail effectif aux faits de l’espèce et de constater ici que les critères de disposition et de conformité aux directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles étaient bel et bien remplis.

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