L'application de la taxe sur la valeur ajoutée selon le régime de la marge
Au cas particulier, la société Lefebvre Petrenko a pour activité la vente d'objets d'art et de collection. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause l'application qu'elle a faite à ses ventes de la taxe sur la valeur ajoutée selon le régime de la marge prévu par l'article 297 A du code général des impôts et procédé en conséquence à des rappels de taxe au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016, en calculant une taxe collectée assise sur l'intégralité du prix de vente des biens cédés. Selon l’administration fiscale, l'absence de factures d'achat conformes faisait obstacle à l'application de ce régime, en l’occurrence, la mention faisant référence à l'application de la marge était manquante sur la facture. Par conséquent, l'administration fiscale a appliqué la TVA sur l'ensemble du prix de vente et non sur la seule marge.
La société Lefebvre Petrenko a saisi le tribunal administratif de Paris lui demandant la décharge de ces rappels de taxe sur la valeur ajoutée ainsi que des pénalités correspondantes et des amendes qui lui ont été infligées sur le fondement du 4 de l'article 1788 A du code général des impôts.
Le tribunal a rejeté sa demande et la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement. C’est dans circonstances que la société Lefebvre Petrenko s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat qui lui a donné raison en annulant l’arrêt rendu par la Cour administrative d'appel de Paris.
L'importance de la facture et des mentions obligatoires y figurant
Pour le Conseil d’Etat, la circonstance qu'un assujetti revendeur, qui a acquis des biens auprès d'un autre assujetti revendeur, ne dispose pas d'une facture d'achat comportant les mentions obligatoires prévues pour l’application du régime de la marge ne fait pas obstacle à ce qu'il puisse faire application, lors de la revente de ces biens, du régime particulier de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge bénéficiaire s'il établit que les conditions de fond sont satisfaites.
Cette décision, favorable au contribuable pour l’application d’un régime alors la facture n’est pas conforme aux conditions exigées, s’inscrit dans la ligne droite des décisions du Conseil d’Etat et de la CJUE qui considèrent, dans bien des cas, que le défaut d’une mention sur une facture ne devrait pas nécessairement conduire au refus du droit à déduction.
En effet, selon les dispositions de l’article 256 du CGI, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. L'article 242 nonies A de l'annexe II au CGI prévoit que la facture doit obligatoirement faire apparaître le nom complet et l'adresse de l'assujetti et de son client.
Selon le Conseil d'État toutefois, l'absence du nom et/ou de l'adresse du client sur la facture ou leur caractère erroné n'empêchent pas celui-ci de déduire la taxe mentionnée sur cette dernière, à condition qu'il apporte la preuve par tout moyen du règlement effectif par lui-même de cette facture pour les besoins de ses propres opérations imposables (CE 26-3-2012 n° 326333, Sté Cerp Lorraine).
Selon le Conseil d’Etat, la mention du nom et de l'adresse sur la facture du client constitue une simple présomption que les biens ou les services lui ont été fournis pour les besoins de ses opérations taxées. Ainsi, si la mention du nom complet et de l'adresse du client assujetti à la TVA sur la facture établie par le fournisseur ou le prestataire permet de présumer que les biens ou les services lui ont été livrés ou rendus et de vérifier qu'ils l'ont été pour les besoins de ses opérations taxées, l'absence de mention de ces informations ou leur caractère erroné sur la facture qui lui est remise peut ne pas faire obstacle à ce que la taxe soit déductible de celle à laquelle il est soumis en raison de ses propres affaires dans le cas où il apporte la preuve par tout moyen du règlement effectif par lui-même de cette facture pour les besoins de ses propres opérations imposables.
La seule omission ou inexactitude de l'une des mentions obligatoires n'entraîne pas nécessairement la remise en cause de la validité d'une facture pour l'exercice des droits à déduction de la taxe dès lors que l'opération est justifiée dans sa réalité et qu'elle satisfait par ailleurs aux autres conditions posées pour l'exercice du droit à déduction. La facture doit permettre de justifier la naissance et l'exercice du droit à déduction par le client.
Si la mention de certaines informations peut constituer une des conditions posées pour l'application d'un régime de TVA spécifique (livraisons intracommunautaires, franchise en base…), une simple omission ou inexactitude en matière de mentions obligatoires n'a pas pour effet, dans la généralité des cas, d'entraîner une remise en cause du régime appliqué.
La CJUE, de son côté, admet que le droit à déduction de la TVA ne peut être refusé en raison de l'omission ou de l'inexactitude de certaines mentions devant obligatoirement figurer sur la facture dans la mesure où les conditions de fond relatives à l'exercice de ce droit sont satisfaites (CJUE 15-9-2016 aff. 516/14).
Dans sa décision du 29/09/2022, (CJUE 29 septembre 2022, n° 235/21, Raiffeisen Leasing), la CJUE a admis que même en l’absence de facture, un contrat peut constituer une facture et ainsi ouvrir droit à déduction, s’il contient les informations nécessaires pour écarter le risque de fraude.
Dans cette logique, la mention manquante sur la facture d'achat ne fait pas échec à l'application du régime de la marge sur la revente si les conditions de fond sont remplies. Le Conseil d’Etat annule ainsi l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris, en estimant qu'en jugeant que l'absence, sur les factures d'achat présentées par la société Lefebvre Petrenko, des mentions obligatoires prévues par les dispositions du 16° du I de l'article 242 nonies A de l'annexe II au code général des impôts, faisait obstacle à l'application du régime particulier de la marge bénéficiaire dont elle se prévalait, sans rechercher si la société établissait, ainsi qu'elle le soutenait, que les conditions de fond de cette application étaient satisfaites, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit. La société Lefebvre Petrenko est fondée, pour ce motif, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
CE 12 décembre 2023, n° 466239.
Arnaud Soton
Avocat Fiscaliste
Professeur de droit fiscal
Dossier très complet et informatif